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Régime social de l’indemnité transactionnelle liée au contrat de travail : une clarification bienvenue. Par Xavier Berjot, Avocat.
Parution : lundi 3 février 2025
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Dans un arrêt du 30 janvier 2025 (Cass. civ. 2, 30-1-2025, n° 22-18.333), la Cour de cassation clarifie le régime social des indemnités transactionnelles liées au contrat de travail.

Cette décision constitue une étape importante dans la construction du régime de l’indemnité transactionnelle en lien avec l’exécution ou la rupture du contrat de travail.

1. Le principe : le régime de l’indemnité dépend de l’élément réparé.

Les litiges entre l’employeur et le salarié surviennent souvent à l’occasion de la rupture du contrat, principalement après un licenciement.

Des différends peuvent également s’élever au sujet de l’exécution de la relation professionnelle : souffrance au travail, harcèlement moral, repos compensateur, heures supplémentaires, indemnité de non-concurrence, …

D’ailleurs, à l’occasion d’une contestation amiable ou en justice, le salarié forme souvent des demandes liées à la fois à l’exécution et à la rupture du contrat de travail.

La transaction peut donc avoir pour objet de régler un litige relatif :

Or, c’est la nature de l’élément réparé par l’indemnité transactionnelle qui détermine son régime social et fiscal.

2. Le régime de l’indemnité portant sur l’exécution du contrat de travail.

2.1. Régime social.

Comme l’indique la Cour de cassation [1], les sommes versées en exécution des transactions conclues avec les salariés constituant un élément de rémunération versé en contrepartie ou à l’occasion du travail entrent dans l’assiette des cotisations et contributions.

En l’espèce, l’indemnité transactionnelle avait été versée en réparation du préjudice subi du fait du refus de la société d’accorder des jours de repos complémentaires ou de compenser des heures de dotation vestimentaire.

Cette solution avait déjà été retenue au sujet d’une indemnité transactionnelle tendant à indemniser le préjudice né de l’impossibilité, pour des salariés, de prendre leur pause accordée en compensation du temps d’habillage et de déshabillage [2].

A l’inverse, si l’indemnité transactionnelle a pour objet de réparer un préjudice dénué de tout caractère salarial, elle n’a pas à être assujettie à cotisations [3].

Ces décisions ont établi une distinction fondamentale entre les sommes ayant un caractère indemnitaire et celles représentant un complément de rémunération.

La Cour de cassation a poursuivi la construction de sa jurisprudence avec un arrêt important du 17 février 2022 [4].

Cette décision a reprécisé les conditions d’exonération des indemnités transactionnelles lorsqu’elles réparent un préjudice lié aux conditions d’exécution du contrat de travail.

En l’espèce, deux salariés avaient conclu une transaction avec leur employeur, renonçant à leur demande de résiliation judiciaire en contrepartie d’une indemnisation.

L’Urssaf avait contesté l’exonération de ces sommes, estimant que leur caractère indemnitaire n’était pas suffisamment établi.

La cour d’appel avait invalidé le redressement en relevant que les indemnités versées visaient à réparer un préjudice résultant du non-respect des temps de repos dans le cadre d’une convention de forfait-jours et des règles relatives aux congés payés.

La Cour de cassation a confirmé cette analyse en soulignant que les juges du fond avaient fait ressortir

« la commune intention des parties d’indemniser les salariés des conséquences du manquement de l’employeur à ses obligations en matière de santé et de sécurité au travail ».

2.2. Régime fiscal.

Les dommages-intérêts versés à un salarié en réparation d’un préjudice lié à l’exécution du contrat de travail et dépourvus de tout lien avec un élément de salaire ne relèvent pas du champ d’application des articles 79 à 81 quater du Code général des impôts (CGI).

Ces articles définissent la notion de revenu imposable et s’inscrivent dans le § V du CGI, intitulé « V : Traitements, salaires, pensions et rentes viagères (Articles 79 à 90) ».

Toutefois, par exception, l’article 80 du CGI prévoit que sont assimilées à des traitements et salaires les indemnités supérieures à un million d’euros « perçues au titre du préjudice moral fixées par décision de justice ».

