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Finances et séparation, le Juge n’est pas comptable. Par Brigitte Bogucki, Avocat.
Parution : lundi 11 décembre 2017
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Lors d’une séparation certains font de savants calculs et espèrent des juges qu’ils tranchent mathématiquement mais tel est loin d’être le cas et cependant ces décisions s’appliquent, et tout de suite... avec parfois des conséquences pénales ; il faut donc être bien préparé.

Lorsqu’il s’agit de pension alimentaire ou de prestation compensatoire, les tribunaux demandent à avoir les documents justificatifs de la situation financière précise des parties.

Sur le plan juridique, la raison en est simple : les pensions alimentaires doivent être fixées en fonction des revenus et charges des parties, en tenant donc compte de leurs ressources et de leurs charges fixes et en se limitant à l’actualité ou à la situation immédiatement prévisible.

La prestation compensatoire quant à elle doit prendre en compte la totalité du patrimoine de chacun, ses ressources, ses charges et les modifications prévisibles de sa situation.

Devant cette demande, certains espèrent une sorte de prévisibilité mathématique de la décision à intervenir et se heurtent alors à la réalité juridique, sorte de mélange imprévisible entre l’intime conviction du juge et la considération qu’il fait des pièces comptables soumises.

Leurs espoirs sont largement déçus. Il n’y a en France ni barème obligatoire (le barème des pensions alimentaires n’est qu’indicatif), ni mode de calcul légalement fixé. C’est donc le Juge qui dans son délibéré, prenant en compte les revenus et charges des uns et des autres, doit forger sa décision.

Première surprise, le revenu qui va être pris en compte n’est absolument pas leur revenu mensuel réel (c’est-à-dire le montant qu’ils ont effectivement perçu le mois dernier) mais un revenu hypothétique et lissé sur 12 mois. En effet, le juge va prendre en compte le revenu fiscal imposable (dont nous savons tous qu’il est supérieur au revenu perçu, il suffit pour s’en convaincre de lire un bulletin de paie). De surcroît, le juge va tenir pour acquis le revenu de l’année qui vient de s’écouler sauf à lui prouver (et la preuve est parfois impossible) que ceux de l’année suivante seront plus bas. Il va ainsi considérer comme acquises les primes et pérennes les bénéfices... bien que sachant qu’il n’en est rien. Il n’a aucun moyen de prévoir l’avenir et n’entend pas jouer les médiums, il s’appuie donc sur ce qu’il a.

Côté dépenses, c’est pareil. Il ne va tenir compte que de vos charges fixes. Peu importe que vous prévoyiez de changer votre machine à laver au printemps prochain, c’est une dépense ponctuelle et hypothétique. Il ne prendra pas plus en compte l’achat de la voiture que vous avez fait il y a deux mois et qui a grevé votre budget de l’année. Il s’intéresse aux dépenses et revenus récurrents.
Conséquence imprévue de ce fonctionnement, celui qui prend des crédits aura plus de charges fixes et paiera donc moins au final (ou percevra plus...).

Le juge ne tiendra pas compte non plus de vos dépenses « quotidiennes » dont il connaît l’existence mais qui ne sauraient être justifiées. Pourquoi non justifiées, tout simplement parce que l’on imagine aisément les discussions surréalistes entre ex-époux sur les dépenses alimentaires superfétatoires ou luxueuses et sur l’intérêt de la grande distribution face au commerçant local...

Pas question non plus qu’il envisage dans le détail un budget précis « cadeau », ni vêtements, sorties, loisirs, vacances... pour les mêmes raisons.

Pour peu qu’au lieu d’être simplement salarié avec un revenu pérenne et connu vous soyez indépendant ou avec une part importante de données variables dans votre salaire, c’est la conviction que le juge aura de la réalité de vos revenus qui jouera, en votre faveur ou en votre défaveur, dans les montants qu’il fixera.

On est donc loin, très loin, du calcul comptable précis faisant état des dépenses exactes et des revenus réellement perçus.

Le principe de réalité, bien connu des psy, m’amène à déterminer ensemble avec chaque client quels sont les éléments qui effectivement apporteront au juge de quoi rendre la meilleure décision possible mais en sachant qu’il s’agira toujours d’une côte mal taillée, d’une évaluation non comptable.

Me Brigitte BOGUCKI, spécialiste en droit de la famille, des personnes et de leur patrimoine, Professionnel collaboratif Avocat à Paris et Lille http://www.adr-avocats.com
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