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La responsabilité du fait des produits défectueux : l’empire pharmaceutique contre-attaque. Par Jonathan Quiroga-Galdo, Doctorant
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Parution : mardi 14 décembre 2010
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Par un arrêt du 25 novembre 2010, la Première chambre civile de la Cour de cassation (pourvoi n° 09-16556, FS P+B+R+I) vient de porter un coup d’arrêt significatif à sa jurisprudence rendue en faveur des victimes du vaccin de l’hépatite B qui semblait jusqu’ici prospérer depuis ses célèbres arrêts du 22 mai 2008.
En effet, la haute cour a jugé qu’une personne, qui avait été vaccinée contre l’hépatite B, et qui a présenté, quinze jours après la dernière injection, des symptômes qui ont ultérieurement abouti au diagnostic de la sclérose en plaques ne peut être indemnisée en réparation de son préjudice par le fabricant du vaccin, les juges du fond (CA Paris, 19 juin 2009, RG n° 06/13741) ayant souverainement estimé qu’en l’absence de consensus scientifique en faveur d’un lien de causalité entre la vaccination et les affections démyélinisantes, le fait que la patiente ne présentait aucun antécédent personnel ou familial et le fait que les premiers symptômes étaient apparus quinze jours après la dernière injection ne constituaient pas des présomptions graves, précises et concordantes en sorte que n’était pas établie une corrélation entre l’affection de la patiente et la vaccination.
Le passé : l’espoir des victimes du vaccin contre l’hépatite B d’être indemnisées
Si la responsabilité du producteur a toujours été soumise à la condition que le demandeur prouve, outre le dommage, le défaut du produit et le lien de causalité entre le défaut et le dommage [1], dès 2001, les juges du fond estimaient qu’il existait bel et bien un lien de causalité entre le vaccin contre l’hépatite B et la sclérose en plaques au motif que ce dernier ne pouvait être exclu de façon certaine, ce dont il devait être présumé que le vaccin constituait le facteur déclenchant de la maladie [2].
Bien que cette dernière décision était incontestablement avant-gardiste lorsqu’on pose un regard rétrospectif sur l’évolution du droit en la matière, elle fut tout de même censurée par la Cour de cassation qui s’était alors retranchée derrière l’incertitude scientifique quant à la causalité pathologique du vaccin pour refuser de dédommager les victimes et ainsi protéger l’industrie pharmaceutique [3]. Cette jurisprudence ayant prospéré un temps [4].
La véritable révolution s’opéra par quatre arrêts publiés au bulletin rendus par la Première chambre civile de la Cour de cassation le 22 mai 2008 [5] préfigurés par un arrêt du Conseil d’Etat du 9 mars 2007 [6]. La haute juridiction a reconnu au visa de l’article 1353 du Code civil [7]. que tant la preuve du lien de causalité entre le défaut et le dommage que celle de la défectuosité du produit peut résulter de présomptions, pourvu qu’elles soient graves, précises et concordantes : « si l’action en responsabilité du fait d’un produit défectueux exige la preuve du dommage, du défaut et du lien de causalité entre le défaut et le dommage, une telle preuve peut résulter de présomptions, pourvu qu’elles soient graves, précises et concordantes ».
Aux juges du fond d’apprécier souverainement les présomptions défendues par les plaideurs au moyen de la technique du faisceau d’indices. Ainsi parmi les indices permettant au magistrat de présumer le lien de causalité, il est habituel de rechercher d’une part la proximité chronologique entre la vaccination et la survenance des symptômes de la sclérose en plaques et d’autre part l’absence d’autres causes possibles de la maladie (ainsi de l’absence de prédispositions personnelles ou familiales notamment). Et parmi les indices permettant de présumer la défectuosité, il est fréquemment soutenu qu’à défaut d’une information complète, loyale et suffisante figurant dans la notice, le produit de santé sera défectueux puisqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre [8]. C’est d’autant plus vrai lorsqu’il existe un consensus médical sur la réalité du risque sanitaire du produit ; lequel consensus est apporté par cet ouvrage de référence utilisé par le corps médical qu’est le Dictionnaire Vidal.
