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Rétractations de victimes : quels sont les éléments déclenchants ? Par Jacques Cuvillier
Parution : mardi 28 juin 2011
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L’une des personnes à l’origine de graves accusations se rétracte. Des avocats sont pris de court, les jurés sont déstabilisés, le malaise s’installe : un retournement si soudain ! Que signifie cette rétractation ? Est-elle sincère ? Comment ne pas rester dubitatif devant ce brusque changement d’attitude ? Quel événement a bien pu le déclencher ? En matière de mœurs, c’est souvent le soulagement qui domine. Mais doit-il nous empêcher de regarder ce phénomène de plus près ? Gardons la tête froide, examinons bien tout.

De manière typique, une rétractation conduit à ce genre de situation. Pas toujours cependant. Curieusement, en matière de mœurs, c’est le soulagement qui domine. Il parcourt la salle d’audience
tandis qu’une quasi-certitude gagne immédiatement les personnes présentes, puis très rapidement le public que les médias s’empressent d’avertir.

Cette différence de perception qui tient à la nature de la chose jugée n’est pas surprenante dans la mesure où plus qu’ailleurs les accusations reposent sur la parole de la victime. Et quelle victime ! un enfant, un adolescent, une personne moralement affectée, fragilisée. Le juge a alors le pouvoir terrifiant de prolonger les dires de cet être à l’allure précaire et d’appliquer de lourdes sanctions. Comme il est tentant de lui dénier l’exercice de si inquiétantes prérogatives ! Dans ces circonstances, les conclusions ne s’encombrent pas toujours de la circonspection nécessaire. La victime s’est rétractée, l’accusation s’effondre.

Les interrogatoires, les résultats d’expertise, tous les dossiers qui révélaient de fâcheux indices sont laissés de côté. À ne plus les prendre en compte, on les désavoue, et c’est l’institution judiciaire et tous les organes qui ont contribué à instruire l’affaire qui se trouvent discrédités sur l’instant et pour le futur, dans la mesure où les faits seront dans les mémoires lors d’affaires similaires. La justice et les professionnels impliqués à tous niveaux subissent alors le grave préjudice d’une perte de confiance, la démocratie elle-même est atteinte au travers de ses institutions.

En général le public aime cela, il jubile. Il suffit de lire les commentaires des lecteurs au bas des articles relatant les faits pour s’en convaincre. Encore une erreur judiciaire ! Encore cette affreuse machine capable d’emprisonner des gens qui n’ont rien fait !

Qui aura le courage de faire montre pour ces rétractations de la même prudence que pour celles qui interviendraient dans un autre contexte ? Rétractation oui, mais avec quel élément déclenchant ?

Dieu sait pourtant si certains détails sont passés à la loupe lorsqu’il s’agit de savoir si tel intervenant est ou n’est pas, et dans quelle mesure liée à la partie civile par un prétendu conflit d’intérêt, si minime soit-il ? Pour ces questions utiles à la défense, on fait dans le détail, dans la minutie, parfois jusqu’à l’absurde. Alors pourquoi ne pas prendre des mesures aussi rigoureuses pour s’assurer par exemple que telle victime n’a pas été approchée par un avocat de la défense où l’un de ses émissaires, dans une démarche de négociation ou de chantage, de déstabilisation, d’intimidation, d’induction en erreur, d’influence faussement éthique, de perturbation psychologique ? La palette des leviers possible est large, tentante, mal surveillée.

Comment ne pas se dire que la tentation d’un splendide acquittement ne vaut pas au moins une tentative en ce sens ? Comment ne pas se douter que ceux qui ont déjà réussi dans cette entreprise la rejouent en l’améliorant ?

Comment le public qui se veut si peu naïf dans la perception qu’il a de la conduite des affaires peut-il être aussi facile à convaincre quitte à ne se poser aucune question lorsqu’on lui parle d’une « nouvelle erreur judiciaire » ?

Certains indices pourtant devraient l’intriguer. Par exemple la mansuétude de l’acquitté « qui ne lui en veut pas ». Curieux non ? Les tourments de l’accusé, éventuellement la détention qu’il a subie, seraient de nature pour le moins à justifier des poursuites pour dénonciation calomnieuse ! Mais non, typiquement pas. Que la victime se soit rétractée était le but recherché. Pour y parvenir, la perspective de poursuites ultérieures à son encontre devaient donc être écartée préalablement. Dans le cas de retournement non préparé, de telles conditions ne s’appliqueraient probablement pas.

Malgré la compétence et le dévouement de ses magistrats et de tout son personnel, la justice est sur la sellette. Prenons garde ! Le tumulte médiatique et ses développements subjectifs lui portent atteinte, le public perd ses repères, les victimes d’aujourd’hui et de demain seront-elles encore défendues et dans quelles conditions ? Et au delà de cette question préoccupante, ce sont les institutions de notre démocratie qui sont en jeu.

Jacques Cuvillier