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La facilitation de la reprise d’actes par la société en formation : portée et enjeux juridiques. Par Atilla Akturk, Etudiant.
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Parution : vendredi 28 mars 2025
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Dans trois arrêts du 29 novembre 2023 (Cass. com., 29 nov. 2023, n° 21-24.685 ; n° 21-25.518 ; n° 22-11.016), la Cour de cassation modifie sa jurisprudence sur la reprise des actes conclus pour le compte d’une société en formation. Désormais, l’absence de mention expresse de cette qualité dans l’acte n’empêche plus, à elle seule, sa reprise postérieure par la société immatriculée. Une évolution jurisprudentielle majeure, qui concilie sécurité juridique et pragmatisme, tout en invitant à la prudence rédactionnelle.
« L’absence de mention expresse de ce que le contrat est conclu pour le compte d’une société en formation n’interdit pas au juge du fond de rechercher si tel était l’objet de l’acte, au regard de ses stipulations et des circonstances de sa conclusion » [1].
Avant son immatriculation au registre du commerce et des sociétés (RCS), une société n’a pas la personnalité morale. Cela signifie qu’elle ne peut pas contracter elle-même.
Les personnes qui entendent créer une société doivent donc agir en son nom en formation et peuvent conclure des actes préparatoires qui seront, ultérieurement, "repris" par la société une fois immatriculée.
Ce mécanisme de reprise des actes est encadré par l’article 1843 du Code civil et l’article R210-5 du Code de commerce. Il repose sur une exigence stricte : pour être valablement repris, l’acte devait, jusqu’alors, comporter une mention expresse précisant qu’il était accompli « pour le compte de la société en formation ».
Cette exigence, réaffirmée de longue date par la jurisprudence, visait à protéger tant les tiers que les associés, en identifiant clairement les actes susceptibles d’engager la société à venir. À défaut, la reprise était jugée impossible, et la personne ayant contracté restait seule engagée.
Dans trois décisions rendues le 29 novembre 2023 [2], la Cour de cassation opère un infléchissement majeur de cette jurisprudence.
Elle juge que l’absence de mention expresse indiquant que l’acte est conclu « pour le compte d’une société en formation » ne fait pas, à elle seule, obstacle à la reprise. Le juge du fond peut désormais rechercher, au vu des circonstances, si les parties avaient la volonté commune d’agir pour cette société en formation.
Dans l’affaire n° 21-25.518, notamment, la Haute juridiction a validé la reprise d’un contrat malgré l’absence de formule expresse, en se fondant sur plusieurs indices convergents : l’intitulé du projet, la qualité des signataires, les échanges de courriels, et l’objet même de l’acte.
Ce revirement consacre une approche plus souple, fondée sur l’intention des parties, et non plus uniquement sur la lettre de l’acte.
Cette évolution jurisprudentielle emporte des conséquences pratiques notables :
Ce revirement témoigne d’un certain réalisme judiciaire. Le droit des sociétés ne saurait ignorer la complexité des opérations de création d’entreprise. Il doit accompagner les porteurs de projet sans les pénaliser pour des manquements purement formels, lorsqu’aucune mauvaise foi n’est en cause.
Cette évolution rappelle aussi que la notion d’intention centrale en droit des contrats irrigue également le droit des sociétés.
Pour les étudiants en droit, ces arrêts offrent un bel exemple de jurisprudence évolutive. Ils illustrent les enjeux de la formation d’une société, le lien entre formalisme et sécurité juridique, et la capacité du juge à s’adapter aux réalités économiques.
Atilla Akturk, Etudiant en troisième année de droit privé à la Faculté de Droit de Nancy[1] Cass. com., 29 nov. 2023, n° 21-25.518.
[2] Cass. com., 29 nov. 2023, n° 21-24.685 ; n° 21-25.518 ; n° 22-11.016.
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