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Se préparer à un contrôle de l’Agence Française Anticorruption. Par Fleur Jourdan, Avocat et Yanisse Benrahou, Doctorant.
Parution : mardi 4 février 2025
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En décembre 2024, l’Agence Française Anticorruption (AFA) a lancé une nouvelle vague de contrôles pour 2025. Ces contrôles, qui peuvent concerner toutes les entreprises assujetties à la loi Sapin II, mais également les personnes publiques, visent à vérifier que les entités contrôlées ont bien mis en place les huit mesures du dispositif de prévention prévu par la loi.
Comment s’organiser lorsque votre entité est concernée par un contrôle ?

Qu’est-ce que l’Agence française anticorruption ?

L’Agence française anticorruption a été créée par la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. Sa mission est double.

D’une part, elle a un rôle de conseil afin d’aider les entités à prévenir et à détecter les faits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêt, de détournement de fonds et de favoritisme.

D’autre part, l’AFA s’est vu confier des missions de contrôle de la mise en œuvre et de l’efficacité des dispositifs de conformité anticorruption. Dans ce cadre, l’AFA dispose de prérogatives de contrôle sur pièces et sur place.

Pour rappel, les entreprises sont assujetties à l’obligation de mise en place d’un dispositif de prévention de la corruption selon des seuils précis : plus de 500 salariés ou un chiffre d’affaires supérieur à 100 millions d’euros. Les acteurs publics sont eux tous concernés quelle que soit leur taille

Quelques chiffres sur les contrôles de l’Agence française anticorruption.

Selon son rapport annuel [1], en 2023, l’AFA a réalisé 51 contrôles sur site, 104 contrôles documentaires, émis près de 700 recommandations, avec un taux de mise en conformité en progression. Ces chiffres sont çà peu près constants depuis la création du service.

En 2022, l’AFA avait élaboré une nouvelle doctrine de contrôle [[https://www.agence-francaise-anticorruption.gouv.fr/files/files/charte%20contr%C3%B4le%20juin%202022.pd]f] qui repose sur deux phases distinctes et complémentaires :

Lors de ces contrôles, l’AFA peut découvrir des crimes ou délits qu’il lui appartient de dénoncer au procureur de la République ou au parquet financier, conformément à l’article 40 du Code de procédure pénale. Alors que la commission des sanctions n’est que très rarement saisi (et qu’elle n’a jamais prononcé de sanction) c’est cet enjeu de transmissions de faits délictueux au parquet qui est le plus important.

Conseils pratiques pour que l’entreprise s’organise en cas de contrôle.

Voici quelques conseils pratiques pour s’organiser face à de tels contrôles, sachant que le délai entre l’avis de contrôle et la venue des enquêteurs peut être extrêmement court.

1. L’organisation de la venue des enquêteurs.

Il est recommandé d’établir une relation « professionnelle » et coopérative avec les enquêteurs pour le bon déroulement de l’enquête. En particulier, il convient de garder à l’esprit que les enquêteurs n’ont pas nécessairement une connaissance fine et approfondie des enjeux et problématiques spécifiques de l’entreprise. Il appartient donc en pratique à l’entité contrôlée de faire connaître ses caractéristiques et spécificités permettant de mettre en évidence le fait que le dispositif de conformité mis en place est adapté à ses enjeux et à ses compétences.

Il faut commencer par désigner un interlocuteur privilégié (souvent la personne en charge du programme de prévention de la corruption). Il est également préconisé de composer, plus largement, une équipe interne, constituée de membres et/ou conseils de l’entreprise, qui sera en charge de l’enquête. Le nom des personnes composant cette équipe interne sera donné à toutes les personnes auditionnées pour toute question préalable ou postérieure à l’entretien. Cette équipe interne fera notamment un point quotidien sur le déroulement du contrôle (en ce compris les entretiens individuels intervenus dans la journée), afin notamment de suivre, contrôler et, le cas échéant, réorienter le processus en temps réel, et d’assurer une communication coordonnée et maîtrisée tout au long de ce dernier.

2. La transmission des documents.

Il convient d’organiser avec les enquêteurs la méthode et la procédure de transmission des documents sollicités, et la gestion des désaccords sur la communication de certains documents.

En principe, les enquêteurs ne sont pas autorisés à demander la communication de documents sans rapport avec le périmètre de l’enquête, tant en ce qui concerne le secteur que la période de référence, laquelle ne peut être antérieure au 1ᵉʳ juin 2017, date d’entrée en vigueur des obligations de la loi Sapin II.

Ainsi, ne peuvent être sollicités que les documents qui permettent d’attester de l’efficacité du dispositif de conformité mis en place.

