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Les apports de la loi 73-17 : un cadre légal pour la pérennité des entreprises au Maroc. Par Taib Benkirane, Doctorant.
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Parution : lundi 22 avril 2024
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En réponse aux défis économiques et aux besoins changeants du marché, le Maroc a récemment adopté une législation visant à soutenir la continuité des activités économiques, le maintien de l’emploi et la résolution des difficultés financières des entreprises. La loi 73-17 abrogeant et remplaçant le titre V de la loi 15-95 formant code de commerce, publiée au bulletin officiel le 23 avril 2019, relatif au traitement des difficultés de l’entreprise constitue une étape importante dans ce processus, fournissant un cadre juridique actualisé et adapté aux réalités économiques actuelles. Dans ce modeste travail, nous éluciderons en premier lieu les apports pertinents de la loi 73-17 à savoir au niveau de la prévention interne et externe pour ensuite s’intéresser à l’innovation majeure de la loi 73-17 dite la procédure de sauvegarde.
L’objectif principal de cette loi est de créer un environnement favorable à la poursuite des activités économiques et à la préservation des emplois, tout en facilitant la restructuration et la résolution des difficultés financières rencontrées par les entreprises en donnant plus d’intérêt aux créanciers.
En abrogeant et remplaçant le titre V de la loi 15-95, cette nouvelle législation vise à moderniser et à renforcer le cadre juridique relatif à la prévention et au règlement des difficultés des entreprises avec la mise en place de l’innovation phare à savoir la procédure de sauvegarde. Ainsi, il convient de rappeler que selon le classement ‘’Doing Business’’, le Maroc, qui n’était pas concerné par cette enquête, avait gagné 7 rangs dans le dernier classement ‘’Doing Business 2023’’, s’adjugeant la 53e place sur 190 pays.
La première nouveauté de la loi 73-17 réside dans la place qu’elle consacre au renforcement du volet de prévention en anticipant les difficultés. Le texte a pour but de maintenir l’activité de l’entreprise en évitant au maximum d’aller vers le redressement ou encore la liquidation.
Devant une situation où la majorité des affaires de procédures collectives que comptent les tribunaux concernent des sociétés en redressement ou en liquidation, très rarement en prévention. De ce fait, la prévention reste le maillon faible des procédures collectives. À partir de ce constat, il s’avère que le recours au redressement judiciaire ne permet pas d’arriver à l’intérêt fixe, à savoir, sauver l’entreprise.
Partant du principe "Mieux prévenir que guérir", le recours au mécanisme de prévention serait la solution adéquate. Néanmoins, durant toute l’application du livre V, les mesures de prévention ne sont pas engagées d’une manière réelle et effective, d’où la nécessité cruciale du renforcement de ces mécanismes pour plus d’efficacité et un meilleur rendement.
Au niveau de la prévention interne, On remarque l’élargissement des causes donnant lieu à l’application de la procédure de prévention interne en ajoutant "les difficultés de nature juridique, économique, financière ou sociale" dans les dispositions de l’article 547 de la loi 73-17.
Au niveau de la prévention externe, les modifications envisagées peuvent être regroupées en trois points essentiels :
Veiller sur la formulation d’un texte de loi clair, et ce par la mise en place d’une terminologie plus exacte afin d’éviter toute confusion comme à titre d’exemple le remplacement de l’expression "règlement amiable" par l’expression "conciliation" afin d’éviter toute confusion avec "règlement judiciaire".
Préciser quelques notions, afin d’éviter toute mauvaise interprétation :
Cette procédure a été limitée aux commerçants. Désormais, les artisans sont expressément exclus. La loi 73-17 prévoit aussi que la procédure de prévention externe est confidentielle (article 549 alinéa 5).
Prévoir le sort de l’inexécution du l’accord amiable, en précisant que le Président du tribunal de commerce renvoi le dossier avec ordonnance d’ouverture de la procédure de redressement ou de liquidation.
La clarification du mécanisme du mandataire spécial :
Pour le mandataire spécial, il y a eu un élargissement du champ de son intervention, en plus de son intervention pour réduire les oppositions éventuelles des partenaires habituelles avec l’entreprise, l’élargissement a touché aussi les oppositions sociales, les oppositions entre associés et les difficultés de nature à compromettre la continuité de l’exploitation de l’entreprise (article 550 de la loi 73-17.)