S’il était dès lors logique que les juges du fond excluent l’existence de présomptions graves, précises et concordantes permettant d’imputer la maladie à la vaccination contre l’hépatite B lorsque plusieurs facteurs peuvent être à l’origine d’une polyradiculonévrite (également appelée maladie de Guillain-Barré) tels qu’une infection préexistante et une opération chirurgicale [9], un pas supplémentaire semblait pourtant avoir été franchi avec l’arrêt du 25 juin 2009 [10] qui censurait explicitement la Cour d’appel de Paris d’avoir jugé qu’une preuve scientifique certaine quant au rôle causal du vaccin était exigée alors que le lien de causalité peut résulter de simples présomptions, pourvu qu’elles soient graves, précises et concordantes. Dès lors la preuve scientifique devenait pratiquement superflue pour la Cour de cassation, marquant « la substitution d’une causalité scientifique des juristes à la causalité scientifique des médecins » selon la formule du Professeur Borghetti [11]. Toutefois, le Rubicon n’était pas franchi puisque cette jurisprudence signifiait que lorsque la médecine n’exclut pas l’existence d’un lien de causalité, la caractérisation d’une causalité juridique est possible sans pour autant être systématique ! Aux juges du fond d’apprécier…
Sur le terrain de la présomption de défectuosité du vaccin, un intéressant arrêt de la Cour de cassation en date du 9 juillet 2009 [12] jugeait que des faits retenus par les juges du fond [13], il s’inférait que le vaccin n’offrait pas la sécurité à laquelle le demandeur pouvait légitimement s’attendre. Indubitablement, en matière de preuve de la défectuosité du vaccin contre l’hépatite B, la jurisprudence semblait être fermement établie en faveur de la victime bien que les juges du fond soient rester libres d’apprécier souverainement la gravité, la précision et la concordance des présomptions alléguées.
La doctrine avait très justement critiqué cette liberté d’appréciation souveraine des juges du fond puisqu’il n’était pas assuré que les victimes du vaccin contre l’hépatite B soient systématiquement indemnisées dès lors que des présomptions graves, précises et concordantes ne pourraient pas être caractérisées au sens du magistrat qui aurait à connaître de l’affaire. Le contentieux des produits de santé défectueux pouvant alors devenir une véritable loterie, faute de présomption quasi légale d’imputabilité de la maladie au vaccin dès lors que sa survenance est concomitante et autrement inexplicable [14].
Mais faute de jouer sa fonction unificatrice, la Cour de cassation prenait le risque de devoir accepter que des solutions radicalement différentes soient rendues par les juges du fond au nom de leur souveraine appréciation créant ainsi une situation profondément inégalitaire voire injuste entre les justiciables.
Le présent : l’empire pharmaceutique contre-attaque
La mansuétude des tribunaux à l’égard des victimes demanderesses de dommages et intérêts en réparation du dommage subi faisait naître dans l’année 2009 un risque économique sévère pour l’industrie pharmaceutique. Le lobby pharmaceutique devait rapidement combler cette première brèche qu’était le contentieux du vaccin contre l’hépatite B avant que la jurisprudence ne soit trop fermement établie et commence à être transposée à d’autres contentieux portant sur d’autres produits de santé...
La contre-attaque fut lancée devant la Cour d’appel de Paris qui rendit un arrêt à contre courant de la jurisprudence précitée le 19 juin 2009. Le raisonnement des magistrats parisiens était le suivant : concernant la présomption de causalité, la brièveté entre la vaccination et la survenance des symptômes de la sclérose en plaques et l’absence d’antécédents médicaux peut conduire à présumer un lien de causalité mais ces seuls indices ne constituent pas des présomptions graves, précises et concordantes permettant de retenir ce lien… Ce qui revenait à remettre en cause les indices traditionnels qui avaient naguère fonctionner pour d’autres victimes en les caractérisant « souverainement » d’insuffisants à établir le lien de causalité entre la vaccination et la maladie ! Alors certes la Cour de cassation n’a jamais posé de présomption quasi légale de causalité dans sa jurisprudence mais les juges parisiens ont fait fi de la direction prise par la majorité des tribunaux français depuis 2008 ! Voilà que deux malades placés dans une situation comparable, pour une cause comparable, subissant un dommage comparable sont jugés différemment sans que le concept d’égalité des citoyens devant la loi et les tribunaux n’effleure l’esprit des magistrats… Concernant la présomption de défectuosité, la Cour d’appel refuse de la constater qu’elle soit intrinsèque ou fondée sur un manque d’information. Ici aussi, la solution retenue était contraire à la jurisprudence majoritaire.
La victime décide alors de se pourvoir en cassation et se heurte dans l’arrêt de la Première chambre civile de la Cour de cassation du 25 novembre 2010 à une décision de rejet motivée ainsi :
« Mais attendu qu’ayant apprécié la valeur et la portée des éléments de preuve qui lui étaient soumis, la cour d’appel a estimé souverainement qu’en l’absence de consensus scientifique en faveur d’un lien de causalité entre la vaccination et les affections démyélinisantes, le fait que Mme X... ne présentait aucun antécédent personnel ou familial et le fait que les premiers symptômes étaient apparus quinze jours après la dernière injection ne constituaient pas des présomptions graves, précises et concordantes en sorte que n’était pas établie une corrélation entre l’affection de Mme X... et la vaccination ».
