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De l’incompréhension de R313-1 et règle de la décimale. Par Laurent Rahuel, Ingénieur en informatique.
Parution : vendredi 9 février 2018
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De nombreux articles discourent sur la fameuse règle de la décimale instaurée par la Cour de cassation et appliquée maintenant aveuglement par l’ensemble des juridictions. Cet article a pour but d’analyser mathématiquement la pertinence des arguments de la Cour ainsi que leurs implications pour l’emprunteur.

Comme l’indique cet article récemment publié, la Cour de cassation semble avoir trouvé un moyen simple et efficace de débouter une grande majorité des emprunteurs qui contestent la validé du taux effectif global (équivalent ou proportionnel) de leur contrat de prêt.

On peut résumer ce moyen de la façon suivante : Si la différence entre le taux annuel réel et le taux annuel contractuel est inférieure à 0.1 %, l’action contre la banque est dénuée de fondement car l’article R313-1 du Code de la consommation autorise cette tolérance.

Combiné avec l’arrêt de cette même Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 12 octobre 2016, 15-25.034 qui indique qu’un prêteur ne peut pas être inquiété pour un taux effectif annuel contractuel qui est favorable à l’emprunteur, nous obtenons la nouvelle règle suivante :
Un prêteur ne peut être inquiété que si et seulement si, le taux effectif annuel contractuel est inférieur à la réalité des chiffres et que la différence entre le taux annuel réel et le taux annuel contractuel est supérieure à 0.1 %.

Quand on sait que la majorité des établissements bancaires sont dotés de systèmes informatiques leurs permettant de pratiquer le trading hautes fréquences sans intervention humaine, il est difficile de croire que le simple calcul rigoureux d’un taux effectif global soit au dessus de leur portée.

Mais voilà, les juges ne sont pas mathématiciens et sont contraints par un cadre juridique fort. Ils doivent se conformer aux textes et non aux sentiments. Il faut donc comprendre ces décisions à la lumière de ces contraintes.

Les arguments invoqués par la Cour concernant la règle de la décimale ne sont pas légion. Il y en a 2.

Argument numéro 1

Le premier argument de la Cour est inscrit dans le II de R313-1. Pour rappel, la section II de cet article est relative aux opérations de crédit destinées à financer les besoins d’une activité professionnelle ou destinées à des personnes morales de droit public ainsi que pour celles mentionnées à l’article L. 312-2. C’est à dire :

Donc par exemple les prêts immobiliers.

Pour les juges, le passage suivant de R313-1 indique que le taux effectif global peut être arrondi à la première décimale et qu’en tout état de cause seule cette première décimale est à prendre en compte lorsque l’on compare deux taux effectifs globaux.

En effet, R313-1 indique : «  Le rapport est calculé, le cas échéant, avec une précision d’au moins une décimale. »

Effectivement en lisant vite et en ne se posant pas trop de questions sur le fond de cette phrase, on peut facilement penser que la règle de la décimale est bien inscrite dans les textes. Malheureusement, le fond est important. R313-1 autorise bel et bien une précision minimale à une décimale mais pour « le rapport ». Décider que cette précision s’applique au taux effectif implique que ce rapport est un taux.

Hors ce n’est pas le cas. Le rapport est parfaitement défini dans la phrase précédente de ce même alinéa de R313-1 que nous reprenons entièrement : « Lorsque les versements sont effectués avec une fréquence autre qu’annuelle, le taux effectif global est obtenu en multipliant le taux de période par le rapport entre la durée de l’année civile et celle de la période unitaire. Le rapport est calculé, le cas échéant, avec une précision d’au moins une décimale. ».

Ce fameux rapport de R313-1 n’a donc strictement rien à voir avec quelque taux que ce soit puisqu’il s’agit d’une division d’une durée par une autre durée. C’est donc un nombre sans unité. Ce rapport peut même être parfaitement résumé par la définition suivante : rapport = nombre de périodes de remboursement dans l’année.

Pour un prêt remboursé mensuellement, le rapport vaut 12, pour un remboursement semestriel il vaut 2 ...

Donc, en ce qui concerne l’ensemble des prêt visés par le II de l’article R313-1, il n’existe strictement aucune justification à cette fameuse règle de la décimale dans le Code de la consommation.

Argument numéro 2

Le second argument des juges se trouve dans les annexes de l’article R313-1. Il s’agit de la formule d’équivalence des flux et des hypothèses qui y sont liées.

Là encore, un petit point de formalisme s’impose.

