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Fraude au président : l’obligation renforcée de vigilance des banques. Par Noémie Le Bouard, Avocat.
Parution : lundi 25 novembre 2024
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La fraude au président, mécanisme de plus en plus utilisé par les escrocs, pose des défis importants pour les entreprises et les établissements bancaires. Cette pratique, qui repose sur l’usurpation d’identité du dirigeant, vise à induire en erreur les employés chargés de la gestion des comptes bancaires pour effectuer des virements frauduleux.

Dans un arrêt récent [1], la Cour de cassation a rappelé les obligations de vigilance des banques face à ce type de fraude. Cet article analyse en profondeur les enjeux de cette décision et ses implications pratiques.

Comprendre la fraude au président et son mécanisme.

La fraude au président repose sur l’exploitation de la confiance hiérarchique au sein des entreprises. Elle se manifeste généralement par l’envoi d’un e-mail ou d’un appel téléphonique émanant prétendument du dirigeant ou d’un membre important de la direction. Ces communications, souvent très bien falsifiées, pressent un salarié de réaliser un virement bancaire, sous prétexte d’une opération confidentielle ou urgente.

Les caractéristiques typiques de la fraude.

Ces stratagèmes visent non seulement les entreprises de grande taille, mais également les PME, souvent moins préparées à détecter de telles anomalies.

L’obligation de vigilance des banques : cadre légal et jurisprudentiel.

La relation entre un client et sa banque repose sur une double exigence : la protection des fonds déposés et la fluidité des opérations bancaires. Dans le cadre des fraudes au président, les banques sont tenues de respecter une obligation de vigilance, qui découle tant des dispositions légales que des principes dégagés par la jurisprudence.

Fondement légal de l’obligation de vigilance.

En matière d’opérations de paiement, l’article L133-16 du Code monétaire et financier impose aux banques de vérifier les ordres de paiement en cas de soupçon d’irrégularités. Bien que ce texte ait initialement été conçu pour protéger les consommateurs, la Cour de cassation l’a étendu à la relation banque-entreprise dans des affaires similaires [2].

L’article insiste sur la nécessité pour les banques de détecter les anomalies apparentes dans les ordres de paiement. Une anomalie peut être :

Jurisprudence récente : un rappel des obligations renforcées.

Dans l’arrêt rendu le 2 octobre 2024 [3], la Cour de cassation a jugé que les virements effectués par une comptable, sur la base de courriels frauduleux usurpant l’identité du dirigeant, présentaient des caractéristiques suffisantes pour alerter la banque.

Les anomalies relevées par la cour incluaient :

La cour a considéré que la banque aurait dû, au minimum, contacter directement le dirigeant pour vérifier la régularité des opérations.

Les limites de l’obligation de vigilance : non-ingérence et partage des responsabilités.

Bien que les banques soient tenues à une vigilance accrue, leur obligation n’est pas sans limites. L’article 1231-1 du Code civil (anciennement article 1147) précise que la responsabilité contractuelle ne peut être engagée que si une faute est clairement établie. Cela suppose de démontrer que la banque a manqué à son devoir de vigilance ou qu’elle a négligé des signaux d’alerte évidents.

Le principe de non-ingérence.

La relation contractuelle interdit aux banques de s’immiscer dans les affaires de leurs clients. Ce principe, énoncé à plusieurs reprises par la jurisprudence [4], signifie que la banque ne peut pas questionner systématiquement les ordres de paiement ni exiger des justificatifs sans motif légitime.

Dans l’affaire [5], la banque a tenté de se défendre en affirmant qu’elle ne pouvait aller au-delà d’un contrôle de surface. Cependant, la Cour a estimé que les anomalies apparentes constituaient un motif légitime de vérifier les ordres auprès du dirigeant, seul habilité contractuellement à valider ces transactions.

Le partage des responsabilités.

L’arrêt du 2 octobre 2024 illustre également le partage des responsabilités entre l’entreprise victime et la banque. Dans cette affaire, la responsabilité de la banque a été limitée à 50% en raison des failles internes de l’entreprise. Parmi ces failles figuraient :

Ce partage des responsabilités rappelle que les entreprises doivent elles aussi prendre des mesures proactives pour protéger leurs actifs.

Les enseignements pratiques de l’arrêt pour les entreprises et les banques.

L’arrêt du 2 octobre 2024 offre des enseignements précieux pour les acteurs économiques, qu’il s’agisse des banques ou des entreprises. Ces enseignements se traduisent par des mesures concrètes à mettre en œuvre pour prévenir les fraudes.

Conseils pour les entreprises.

Obligations des banques.

Conclusion : une vigilance partagée pour prévenir les fraudes.

La fraude au président illustre les défis posés par l’évolution des techniques d’escroquerie. La décision de la Cour de cassation [6] met en lumière la nécessité d’une collaboration étroite entre banques et entreprises pour renforcer la sécurité des opérations financières.

Si les banques doivent assumer une vigilance accrue, les entreprises ne peuvent se soustraire à leurs responsabilités internes. En adoptant des mesures préventives robustes et en veillant à une communication claire avec leurs partenaires bancaires, elles peuvent réduire significativement les risques associés à ces fraudes.

Ainsi, cet arrêt offre une lecture équilibrée des responsabilités respectives des parties, tout en rappelant l’importance de la prudence dans un environnement économique marqué par une recrudescence des fraudes complexes.

Noémie Le Bouard, Avocat Barreau de Versailles Le Bouard Avocats https://www.lebouard-avocats.fr https://www.lebouardavocats.com/

[1Cass. com., 2 oct. 2024, n° 23-13.282.

[2Cass. com., 14 févr. 2024, n° 22-11.654.

[3Cass. com., 2 oct. 2024, n° 23-13.282.

[4Cass. com., 22 nov. 2011, n° 10-30.101.

[5Cass. com., 2 oct. 2024.

[6Cass. com., 2 oct. 2024, n° 23-13.282.

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