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La stimulation des commerciaux étrangers à l’entreprise. Par Patrice Mihailov, Avocat
Parution : mardi 15 mai 2012
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Les chèques cadeau ont du plomb dans l’aile.

Le marché des cadeaux d’entreprise a connu jusqu’à une époque récente, un développement considérable, appuyé sur une offre de plus en plus structurée et sur l’émergence d’opérateurs puissants.

Cette activité a prospéré sur ce que l’on peut regarder au mieux comme une niche et au pire, comme l’institutionnalisation d’une forme d’évasion fiscale.

Très schématiquement, le procédé en question met en présence un fournisseur, un distributeur et les salariés de ce distributeur.

Dans sa forme la plus régulière, la stimulation par le fournisseur de la force de vente de son distributeur, passe par le paiement de primes, dont le distributeur restitue le bénéfice au salarié sous forme d’un complément de salaire.

Cette formule présente plusieurs inconvénients.

D’une part, elle soumet ce même budget à l’érosion de plusieurs niveaux de taxation : la prime est une composante du bénéfice soumise à l’impôt sur les sociétés, tandis que sa redistribution est soumise aux cotisations salariales.

D’autre part, elle ne permet pas au fournisseur de contrôler très étroitement l’utilisation que le distributeur fait du budget dédié à la stimulation de ses vendeurs.

Dans ce contexte, l’avantage d’une rémunération directe des salariés du distributeur par l’attribution d’avantages en nature, est financièrement (1) et commercialement (2) avantageuse.

La détresse financière de l’Etat ne permet cependant plus de s’accommoder d’un mécanisme qui le prive d’une partie de ses ressources.

1) Les lois de financement de la sécurité sociale pour 2011 et pour 2012,ont ajouté un article L 242-1-4 au Code de la sécurité sociale, rédigé dans les termes suivants :

"Toute somme ou avantage alloué à un salarié par une personne n’ayant pas la qualité d’employeur en contrepartie d’une activité accomplie dans l’intérêt de ladite personne est une rémunération assujettie aux cotisations de sécurité sociale et aux contributions mentionnées aux articles L. 136-1 du présent code, L. 14-10-4 du code de l’action sociale et des familles et 14 de l’ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale".

Une circulaire interministérielle permet de préciser la portée de ce dispositif , qui peut être détaillé comme suit.

"Toute somme ou avantage" :

- tous les avantages sont visés, qu’il s’agisse de primes, bons, chèque-cadeaux, coffrets, voyages, invitations...

- la forme ou le mode de versement est sans importance.

"alloué à un salarié" :

- le bénéficiaire doit être salarié, quel que soit son régime d’affiliation ;

- s’il est travailleur indépendant, le bénéficiaire doit lui-même déclarer les sommes ou avantages reçus et le dispositif de l’article L 242-1-3 ne s’applique pas ;

- si le bénéficiaire n’est pas salarié, ni travailleur indépendant, mais qu’existe un lien de subordination avec le fournisseur de l’avantage, le dispositif de l’article L 242-1-4 ne s’applique pas (application du droit commun des salaires).

"par une personne n’ayant pas la qualité d’employeur" :

- l’hypothèse envisagée est celle dans laquelle le bénéficiaire n’est pas salarié de celui qui fournit l’avantage ;

- c ’est le cas du commercial, salarié d’un distributeur, auquel le fournisseur adresse une gratification ;

- dans le cadre de ce dispositif, non seulement le bénéficiaire ne doit pas être salarié du fournisseur (ni appartenir au même groupe), mais il ne doit exister aucun lien de subordination entre le fournisseur et le bénéficiaire (à défaut, le régime de la contribution forfaitaire libératoire ne serait pas applicable) ;

- l’avantage ne doit pas s’apparenter aux frais professionnels dont l’employeur pourrait s’acquitter lui-même ; il doit consister en une véritable gratification personnelle, dont le salarié profite en dehors de son temps de travail (la participation du salarié à un congrès, pendant son temps de travail et avec l’accord de son employeur, ne constitue pas un avantage en nature, même si elle est prise en charge par un tiers fournisseur) ;

"en contrepartie d’une activité" :

- l’activité visée est clairement une activité de nature commerciale, c’est-à-dire une activité dans laquelle le salarié bénéficiaire doit avoir la charge habituelle d’actes de commerce ;

- l’Administration limite toutefois la portée du dispositif aux salariés auxquels il est d’usage que des tiers fournissent une gratification (d’une manière générale, les personnels de vente d’entreprises de distribution de biens ou de services).

"accomplie dans l’intérêt de ladite personne" :

- pour être considérés comme une rémunération, les avantages doivent être fournis dans la perspective d’une contrepartie : augmentation du volume des ventes ou des parts de marché, sensibilisation du bénéficiaire aux produits, en vue d’en faire un prescripteur…

- étant observé que le bénéfice attendu par le fournisseur ne doit pas nécessairement être quantifiable et peut simplement consister dans le renforcement de son image de marque ;

- les avantages consentis de manière générale aux clients du fournisseur dans le cadre de programmes de fidélisation et non spécifiquement ciblés sur des salariés susceptibles d’être prescripteurs, sont exclus du dispositif ;

- sont également exclus les avantages négociés avec les salariés d’un groupe ou versés par l’intermédiaire d’un Comité d’entreprise.

"est une rémunération assujettie aux cotisations de sécurité sociale et aux contributions (…)" :

- par principe, le versement des avantages est désormais assujetti à l’ensemble des cotisations et contributions sociales : maladie, maternité, invalidité, décès, vieillesse, allocations familiales, AT-MP, solidarité autonomie, CSG, CRDS.