En conséquence, l’indemnité accordée à un salarié en réparation d’un préjudice subi au cours de l’exécution du contrat de travail échappe à l’impôt, sauf si elle revêt le caractère d’un élément de salaire.

Enfin, l’application de la CSG/CRDS sur des dommages-intérêts n’est pas prévue par les textes [5].

La solution est logique car les dommages-intérêts ne correspondent pas à un revenu d’activité mais indemnisent un préjudice (pretium doloris).

3. Le régime de l’indemnité portant sur la rupture du contrat de travail.

3.1. Régime social.

Additionnée à l’indemnité de licenciement, l’indemnité transactionnelle est exclue de l’assiette des cotisations sociales, dans la limite d’un montant fixé à deux fois la valeur annuelle du plafond de la Sécurité sociale (« PASS »), soit 94.200 € pour 2025 (47.100 € x 2) [6].

La partie excédentaire est assujettie à cotisations patronales et salariales, comme les salaires.

Par ailleurs, la partie qui excède le montant de l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement est toujours soumise à CSG/CRDS, soit 9,7% au total, à la charge du salarié.

Enfin, lorsque les indemnités de rupture dépassent 10 fois le PASS (soit 471.000 € en 2025), elles sont soumises à cotisations sociales dès le premier euro.

3.2. Régime fiscal.

L’indemnité transactionnelle est exonérée d’impôt sur le revenu dans la limite suivante (la plus haute est retenue) :

4. L’apport de l’arrêt du 30 janvier 2025.

4.1. Une espèce révélatrice des enjeux pratiques.

L’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 30 janvier 2025 [7] illustre parfaitement les difficultés pratiques rencontrées dans l’application du régime social des indemnités transactionnelles.

Dans cette affaire, l’indemnité transactionnelle avait pour objet de réparer les préjudices, notamment moraux et professionnels, dont un salarié entendait se prévaloir en raison des conditions dans lesquelles il avait exercé ses fonctions et avait été privé de son emploi.

Pour la Cour d’appel, cette indemnité avait pour objet de compenser le préjudice né des conditions d’exercice du contrat de travail et de sa rupture.

Or, le salarié contestait la retenue de cotisations sociales opérée partiellement par l’employeur.

Ce dernier soutenait que l’exonération de cotisations sociales était nécessairement limitée à deux fois le plafond annuel de la Sécurité sociale, même pour les sommes réparant un préjudice.

4.2. Une solution novatrice aux implications importantes.

La Cour de cassation approuve la cour d’appel à l’appui d’un raisonnement en deux temps :

Pour rappel, l’article L242-1, II, 7°, du Code de la Sécurité sociale vise les indemnités versées à l’occasion de la rupture du contrat de travail ou de la cessation forcée des fonctions de mandataires sociaux et dirigeants qui ne sont pas imposables en application de l’article 80 duodecies du même code.

La solution est donc claire : l’indemnité transactionnelle présentant une nature indemnitaire n’est pas assujettie à cotisations sociales, qu’elle soit versée ou non à l’occasion de la rupture du contrat de travail, sans considération de son montant.

Cette décision revêt une importance considérable car elle permet une exonération des cotisations sociales pour les indemnités réparant un préjudice, sans considération de leur montant.

Elle renforce ainsi l’attractivité des solutions transactionnelles tout en préservant les droits des salariés à une réparation intégrale de leurs préjudices.

Pour autant, la Cour de cassation ne va pas jusqu’à dire que l’indemnité transactionnelle versée au salarié est toujours exonérée de cotisations sociales.

D’ailleurs, la formulation retenue est la suivante : « l’indemnité versée ne devait pas entrer dans l’assiette des cotisations sociales pour son entier montant  ».

Il appartient alors au juge du fond de caractériser la nature de l’élément réparé par l’indemnité transactionnelle et d’apprécier la valorisation retenue par les parties.

5. La doctrine administrative.

Le Bulletin officiel de la Sécurité sociale a intégré la jurisprudence de la Cour de cassation dans sa doctrine [8].

