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Sur la libération de la dette par l’abandon du bien pour lequel elle a été contractée. Par Damien Viguier, Avocat.
Parution : vendredi 26 juin 2015
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Deux personnes ont contracté auprès d’une banque un emprunt en tant que codébiteurs solidaires, afin d’acquérir un bien immobilier en indivision. Ces deux personnes sont maintenant en conflit, et l’une d’entre elles voudrait sortir de la situation, étant donné que son coindivisaire et codébiteur refusera de coopérer, mais sans en passer par une procédure de partage judiciaire.

Il nous semble qu’une possibilité originale peut être explorée. Il faut bien distinguer deux choses, même si elles sont liées : la propriété du bien et la dette envers la banque. De la propriété, l’on peut sortir par l’abandon. De la dette, l’on peut se libérer.

I. L’abandon de la propriété

La possibilité d’abandonner est indéniable, ses modalités et ses effets doivent être précisés.

a) la faculté d’abandon

Sortir de la situation d’indivision, sans en passer formellement par le partage, est chose possible. Un indivisaire peut abandonner unilatéralement sa part dans le bien. Car abandonner son bien est un attribut du droit lui-même. C’est une modalité de l’abusus. La possibilité d’abandonner son droit réel est un principe général et absolu. Les mots pour le dire sont ceux de déguerpissement, d’abandon, d’abandonnement, de délaissement, de renonciation ou de déréliction. Néanmoins, la chose n’est pas banale et l’on doit s’interroger sur les formalités à accomplir.

b) Formalités et effets de l’abandon

En général l’abandon résulte de l’inaction totale du propriétaire. La jurisprudence, pour que l’on puisse opposer à un propriétaire qu’il a abandonné, exige un « acte positif impliquant la volonté non équivoque d’un propriétaire d’exercer la faculté d’abandonner la propriété  » [1]. Dans notre cas c’est le propriétaire lui-même qui entend opposer aux tiers le fait de l’abandon.
La question de ses modalités dépend aussi du point de savoir à qui va aller le bien abandonné. Les res derelictae (chose sans maître) vont à l’Etat. Un abandonnement plus spécifique existe, pour s’affranchir de la taxe foncière, aux Communes [2]. Mais en l’occurrence d’une indivision, l’abandon de son droit par l’indivisaire ne crée pas un bien abandonné, puisque, par définition, il y a, avec le coindivisaire, un autre propriétaire du bien, dont la part va s’accroitre naturellement du fait de l’abandon. On pourrait faire l’analogie avec l’abandon de la mitoyenneté, qui va au voisin ; ou de l’usufruit, qui revient au nu-propriétaire.

L’abandon peut prendre la forme d’une déclaration sous seing privé. Cette déclaration peut être signifiée (par huissier) au coindivisaire, premier intéressé. Le second original peut ensuite être notifié au banquier, et être enregistré auprès des services des impôts (pôle de l’enregistrement), en tant qu’acte innomé (droits fixes de 125 euros). A proprement parler, l’acte n’est pas translatif, puisqu’il s’agit d’un acte dévestitif. Quoi que cela accroisse les droits du coindiviaire, ce dernier voit en contrepartie ses charges augmenter puisqu’il sera seul à assumer le remboursement de l’emprunt.

II. La libération de la dette

Il faut distinguer la libération vis-à-vis du codébiteur solidaire et vis-à-vis du banquier créancier.

a) Libération vis-à-vis du codébiteur

Le Code civil dispose, à l’article 1213 que « l’obligation contractée solidairement envers le créancier se divise de plein droit entre les débiteurs, qui n’en sont tenus entre eux que chacun pour sa part et portion ». La mesure de cette contribution est donc proportionnelle aux intérêts de chacun [3]. Cette proportion peut se réduire à rien dans le cas d’un emprunt contracté pour acquérir un immeuble dans lequel le coobligé n’a plus aucun droit.

D’ailleurs, l’article 1216 dispose que « si l’affaire pour laquelle la dette a été contractée solidairement ne concernait que l’un des coobligés solidaires, celui-ci serait tenu de toute la dette vis-à-vis des autres codébiteurs, qui en seraient considérés par rapport à lui que comme ses cautions ». La formule est directement tirée du Traité des obligations de Pothier, n°282 : lorsque l’affaire pour laquelle la dette a été contractée par plusieurs qui sont obligés solidairement, ne concerne que l’un d’entr’eux, quoiqu’ils soient tous vis-à-vis du créancier débiteurs principaux, néanmoins entr’eux, celui que l’affaire concerne, est le seul débiteur principal.
Il est donc établi que le débiteur resté seul propriétaire n’aura, pour le cas où il aurait remboursé seul la totalité de la dette, aucun recours contre son codébiteur abandonnataire. Reste le point de savoir si cet abandonnataire pourra être poursuivi par le créancier.

b) Libération vis-à-vis du banquier

Le banquier prêteur peut parfaitement remettre la dette de l’emprunteur qui a abandonné le bien et qui finalement ne contribuera pas à la dette. Mais cela relève de son pouvoir discrétionnaire. Il pourra en opportunité tenir compte de l’identité de celui qui rembourse effectivement. Et il appréciera les capacités de remboursement du débiteur qu’il envisage de libérer, en tenant compte du fait que le bien abandonné (qui était peut-être la seule garantie qui puisse être présentée) ne pourra plus du chef de ce dernier faire l’objet d’une procédure d’exécution.

Damien VIGUIER Avocat aux barreaux de l'Ain et de Genève - Docteur en droit www.avocats-viguier.com

[1Civ. 3ème, 26 janvier 1991, RD imm. 1991, p. 503, obs. P. Capoulade et Cl. Giverdon.

[2Art. 1401 du CGI.

[3Civ. 1ère, 21 février 1956, JCP 1956.II.9200 note H. Blin ; 7 mars 1973, BC I 90.