Ajoutant à cela que le législateur a favorisé et a donné plus de chance au mandataire spécial en prévoyant que, dans le cas où celui-ci n’avait pas réussi sa mission, il dépose un rapport auprès du Président du tribunal. Suivant ce rapport et sous réserve de l’accord du chef de l’entreprise, le Président du tribunal peut décider le prolongement de la durée s’il constate que ses mesures peuvent aboutir à la réussite de sa mission ( article 550 alinéa 3 de la loi 73-17).
Cette intervention de modification du cadre actuel repose sur trois points essentiels :
Mettre une définition plus précise de la notion de cessation de paiement : « Impossibilité pour l’entreprise de faire face au passif exigible avec son actif disponible, y compris les créances qui sont nées de son engagement conclu dans le cadre de l’accord amiable prévu dans l’article 575 de la loi 73-17.
Préciser ce qu’on entend par le créancier qui a le droit de demander l’ouverture de la procédure, en le considérant comme le créancier dont sa créance est certaine et liée à l’activité commerciale de l’entreprise qui est prévu par les dispositions de l’article 578 de la loi 73-17.
L’ouverture des procédures collectives ne concerne plus les artisans. La situation de cessation de paiement n’est plus constatée
chez les artisans.
L’ajout de certains documents que le débiteur doit fournir pour prouver son état de cessation de paiement (article 577 de la loi 73-17).
Prérogative du tribunal de prendre toutes mesures nécessaires, lui permettant de s’assurer de la réalité de l’état de cessation de paiement (article 577 alinéa 4 de la loi 73-17).
Lors de la phase de déclaration des créances, on peut évoquer le cas des créanciers privilégiés mentionné par l’article 590 de la loi 73-17 qui dispose que : ’’Les créances nées régulièrement après le jugement d’ouverture et qui sont indispensables à la poursuite de cette procédure, sont payées à leurs dates échues’’.
Lors de la préparation du rapport, afin d’être plus exact et précis, le syndic doit partager le rapport avec les principaux créanciers selon les dispositions de l’article 603 alinéa 3 de la loi 73-17.
Le syndic est tenu désormais de dresser un état des réponses faites par les créanciers au terme de leur consultation individuellement ou collectivement selon les dispositions de l’article 604 de la loi 73-17.
Les créanciers peuvent désormais se regrouper en une masse collective pour défendre leurs droits à savoir la mise en place de l’assemblée des créanciers prévus par les articles 606 à 621 de la loi 73-17.
Force est de constater que la loi veille à protéger les intérêts des créanciers en garantissant un traitement équitable et transparent dans le cadre des procédures collectives. Après la correction de ces malfaçons techniques, il est temps de présenter l’innovation majeure de cette réforme, il s’agit de la procédure de sauvegarde.
La loi 73-17 a introduit un changement important par l’instauration d’une procédure de sauvegarde, elle est le cœur de l’innovation de ce projet. Cette procédure d’origine américaine a été inspirée du modèle français.
Cette procédure se superpose au redressement judiciaire et à la liquidation judiciaire, elle est à mi-chemin entre la procédure de prévention et la procédure de redressement et dont l’objectif est d’aider l’entreprise à poursuivre son activité et éviter autant que possible l’état de cessation de paiements.
La procédure de sauvegarde est une procédure volontaire ouverte à la demande du débiteur qui justifie de difficultés qu’il n’est pas en mesure de surmonter de nature à le conduire à la cessation des paiements. Selon l’article 560 de la loi 73-17, la procédure de sauvegarde a pour objet de permettre à l’entreprise de surmonter ses difficultés afin de garantir la poursuite de son activité, le maintien de l’emploi, et l’apurement du passif. La procédure de sauvegarde intervient avant la constatation de la cessation des paiements.
Elle a pour but de favoriser la réorganisation de l’entreprise en difficulté afin de permettre la poursuite de son activité économique le maintien des emplois et l’apurement de son passif.
Il en résulte que l’ouverture de cette procédure obéit à des conditions de fond et de forme très exactes.
A- Les conditions de fond.
Les conditions de fond se rapportent à la qualité du débiteur, à la non cessation des paiements, et à la survenance des difficultés insurmontables susceptibles de conduire à la cessation des paiements.