- Parce que la nature de ces avantages ou rémunérations, au surplus à des personnes qui ne sont pas salariées de l’entreprise, se prête mal à l’établissement d’un décompte sur le modèle d’une feuille de paie, le législateur a prévu que les cotisations seraient versées sous la forme d’une "contribution libératoire" adressée à l’URSSAF ou à la Caisse générale de Sécurité Sociale :

"(…) les cotisations (…) et les contributions sociales dues sur ces rémunérations sont acquittées sous la forme d’une contribution libératoire (…)" .

Cette contribution libératoire est assise sur le montant des avantages et sommes versés au cours de l’année civile considérée, pour leur part comprise entre 15 et 150 % du SMIC mensuel brut.

Concrètement :

- jusqu’à 15 % du SMIC mensuel brut (soit 209 euros), aucune contribution n’est due ;

- de 15 % à 150 % du SMIC mensuel brut (soit à partir de 210 euros et jusqu’à 2.097 euros), le fournisseur est débiteur d’une contribution libératoire de 20 % sur cette fraction de la gratification ;

- lorsque l’avantage est fourni sous forme de chèque-cadeau en numéraire, non échangeable, utilisable dans un réseau de partenaires, la contribution libératoire de 20 % s’applique sur la part comprise entre 10 et 70 % du SMIC mensuel brut (soit entre 139 et 978 euros) par opération et par salarié, dans la limite de quatre opérations par an (l’Administration précisant que le fractionnement artificiel des avantages donnera lieu à redressement et sera présumé à partir de cinq opérations par an) ;

- pour la part qui excède 150 % du SMIC mensuel brut, la gratification est assujettie aux conditions de droit commun.

Si les conditions définies à l’article L 242-1-4 au Code de la sécurité sociale ne sont pas réunies et que le bénéfice de la contribution libératoire n’est pas accessible, les avantages sont soumis aux cotisations et contributions sociales dans les conditions du droit commun et dès le premier euro.

Il faut ajouter que le fournisseur doit informer tant le salarié que son employeur, du montant des avantages accordés.

Il doit également conserver la justification de cette information.

La contribution libératoire doit être déclarée et payée par le fournisseur, soit à l’occasion de chaque versement, soit une fois par an et en tout état de cause au plus tard dans la dernière déclaration de cotisation de l’année au titre de laquelle l’avantage a été fourni.

2) La stimulation de la force de vente est clairement affectée par une réforme qui la soumet désormais au paiement de cotisations sociales.

Cette charge financière nouvelle est aggravée par la nécessité d’organiser plus étroitement la gestion administrative et comptable des opérations mises en œuvre.

Il faut considérer encore, que la stimulation des forces de vente a progressivement pu conduire à des excès, générateurs de risques.

Dans certains secteurs, l’automobile en particulier, les commerciaux constituent une population nomade et sont parfois aussi attachés au constructeur qu’au distributeur qui les emploie.

Ce lien avec le fournisseur se construit au fil des ans : le commercial a été formé dans l’école de vente de la marque, est rappelé à intervalles réguliers pour des séminaires ou des stages de formation, retrouve le constructeur à l’occasion de voyages exotiques réunissant les têtes connues du réseau et parfois, est débauché par un distributeur concurrent à l’initiative du constructeur lui-même, qui assure ainsi son plan de carrière.

Dans ce schéma, les rémunérations versées directement par le constructeur au commercial, les avantages et récompenses qui lui sont attribués, prennent évidemment un relief particulier.

Ce d’autant que le distributeur n’est pas toujours tenu informé de la fourniture de ces avantages à ses salariés, ou de leur importance.

Il est arrivé que des distributeurs s’étonnent de trouver leurs stocks encombrés de marchandises invendables, et découvrent après coup que leur équipe commerciale avait été financièrement incitée par le fournisseur à passer ces commandes inopportunes.

Le risque est donc celui d’une atteinte à l’autonomie de gestion du distributeur, même si l’on doit considérer que ce dernier en a implicitement admis le principe, pour la raison qu’il trouve avantage à se décharger sur son fournisseur d’une partie du coût de sa force de vente.

Sur ce terrain, on peut passer assez vite d’une politique marketing irréprochable, à une stratégie qui pénètre dans le champ des pratiques déloyales, voire de la corruption de salarié.

A cet égard, la réforme mise en œuvre par les ministres du Travail et du Budget peut avoir un effet positif.

En premier lieu, elle oblige à la transparence puisque le fournisseur devra valoriser de manière précise l’avantage octroyé au salarié, formaliser la remise de cet avantage et en informer son employeur.

Une comptabilité précise devra ainsi être tenue, qui sera portée à la connaissance de tous les intéressés.

En second lieu, la charge administrative nouvelle que suppose l’accomplissement de ces démarches et de leur contrôle, vont sans doute réduire la possibilité pour un Directeur Commercial ou un Directeur du Marketing, de s’engager avec la même liberté dans la mise en œuvre de stratégies à risque.

Il faut également considérer que dans les rapports des fournisseurs avec les centrales de la grande distribution, ces dernières pouvaient considérer que ces rémunérations ou avantages en nature excédaient le périmètre de la convention annuelle prévue par l’article L 441-7 du Code de commerce.

En d’autres termes et bien qu’ils soient négociés par la centrale avec le fournisseur, ils étaient susceptibles d’échapper à la transparence voulue par le législateur et demeurer parfaitement occultes.

Le procédé paraît objectivement compromis par le formalisme qu’il suscite désormais, déchargeant les fournisseurs d’une contribution à laquelle, dans ce cas précis, ils n’étaient pas toujours spontanément enclins.

Au total et bien que cet objectif ne soit pas celui du législateur, plus généralement disposé à libéraliser les marchés, la réforme emporte la restauration d’une certaine orthodoxie dans la vie des affaires.

Patrice MIHAILOV Avocat