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Salariés, la Cour de cassation protège votre liberté d’expression. Par Judith Bouhana, Avocat.
Parution : mardi 24 mai 2016
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En cette période de refonte du droit du travail et de réflexion sur les droits des salariés dans l’entreprise, il est intéressant de relever chaque étape remportée par le salarié venant consacrer son droit à une liberté d’expression qui ne doit être sanctionné que si les propos tenus sont injurieux, diffamatoires ou excessifs.

L’arrêt analysé précédemment (Cour d’appel de Versailles, 11ème chambre, arrêt du 4 décembre 2014 n°12/03370) évoquait la situation d’un salarié analyste programmeur qui, dans le cadre d’une fusion de son entreprise avec transmission universelle de patrimoine auprès d’une société, s’était adressé à une quarantaine de ses collègues de travail dont des représentants syndicaux dans un courriel portant une analyse critique du projet d’accord d’harmonisation des statuts collectifs entre les salariés et les deux entreprises.

Le salarié avait été licencié pour faute au motif qu’il aurait abusé de sa liberté d’expression en tenant dans son courriel des propos jugés insultants et diffamatoires par l’employeur.

La cour d’appel de Versailles avait prononcé la nullité du licenciement du salarié pour violation de sa liberté d’expression considérant d’une part :
- d’une part, que les propos tenus par le salarié s’inscrivaient dans un contexte de négociation collective entre salariés ;
- d’autre part, que le salarié s’était exprimé auprès d’un cercle étendu d’interlocuteurs (plus de 40 destinataires) ;
- enfin, parce que les juges avaient identifié un historique de relation entre le salarié et l’employeur emprunt d’une familiarité de ton tant d’ailleurs de la part du salarié que de l’employeur, non sanctionnée par celui-ci.

Cet arrêt a fait l’objet d’un pourvoi de la société et la Cour de cassation vient de rendre son arrêt (Chambre sociale, 19 mai 2016 n°15-12311) dans lequel elle confirme l’appréciation faite par la cour d’appel qui a caractérisé la nullité du licenciement du salarié pour violation de son droit d’expression, aux motifs suivants :

« Mais attendu qu’après avoir rappelé à juste titre que pour apprécier la gravité des propos tenus par un salarié il fallait tenir compte du contexte dans lequel ces propos avaient été tenus, de la publicité que leur avait donné le salarié et des destinataires des messages, la cour d’appel, qui a relevé que les propos incriminés avaient été tenus dans un message destiné à des salariés et représentants syndicaux à propos de la négociation d’un accord collectif pour défendre des droits susceptibles d’être remis en cause, a pu déduire de ces seuls motifs que le salarié n’avait pas abusé de sa liberté d’expression ».

La Cour de cassation entend ainsi privilégier la liberté d’expression du salarié dans le contexte de négociation collective particulièrement lorsqu’il s’agit de « défendre des droits susceptibles d’être remis en cause ».

Cet arrêt de cassation qui vient d’être rendu est particulièrement éclairant sur la protection apportée par les juges à la liberté d’expression du salarié appelé à défendre ses droits, alors même que le gouvernement s’apprête à faire voter par le Parlement une réforme du Code du travail privilégiant l’accord d’entreprise sur les accords de branche, ce qui devrait donner lieu dans l’avenir au sein de l’entreprise à des échanges récurrents et denses entre les salariés et leur employeur.

Judith Bouhana Avocat spécialiste en droit du travail www.bouhana-avocats.com