La qualité du débiteur :
Selon l’article 561 de la loi 73-17, cette procédure est ouverte sur demande d’une entreprise, qui sans être de cessation de paiement, fait face a des difficultés qu’elle n’est pas en mesure de surmonter et qui pourraient entrainer dans un proche délai la cessation de paiement.
Il convient de souligner que la loi a exclu de la liste des personnes susceptible de demander l’ouverture de cette procédure de sauvegarde les artisans.
Absence de cessation de paiements :
Les éléments constitutifs de la cessation des paiements sont :
Le fait de la part du commerçant de ne pas respecter les échéances ;
Le refus de payer une ou plusieurs dettes exigibles.
À noter que le seul fait matériel du défaut de paiement ne suffit pas pour caractériser la cessation des paiements. Il faut que le débiteur se trouve dans une situation désespéré qui le place dans l’impossibilité de faire face à son passif exigible, certain, et liquide.
Concernant la nature des dettes qui peuvent caractériser la cessation des paiements, la loi stipule que seules les dettes de nature commerciale et qui ont un rapport avec l’activité du commerçant peuvent empêcher l’ouverture de la procédure de sauvegarde.
Difficultés insurmontables :
Le législateur a utilisé l’expression insurmontable pour bien caractériser la nature des difficultés susceptibles de déclencher la procédure. Il s’agit notamment des difficultés qui peuvent conduire en un peu de temps à la cessation des paiements et dans ce cas l’utilité de la procédure sera mise en cause.
B- Les conditions de forme.
Elles se rapportent en principe à la saisine du tribunal et à la compétence juridictionnelle.
La saisine du tribunal :
Qui peut saisir le tribunal et comment ?
Cette procédure ne peut intervenir que sur la seule initiative du chef de l’entreprise (article 561 de la loi 73-17).
Le tribunal est alors saisi par une requête du chef de l’entreprise qui établit une demande, celle-ci doit impérativement contenir l’exposé de la situation financière, économique et sociale de l’entreprise et aussi une description précise de la nature des difficultés insurmontables qui menacent la continuité et la stabilité de l’entreprise. La demande adressée au tribunal doit également contenir des propositions portants sur les moyens de redressement et tendant à aboutir avec les créanciers à un véritable plan de secours pour échapper à la cessation des paiements. Elle doit être accompagnée de certains documents administratifs énoncés dans l’article 577 de la loi 73-17 pour permettre au tribunal une appréciation claire des faits générateurs de cette situation.
La juridiction compétente :
On distingue entre la compétence matérielle et la compétence territoriale.
Compétence territoriale : Le tribunal compétent pour prononcer une procédure de sauvegarde est le tribunal du lieu du principal établissement du commerçant ou du siège social de la société.
Compétence matérielle : Elle revient aux juridictions commerciales. De ce fait, le tribunal de commerce, qui a ouvert la procédure de sauvegarde, est également compétent pour toutes les actions qui s’y rattachent.
C’est au syndic que revient la tâche de l’élaboration d’un projet de plan de sauvegarde de l’entreprise selon les dispositions de l’article 566 de la loi 73-17. Pour l’élaboration de ce plan, le syndic se fonde sur le bilan qu’il dresse avec le concours du chef de l’entreprise, et sur les propositions présentées par ce dernier dans la requête présentée en premier lieu au tribunal. Ainsi, le syndic propose au tribunal soit l’approbation du projet de plan ou sa modification, soit le redressement ou la liquidation judiciaire de l’entreprise.
Pendant la phase de l’élaboration de ce projet de plan, le syndic, investi de larges pouvoirs d’investigation, peut obtenir du commissaire aux comptes et de toute personne toutes les informations qu’il juge utiles.
Par ailleurs, pour sauver l’entreprise et lui donner des chances de redressement, le syndic doit convaincre les créanciers à consentir des sacrifices sous forme de délais ou remises de dettes. Il soumet aux créanciers des propositions de règlements de passif, et les consulte individuellement ou collectivement à ce sujet.
Ce projet de plan, doit pouvoir déterminer les perspectives de redressement, définir les modalités de règlements du passif, et exposer les conditions de la poursuite de l’activité article 562-2 de la loi 73-17.
A- Les organes de la procédure.
Le jugement d’ouverture de la procédure de sauvegarde désigne les organes qui seront en charge de suivre et de contrôler la procédure. Le tribunal désigne un juge commissaire et un syndic comme organes de contrôle et d’exécution de la procédure de sauvegarde. La mission du syndic ne peut en aucun cas être confié à un membre de la famille du chef de l’entreprise ou d’un dirigeant jusqu’au quatrième degré.
