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La déchéance de nationalité : une idée inutile pour une symbolique dangereuse. Par Alexandre Gilioen, Avocat.
Parution : mercredi 23 décembre 2015
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Le gouvernement a finalement décidé de poursuivre sur sa proposition de constitutionnaliser un principe de "déchéance de nationalité" pour les personnes françaises de naissance mais ayant une double nationalité et condamnées dans le cadre d’une entreprise terroriste. Bref retour sur l’idée qui se cache derrière et pourquoi elle n’est ni utile ni fondée.

« L’existence d’une nation est un plébiscite de tous les jours, comme l’existence de l’individu est une affirmation perpétuelle de vie » - Ernest Renan

J’ai décidé de commencer cet article par une citation, bien connue mais dont l’importance semble s’être dissipée au fil des siècles qui nous en séparent. En ce temps bien troublé, cette énième lubie de la déchéance de nationalité, censée protéger la sécurité des citoyens, est une preuve s’il en est de l’oubli des idées qui ont fondé la France. Les discours politiques ventant les « valeurs de la République » se multiplient de façon exponentielle et font le jeu de ceux qui savent s’en servir.

Mais si au lieu de parler d’exclusion et de « valeurs » aux contours douteux, on reprenait les idées fondatrices loin du débat stérile sur ce qu’est « être français ». La réponse à cette question est d’ailleurs parfaitement donnée par le Code civil dans ses articles 17 et suivants. Et donc revenons-en à Ernest Renan qui prononce le 11 mars 1882 à La Sorbonne une conférence intitulée « Qu’est-ce qu’une nation ? ». Il faut préciser le contexte historique qui entoure ces paroles. En 1870, la France perd la guerre contre l’Allemagne, l’Alsace et la Lorraine se fondent dans le Reich. En 1871, c’est la Commune qui voit les Français s’opposer aux Français et le sang dans les rues de Paris.

Et plus précisément, c’est surtout une réponse à la conception de la nationalité telle qu’elle a été définie en 1808 par le philosophe allemand Johann Fichte (« Discours à la nation allemande »). Aux axes censés définir une nation (race, langue, religion, territoire), Renan oppose une volonté de de coexister dans un espace défini. Cette volonté supplanterait tous les critères mis en avant par Fichte et serait l’idée même qui fonde une nation.

Si la dernière partie de la citation est bien connue, les premières phrases sont pourtant d’une actualité parfaite au vu d’une proposition donnant à l’exclusion (la déchéance de nationalité) du groupe constitué "nation" une valeur constitutionnelle :

« Une nation est donc une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu’on a faits et de ceux qu’on est disposé à faire encore. Elle suppose un passé ; elle se résume pourtant dans le présent par un fait tangible : le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune. »

C’est cette idée que traduit l’article 17-3 du Code civil lorsqu’il précise qu’il appartient au jeune de 16 ans de faire lui-même la demande de nationalité française.

Dès lors, plutôt que de « constitutionnaliser » un texte parlant de déchéance de nationalité et dont l’intérêt sécuritaire vogue entre le vaguement douteux et l’inutilité absolue, ne pourrait-on pas plutôt fixer dans le marbre de la Constitution le texte de Renan ?

Alexandre Gilioen http://gillioen-avocat.com