« En dehors des indemnités pouvant être exclues de l’assiette des cotisations et contributions sociales dans les conditions prévues par la loi, une somme représentative de dommages-intérêts indemnisant un préjudice (moral ou personnel) autre que la perte de salaire peut dans certains cas être exclue de l’assiette des cotisations, lorsque l’employeur apporte la preuve qu’elle concourt, pour tout ou partie de son montant, à l’indemnisation d’un préjudice résultant de la rupture du contrat de travail du salarié.
Il en va ainsi lorsqu’une décision de justice constate la réalité de ce préjudice et considère que les sommes versées constituent des dommages-intérêts
 ».

A noter : le BOSS fait expressément référence aux arrêts de principe de la Cour de cassation, dont ceux du 15 mars 2018 (cf. § 2.2).

L’Urssaf adopte la même solution, dans les termes suivants [9] :

« Pour distinguer les sommes qui ont un caractère indemnitaire de celles qui ont le caractère de rémunération, le sens et la portée de la transaction peuvent être recherchés :
- à partir des termes mêmes du document transactionnel,
- mais aussi à partir des éléments extérieurs à cette transaction (circonstances de fait, relations entre les parties…).
L’Urssaf est ainsi compétente pour rechercher si l’indemnité transactionnelle versée correspond à une ou plusieurs indemnités susceptibles d’être exonérées, ou bien s’il s’agit d’éléments de salaire soumis à cotisations
 ».

Cette reconnaissance administrative renforce la sécurité juridique des praticiens en établissant des critères clairs pour l’exonération des indemnités transactionnelles.

L’administration admet ainsi qu’une somme représentative de dommages-intérêts indemnisant un préjudice moral ou personnel puisse être exclue de l’assiette des cotisations.

Cette exclusion est toutefois conditionnée à la preuve, par l’employeur, du caractère indemnitaire des sommes versées.

6. Les implications pratiques de l’arrêt du 30 janvier 2025.

6.1. Une nouvelle approche de la rédaction des protocoles transactionnels.

La décision du 30 janvier 2025 impose aux praticiens de revoir leur approche dans la rédaction des protocoles transactionnels.

La qualification précise des sommes versées et la justification détaillée des préjudices réparés deviennent des éléments essentiels pour sécuriser l’exonération totale de cotisations sociales.

Les avocats doivent désormais porter une attention particulière à la description des différents chefs de préjudice et à leur valorisation.

Cette exigence de précision implique un travail préparatoire approfondi pour identifier et documenter les préjudices subis par le salarié.

Il devient essentiel de conserver tous les éléments de preuve susceptibles de justifier la réalité et l’étendue des préjudices allégués, qu’ils soient d’ordre moral, professionnel ou économique.

6.2. L’émergence probable de nouveaux contentieux.

La jurisprudence du 30 janvier 2025 ouvre la voie à de nouveaux types de contentieux, notamment sur la qualification des préjudices et la justification de leur réalité.

Les Urssaf pourraient être amenées à contrôler plus strictement la nature des préjudices indemnisés et l’existence d’éléments probants justifiant leur réparation.

Par ailleurs, les contestations relatives au montant des cotisations prélevées sur les indemnités transactionnelles risquent de se multiplier, les salariés étant désormais mieux armés pour contester les retenues opérées sur des sommes ayant un caractère indemnitaire.

Xavier Berjot Avocat Associé au barreau de Paris Sancy Avocats [->xberjot@sancy-avocats.com] [->https://bit.ly/sancy-avocats] LinkedIn : https://fr.linkedin.com/in/xavier-berjot-a254283b

[1Cass. civ. 2, 28-11-2019, n° 18-22.807.

[2Cass. civ. 2, 19-1-2017, n° 16-11.472.

[3Cass. civ. 2, 15-3-20218, n° 17-10.325 ; n° 17-11.336.

[4N° 20-19.516.

[5CSS. art. L136-1-1 pour la CSG et ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 pour la CRDS.

[6CSS. art. L242-1 ; CGI art. 80 duodecies.

[7N° 22-18.333.

[8BOSS, Indemnités de rupture, § 1720.

[9Source : urssaf.fr.

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