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Transferts FIFA : une révision dictée par le droit européen. Par Jazil Lounis, Avocat.
Parution : mardi 14 janvier 2025
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Suite aux critiques formulées par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), la FIFA a décidé de réviser provisoirement, dès le 1ᵉʳ janvier 2025, son règlement du statut et du transfert des joueurs (RSTJ). Ces ajustements, adoptés dans l’urgence, visent à préserver l’intégrité des transferts internationaux tout en réduisant les risques juridiques et économiques associés à ses anciennes pratiques. Plongée au cœur d’une saga qui secoue le monde du football.

Sous la pression de la CJUE, qui a sévèrement critiqué certaines de ses règles jugées incompatibles avec le droit de l’Union européenne, la FIFA a répondu en procédant à une révision provisoire de son RSTJ. Applicable depuis le 1ᵉʳ janvier 2025, ce cadre provisoire vise à renforcer la clarté et la prévisibilité des règles relatives aux ruptures de contrat et aux transferts, tout en tentant de répondre aux exigences imposées par l’arrêt Diarra du 4 octobre 2024.

L’arrêt Diarra : un rappel des principes du droit de l’Union européenne.

Lassana Diarra, joueur de football professionnel français, avait signé un contrat avec le club russe du Lokomotiv Moscou. Cependant, avant le terme de cet engagement, le club a décidé de résilier son contrat en invoquant le comportement du joueur comme cause principale. Conformément au RSTJ de la FIFA, cette rupture a été qualifiée de rupture sans juste cause et jugée imputable au joueur.

Cette position a été confirmée par la Chambre de Résolution des Litiges de la FIFA et ensuite par le Tribunal Arbitral du Sport (TAS), condamnant le joueur à verser une indemnité de 10,5 millions d’euros à son ancien club, sur la base de l’article 17 du RSTJ.

Après la rupture de son contrat, le joueur a souhaité s’engager avec un nouveau club, le Sporting de Charleroi en Belgique. Cependant, il a été confronté à plusieurs obstacles liés aux règles strictes de la FIFA :

En recrutant le joueur, le club belge aurait été tenu de payer solidairement l’indemnité de 10,5 millions d’euros au Lokomotiv Moscou. Le RSTJ cherche à dissuader les clubs de recruter des joueurs ayant rompu leur contrat sans juste cause, présumant l’implication du nouveau club dans la rupture du contrat. Par ailleurs, la CJUE a critiqué les critères imprécis, discrétionnaires ou encore disproportionnés utilisés pour calculer ces indemnités.

Le RSTJ présume que tout club recrutant un joueur dans ces conditions l’a incité à rompre son précédent contrat. En conséquence, le Sporting de Charleroi risquait une interdiction générale de recruter pendant une période déterminée, jugée excessive et dissuasive par la Cour.

Le RSTJ interdit à la fédération nationale du précédent club (en l’espèce, la fédération russe) de délivrer un certificat international de transfert tant qu’un litige relatif à la rupture du contrat subsiste. Sans ce certificat, le joueur ne peut être enregistré par son nouveau club.

Une atteinte au droit de l’Union européenne.

Estimant que ces règles étaient contraires au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), le joueur a contesté leur légalité devant les juridictions belges, avant de porter l’affaire devant la CJUE par le biais d’un renvoi préjudiciel. Sa contestation reposait principalement sur deux arguments majeurs, confirmés par la CJUE :

Dans son arrêt, la Cour ne remet pas en cause le principe du système des transferts, ni la possibilité d’apporter des restrictions à la liberté de circulation des travailleurs ou de bénéficier d’une exemption, à condition de respecter des conditions strictes.

En effet, s’agissant de la libre circulation des travailleurs, ces restrictions doivent poursuivre un objectif légitime d’intérêt général et respecter le principe de proportionnalité. Cela suppose qu’elles soient adaptées à la réalisation de leur objectif et qu’elles n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire. En somme, les restrictions doivent trouver un juste équilibre entre leur finalité et leur impact sur les libertés des acteurs concernés.

S’agissant de la libre concurrence, une exemption est possible, en l’espèce, si cela permet de générer des gains d’efficacité, dont une part équitable est réservée aux utilisateurs, tout en imposant uniquement des restrictions nécessaires, sans que cela ne supprime toute concurrence effective sur une partie substantielle du marché. Autrement dit, les avantages générés doivent contrebalancer les effets négatifs.

Les modifications du RSTJ : une réponse aux critiques de la CJUE.

Suite à l’arrêt de la CJUE, la FIFA a pris acte de cette décision et a procédé à une révision provisoire de son RSTJ.