La Cour de cassation s’est donc abritée une nouvelle fois derrière le paravent de la souveraineté des juges du fond, quitte à ce que des décisions contradictoires soient prises dans des situations identiques… La sécurité juridique du justiciable est malmenée et l’inégalité des victimes devant les tribunaux est désormais patente.
L’indemnisation des victimes de l’industrie pharmaceutique devient de plus en plus difficile car admettre le raisonnement de la Cour d’appel de Paris revient finalement à imposer aux demandeurs de faire la preuve « scientifique » du lien de causalité et de la défectuosité du vaccin. Or, les essais cliniques qui constituent l’essentiel des données scientifiques concernant les médicaments mis sur le marché sont l’apanage de leurs fabricants : de grandes multinationales aux capitaux inépuisables. Les contre-expertises produites en justice par les malades ne bénéficieront pas des mêmes moyens. Une fois encore le pot de fer l’emportera sur le pot de terre si l’on s’en remet à un débat d’experts.
Et l’on se demandera avec un certain scepticisme comment de tels produits de santé peuvent recevoir une autorisation de mise sur le marché alors que l’Autorité française de sécurité sanitaire et des produits de santé (AFSSAPS) a précisément pour rôle d’éviter des drames sanitaires tels que celui du vaccin contre l’hépatite B… Sauf à considérer que le risque « ponctuel » de contracter une sclérose en plaques est satisfaisant compte tenu du bénéfice retiré par le vaccin dans la lutte contre l’hépatite B : argument qui est régulièrement plaidé devant les juges du fond. Il y a là quelque chose d’immoral.
Jonathan Quiroga-Galdo
Doctorant
[1] Article 1386-9 du Code civil ; et avant l’applicabilité de ce texte, à propos du contentieux du vaccin contre l’hépatite B, voir notamment TGI Nanterre, 1E ch. B, D. 1999, p. 246, obs. J. Revel, et p. 336, obs. J.-C. Galloux
[2] CA Versailles, 2 mai 2001, D. 2001, IR p. 1592 ; RTD civ. 2001, p. 891, obs. P. Jourdain
[3] La Cour d’appel de renvoi avait suivi avec un certain conservatisme le raisonnement de la Cour de cassation. CA Paris, ch. 1, sect. B, 2 juin 2006 : JurisData n° 2006-304226 ; Resp. civ. et assur. 2006, comm. 306, note C. Radé
[4] Civ. 1e, 27 février 2007, n° 06-10.063, inédit : JurisData n° 2007-037696 ; Resp. civ. et assur. 2007, comm. 165, note A. Gouttenoir et C. Radé
[5] Civ. 1e, 22 mai 2008 ; D. 2008, p. 1544, obs. I. Gallmeister et p. 1928, chron. L. Grynbaum ; RTD civ. 2008, p. 492, obs. P. Jourdain ; RDSS 2008, p. 578, obs. Peigné
[6] CE, 9 mars 2007, n° 267635 : JurisData n° 2007-071542 ; JCP 2007, II, 10142, note A. Laude ; D. 2007, p. 2204, note L. Neyret ; AJDA 2007, p. 861, concl. T. Olson
[7] Article 1353 du Code civil : « Les présomptions qui ne sont point établies par la loi, sont abandonnées aux lumières et à la prudence du magistrat, qui ne doit admettre que des présomptions graves, précises et concordantes »
[8] Comp. article 1386-4 du Code civil
[9] Civ. 1e, 22 janvier 2009, pourvoi n° 07-16.449, FS P+B, Dalloz actualités du 5 février 2009, obs. I. Gallmeister
[10] Civ. 1e, 25 juin 2009, pourvoi n° 08-12.781, FS P+B ; Dalloz actualités du 9 juillet 2009, obs. I. Gallmeister ; JCP 2009, 308, note P. Sargos
[11] J.-S. Borghetti, RDC 2010/1, p. 79
[12] Civ. 1e, 9 juillet 2009, pourvoi n° 08-11.073 ; D. 2009, p. 1968, obs. I. Gallmeister ; D. 2010, p. 50, obs. Ph. Brun ; JCP 2009, 308, note P. Sargos ; Gaz. Pal. 13 août 2009, p. 9, avis A. Legoux ; Resp. civ. et assur. 2009, étude 13, note Ch. Radé
[13] A savoir : l’absence d’exclusion par les études médicales de la survenance de la sclérose en plaques suite à la vaccination ; la suspension de la campagne de vaccination en milieu scolaire ; l’indemnisation par l’administration de la santé publique et la qualification d’accident du travail en cas de maladie postérieure à la vaccination obligatoire ; le fait que la survenance de la sclérose en plaques soit mentionné au Vidal au titre des effets indésirables et sur la notice du vaccin, quasi-aveu d’imputabilité selon nous.
[14] Ph. Stoffel-Munck, JCP 2008, I, 186
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