En III de R313-1, le législateur indique clairement : «  Pour toutes les opérations de crédit autres que celles mentionnées au II, le taux effectif global est dénommé " taux annuel effectif global " et calculé à terme échu, exprimé pour cent unités monétaires, selon la méthode d’équivalence définie par la formule figurant en annexe au présent article. La durée de la période doit être expressément communiquée à l’emprunteur. »

Donc quelques soient les hypothèses liées à la formule de calcul des annexes de R313-1 elles ne peuvent être prises en considération dans le cas des emprunts relevants du II. Donc en ce qui concerne les prêts immobiliers par exemple, cet argument est là encore irrecevable.

Pourquoi ?

Simplement parce que la formule annexée à l’article R313-1 est une formule retournant directement un taux annuel équivalent, et non un taux de période unitaire, produisant, par multiplication par le nombre de périodes dans l’année, un taux annuel proportionnel.

Je ferai sans doute un autre article sur l’analyse de cette formule et des exemples qui s’y rapportent car inscrire en annexe un exemple qui ne respecte pas les règles de l’anatocisme est quand même assez fort. Mais passons, ce n’est pas le sujet de cet article.

Conclusion

Enfin quels que soient les types d’emprunts et donc de taux effectif global (TEG ou TAEG), une supposée tolérance à la première décimale ne pourrait être acceptée que si et seulement si elle ne venait pas violer elle-même une obligation réglementaire claire, nette et précise du Code de la consommation.

Hors, appliquer cette supposée tolérance les yeux fermés amène inévitablement à ne pas respecter la seule et unique vérité mathématique inscrite dans R313-1. Quel que soit le taux calculé (de période ou annuel), et la méthode employée (proportionnelle ou équivalente), le taux DOIT assurer « selon la méthode des intérêts composés, l’égalité entre, d’une part, les sommes prêtées et, d’autre part, tous les versements dus par l’emprunteur au titre de ce prêt ».

Vous me direz, calculer les racines d’un polynôme de degré N ne retourne pratiquement jamais de valeurs juste. Il s’agit dans le cas général de nombre réels dont le nombre de décimales est infini. Il faut bien arrondir à un moment où à un autre.

Certes. Mais dans ce cas, il faut savoir de quoi on parle pour définir une règle claire et inattaquable qui puisse valider ou non l’arrondi effectué. Dans notre cas, nous parlons d’actualisation de montants d’espèces sonnantes et trébuchantes. L’unité de mesure est une monnaie. Donc un résultat d’actualisation ne peut être considéré comme égal à la somme empruntée moins les frais initiaux que si et seulement si la différence entre les deux montants est inférieure à la plus petite unité de mesure de la monnaie. C’est-à-dire le centime.

Dès lors, le taux calculé ne peut se prévaloir d’être juste que si et seulement si il garantit à l’emprunteur que l’actualisation de ses remboursements par cette valeur provoquera une erreur inférieure au centime. C’est un fait mathématique et financier qui ne peut être nié.

Donc en décrétant manu militari qu’une approximation à 0.1% du taux annuel est acceptable, sans vérifier que cette approximation respecte l’obligation d’égalité imposée par R313-1, les juges violent cet article. C’est là aussi une simple constatation mathématique.

Pour s’en convaincre, il suffit de prendre l’exemple suivant d’un prêt immobilier tel que :

Il s’agit là d’un des cas de figure les plus simples à traiter et tout le monde pourra vérifier simplement que le calcul rigoureux du taux de période et du taux annuel donne :
Taux de période : 0,362015805571925 %
Taux annuel : 4.34418966686 %
Erreur d’actualisation : 0,0000000068103 €

Si on considère maintenant que la banque à indiqué dans son offre un taux de période de 0.35833333333 % (ils ne sont jamais aussi précis), et un taux annuel de 4.3 % qu’elles sont les répercussions sur l’égalité imposée par R313-1 ?

Là encore, c’est d’une simplicité enfantine puisqu’il suffit de calculer la somme (S) pour n de 1 à 240 de 1855.33 / (1 + 0.0035833333333)^n et de comparer ce résultat avec l’autre coté de l’égalité qui est 300000 - 2800 = 297200 €.

Et bien, nous aurons S = 298 330,31 €

Soit une différence en valeur absolue de 1130,31 €

Peut-on réellement trouver un juge qui valide qu’une différence de 1130,31 € puisse être considérée comme une égalité ?

Je ne crois pas.

Laurent Rahuel Ingénieur en informatique, Rennes.