B - Le plan de sauvegarde.
Le tribunal opte pour un plan de sauvegarde dont la durée ne peut excéder cinq ans (article 571 de la loi 73-17), sur la base du rapport du syndic et après avoir entendu le chef de l’entreprise et les contrôleurs, lorsqu’il existe des possibilités sérieuses de redressement et de règlement du passif.
Le plan de sauvegarde peut toucher la structure de l’entreprise, il peut imposer des modifications de statuts si celles-ci sont nécessaires à la continuité de l’entreprise. Cependant, toute modification des statuts, proposée par le syndic nécessite une demande au chef de l’entreprise qui doit dans ce cas faire délibérer une assemblée générale extraordinaire ou l’assemblée des associés, selon les cas.
En outre, et ce pour préserver l’actif de l’entreprise et accroître les chances de réussite du plan de sauvegarde, le tribunal peut prendre certaines mesures qu’il juge nécessaires à la continuité de l’entreprise. Ainsi, il peut décider que les biens indispensables à la continuité de l’entreprise ne pourront être aliénés pour une durée qu’il fixe sans son autorisation.
Concernant l’administration de l’entreprise, le chef de l’entreprise est maintenu à la tête de l’entreprise dont il assure la gestion (Art566 de loi). Il exerce ses fonctions sous le contrôle du syndic, qui dresse un rapport de gestion au juge commissaire.
En guise de conclusion, la loi 73-17 joue un rôle crucial dans la préservation de la stabilité économique en offrant un cadre pour la réorganisation et le redressement des entreprises en difficulté. En favorisant la prévention des difficultés, la protection des intérêts des parties prenantes et la promotion de la responsabilité financière, cette législation contribue à maintenir un environnement favorable à l’activité économique et à la croissance des entreprises.
Ainsi il convient de souligner que la loi 73-17 constitue un cadre juridique complexe et crucial pour la gestion des entreprises en difficulté, cependant, elle présente certaines lacunes du point de vue juridique qui méritent d’être examinées de près.
Tout d’abord, le processus de réorganisation prévu par la loi peut être critiqué pour son manque de clarté et de prévisibilité juridique. Les étapes et les critères pour déterminer l’éligibilité à la procédure de sauvegarde ou de conciliation peuvent varier d’une juridiction à l’autre, ce qui peut entraîner une incertitude pour les entreprises concernées. Une harmonisation et une clarification des procédures pourraient améliorer la certitude juridique et faciliter la mise en œuvre de la loi à travers le pays.
De plus, la protection des droits des créanciers et des employés est un aspect essentiel de la loi, cependant, force est de constater que cette protection peut parfois être insuffisante. Par exemple, les procédures de redressement judiciaire peuvent accorder des avantages disproportionnés aux actionnaires ou aux dirigeants au détriment des créanciers ou des employés. Une révision des mécanismes de protection des droits des créanciers et des employés pourrait être nécessaire pour garantir une approche plus équilibrée et équitable.
En outre, la loi pourrait être critiquée pour son manque de mesures dissuasives contre les abus ou les pratiques frauduleuses. Bien que la loi vise à encourager la réorganisation et le redressement des entreprises en difficulté, certains pourraient être tentés d’exploiter le processus à des fins frauduleuses ou abusives. Le renforcement des sanctions pour les comportements répréhensibles et exiger la mise en place de mécanismes de surveillance plus efficaces pourraient aider à dissuader de telles pratiques et à protéger l’intégrité du système.
Enfin bien que la loi 73-17 soit un outil important pour la gestion des entreprises en difficulté, elle n’est pas sans ses défauts juridiques. En identifiant et en adressant ces lacunes, il est possible de renforcer la légitimité et l’efficacité de cette législation, assurant ainsi une meilleure protection des intérêts des parties prenantes et une application plus cohérente et équitable des procédures collectives.
Taib Benkirane Avocat-sagiaire au barreau de Casablanca Doctorant en Droit privé au laboratoire des études juridiques et judiciaires à l’université Hassan II, Mohammedia.Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion, plus d'infos dans nos mentions légales ( https://www.village-justice.com/articles/Mentions-legales,16300.html#droits ).
Article très complet, enfin une étude détaillée sur la procédure de sauvegarde !