La loi dispose que les agents de l’AFA peuvent être habilités à se faire communiquer tout document professionnel. Cependant, la nouvelle version de la Charte établissant le protocole de contrôle ne contient plus, contrairement aux anciennes versions d’octobre 2017 et avril 2019, de mention prévoyant que « les entités contrôlées ne peuvent se prévaloir du secret professionnel pour refuser d’accomplir l’une de ces obligations ». Aussi, aucune disposition n’autorise explicitement les enquêteurs à passer à considérer qu’ils peuvent examiner et/ou copier des documents couverts par le secret professionnel. La communication des données relatives aux marchés ou aux contrats qui comportent le plus souvent des éléments relevant du secret des affaires devra donc être particulièrement surveillée.

3. L’accompagnement par un avocat.

Le droit pour l’entreprise contrôlée d’être assistée d’un avocat, notamment pendant les entretiens qui se déroulent à l’occasion du contrôle sur place, a donné lieu à de nombreux débats.

L’AFA, dans sa Charte des droits et devoirs des parties prenantes aux contrôles, a ouvert la possibilité aux personnes reçues en entretien d’être assistées de la ou des personne(s) de leur choix, avec l’accord du chef de l’équipe de contrôle, à condition toutefois que cela ne nuise pas à la confidentialité des échanges et à la qualité de l’entretien.

Cette assistance par un avocat paraît d’autant plus indispensable qu’aucun procès-verbal des entretiens n’est dressé par les agents de l’AFA, alors même que certain verbatim peuvent être utilisés, dans le rapport de contrôle, comme fondement d’un constat de manquement.

4. La préparation des entretiens.

Pour se préparer à l’entretien, les personnes interrogées pourront revoir les documents qui composent le dispositif de conformité mis en place (cartographie des risques, chartes éthiques, codes de conduite, dispositifs d’alerte, etc.) afin de répondre précisément aux questions posées.

Les questions ont vocation à tester la bonne connaissance des outils mis en place et l’appropriation par les agents, l’équipe dirigeante et les cadres des principes éthiques, des notions de risques et des comportements à adopter en cas de survenance de situations à risque.

Une préparation collective des entretiens est recommandée. Elle permet de remettre dans son contexte la venue des enquêteurs, de faire le point sur les dispositifs de conformité déployés et de préparer certaines questions.

Elles portent par exemple sur les thèmes suivants :

5. Le déroulement des entretiens individuels.

Il est important de ne pas faire preuve d’hostilité. Il convient également d’avoir en tête que la loi Sapin 2 dispose que le fait de faire échec à un contrôle est puni de 30 000€ d’amende. Il ne faut donc pas adopter une attitude de défense mais plutôt une attitude collaborative et positive envers le dispositif de lutte contre la corruption.

Le dispositif de prévention de la corruption s’évalue comme une démarche dynamique placée sous le signe du « progrès continu ». Il est donc primordial de ne pas donner l’impression d’un manque de coopération.

De manière générale, il convient de répondre aux questions par des réponses aussi précises et concises que possible. Les personnes interrogées ne doivent pas spéculer et se limiter à répondre aux questions posées. Si elles ne connaissent pas la réponse, elles doivent simplement l’indiquer.

Il est préconisé de prévenir les personnes interrogées qu’elles ne doivent en aucun cas communiquer de nouveaux documents aux enquêteurs. Si un document est demandé, il faut lui répondre que ce document sera communiqué ultérieurement par l’équipe interne en charge du contrôle, qui conservera une traçabilité de tous les documents communiqués à l’AFA.

Les contrôles de l’AFA sont organisés sur des périodes relativement courtes et sont donc très intenses pour les entreprises contrôlées. La réunion de clôture marque la fin de la communication de nouveaux documents, il est donc nécessaire de préparer au mieux ces phases d’enquête afin d’être le plus réactif et le plus convaincant possible sur la pertinence des dispositifs mis en place.

6. La réception du rapport préalable et l’exercice du contradictoire.

Il convient de procéder à une lecture attentive de la première version du contrôle de l’AFA.

Le premier enjeu réside dans la correction des fautes ou incompréhensions issues de l’enquête. En effet, les agents de l’AFA peuvent notamment avoir mal interprété des éléments recueillis lors des entretiens individuels.

Ensuite, compte tenu du fait que la doctrine de contrôle correspond à une application du principe de « comply or explain » impliquant de respecter, à la lettre, les recommandations à la lettre de l’AFA (pour bénéficier d’une présomption de conformité) ou d’expliquer les particularismes justifiant les choix différents retenus, il est important de répondre aux remarques de l’AFA.

Enfin, il faut exposer à l’AFA son programme de travail à court, moyen et long terme.

En effet, l’évaluation dynamique du programme de prévention de la corruption implique de pouvoir lever un manquement ou une observation du fait de la pertinence et la crédibilité du plan de travail présenté à l’AFA.

Fleur Jourdan, Associée fondatrice Avocat au Barreau de Paris et Yanisse Benrahou, doctorant Fleurus Avocats Droit public et éthique des affaires https://www.fleurusavocats.com/team

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