Le cadre provisoire introduit une définition de la juste cause permettant la rupture d’un contrat sans conséquences financières ou sportives. La juste cause est désormais définie comme toute situation où une partie ne peut raisonnablement et de bonne foi être tenue de maintenir la relation contractuelle. Cet ajout ne constitue pas un changement de pratique, il codifie plutôt la jurisprudence établie du TAS. L’ajout de cette formulation permettra d’apporter plus de clarté et de prévisibilité aux parties qui ne sont peut-être pas familières avec cette pratique, tout en renforçant l’approche factuelle du TAS lorsqu’il s’agira de déterminer s’il existe une juste cause dans un cas particulier.

Toute partie ayant subi un préjudice du fait de la rupture d’un contrat peut prétendre à une indemnisation. Celle-ci doit être déterminée en fonction des dommages effectivement subis, conformément au principe de l’intérêt positif, qui doit tenir compte des faits et circonstances de l’espèce ainsi que du droit national en vigueur dans le pays concerné. Le cadre réglementaire provisoire n’est plus fondé sur les critères de calcul assez larges qui avaient été jugés problématiques par la CJUE dans l’arrêt Diarra. La FIFA adopte une approche plus transparente et objective avec la suppression des critères jugés arbitraires remplacés par le principe de l’intérêt positif, visant à replacer la partie lésée dans la situation qu’elle aurait connue sans la rupture.

Désormais, le nouveau club du joueur pourrait être tenu solidairement responsable du paiement des indemnités si, au regard des faits et circonstances de l’espèce, sa responsabilité dans la rupture du contrat est établie. Le cadre réglementaire provisoire inverse la charge de la preuve en ce qui concerne la responsabilité solidaire du nouveau club. Ce dernier ne pourra être tenu solidairement responsable du paiement de l’indemnité que si le club demandeur peut prouver qu’il a incité le joueur à rompre son contrat.

Les circonstances des sanctions sportives applicables aux clubs ayant incité un joueur à rompre un contrat pendant une période protégée sont clarifiées. Désormais, une sanction sportive peut être imposée au nouveau club d’un joueur si, compte tenu des faits et circonstances de l’espèce, il peut être établi que celui-ci a incité le joueur à rompre le contrat pendant la période protégée. Là encore, le cadre réglementaire provisoire inverse la charge de la preuve concernant l’incitation à la rupture du contrat qui incombe au club demandeur.

Nouveauté de la révision, les parties sont tenues de collaborer activement et de bonne foi à l’établissement des faits et de répondre à toute demande de preuve émanant d’une chambre arbitrale, du secrétariat général de la FIFA ou d’une autre partie impliquée. Toute partie sollicitant une preuve doit justifier de sa pertinence et de la probabilité de son existence. En cas de manquement à cette obligation de collaboration, une présomption défavorable pourra être retenue à l’encontre de la partie défaillante.

Le cadre de cette nouvelle règle découle de l’inversion de la charge de la preuve opérée par les articles 17, paragraphes 2 et 4 du RSTJ, conjuguée aux difficultés probatoires inhérentes auxquelles les parties peuvent se heurter dans le cadre des procédures. Dans ce contexte, il apparaît pertinent d’obliger les parties à coopérer en fournissant les éléments de preuve requis et d’accorder au tribunal le droit de tirer une présomption défavorable en cas de défaut de collaboration ou de résistance à une demande de preuve.

Autre nouveauté, l’ancien club ne pourra plus refuser une demande de certificat international de transfert. En l’absence de réponse sous 72 heures, le nouveau club peut enregistrer le joueur et entrer ses informations dans le système de correspondance des transferts. En cas de circonstances exceptionnelles (demande abusive ou erreur technique notamment), le joueur ou l’un des clubs peut demander l’intervention de la FIFA. Surtout, un litige contractuel entre le joueur, l’ancien club et/ou le nouveau club ne peut bloquer la délivrance du certificat.

Un rééquilibrage significatif sans véritable révolution.

Les modifications apportées au RSTJ traduisent une volonté manifeste de la FIFA de se conformer aux exigences du droit de l’Union européenne, tout en préservant le système existant. Pour autant, elles ne sauraient être qualifiées de révolutionnaires dans la mesure où elles n’engendrent pas une transformation profonde et radicale du cadre réglementaire. Cela étant dit, ces modifications ont le mérite de rééquilibrer les droits et obligations des parties. Cette version provisoire du RSTJ devra être attentivement analysée une fois qu’elle sera définitive, afin de mesurer son impact réel sur le fonctionnement des transferts et les relations entre les différents acteurs.

Jazil Lounis, Avocat au Barreau de Paris

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