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Suspension des loyers en cas d’arrêté de péril : le ricochet de la responsabilité du bailleur sur le syndicat des copropriétaires. Par Charles Dulac, Avocat.
Parution : vendredi 29 mars 2024
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A l’inverse de cette image légère, se cache derrière cette affirmation une réalité bien plus préoccupante : la garantie de responsabilité du syndicat des copropriétaires en cas de suspension des loyers à la suite d’un arrêté de péril.

Dans l’inconscient collectif, l’arrêté de péril c’est l’image d’une vision dramatique. Le terme même de péril raisonne dans l’actualité récente avec les effondrements d’immeubles à Marseille ou encore à Lille. Et pourtant, l’arrêté de péril, quelle que soit sa forme, vise justement à prévenir ce type de catastrophe et devrait en réalité se targuer d’un effet de prophylaxie. Bon nombre de bâtiments encore debout font l’objet d’un arrêté de péril pour justement se rétablir. C’est le cas, par exemple, de certains immeubles du nord de Paris, notamment ceux situés sur les anciennes carrières de gypse, qui doivent faire face, à la suite de décompensation du sol, à des travaux de rénovation structurels importants pour permettre la reprise des fondations et qui, pour bénéficier notamment d’aides de la collectivité, sont placés (parfois à leur propre initiative) sous arrêté de péril. L’arrêté de péril n’est donc pas forcément synonyme d’immeuble en déperdition. Néanmoins, loin de la perspective terrifiante de l’effondrement, ce sont plutôt les effets de l’arrêté de péril sur un immeuble en copropriété qui peuvent s’avérer accablants. Notamment, quand cet immeuble est composé en large majorité de propriétaires-bailleurs, le Syndicat peut faire face à un impact inattendu et lourd de conséquences quant à la survie de la copropriété.

Il faut comprendre, et nous le verrons en détail par la suite, que lorsque qu’un logement est frappé d’un arrêté de péril, l’éventuel locataire n’est plus tenu de verser son loyer tant que l’arrêté n’est pas levé. Au cas particulier, si le bien est inhabitable, cela est parfaitement compréhensible. Toutefois, qu’en est-il lorsque l’arrêté de péril ne concerne que les parties communes d’un immeuble en copropriété et ne remet pas en cause la sécurité ou l’habitabilité des logements ?

Sur cette question, il existe un tournant juridique. Pendant longtemps, les Juridictions de première instance et d’appel estimaient au cas par cas les situation et considéraient parfois que la suspension des loyers pouvait s’appliquer en raison de l’insécurité du logement, et d’autres fois non. En 2016, la Cour de cassation a été amenée à se prononcer sur l’application de cette suspension dans le cas d’un immeuble placé sous-arrêté de péril visant les façades du bâtiment mais sans réelle conséquence sur les logements privatifs. Et bien, dans un arrêt de principe, les Hauts Magistrats ont considéré que

« lorsqu’un arrêté de péril vise des parties communes d’un immeuble en copropriété, la mesure de suspension des loyers prévue par l’article L521-2, I, précité s’applique à la totalité des lots comprenant une quote-part dans ces parties communes » [1].

En d’autres termes, la cour a estimé que la loi ne subordonnait pas la suspension des loyers à un critère de sécurité du bâtiment et que le copropriétaire-bailleur, titulaire d’une quote-part des parties communes du fait de son lot, était tenu à la suspension des loyers en raison de l’arrêté sur lesdites parties communes. Cet arrêt a donc établi un lien entre la suspension, grevant le bailleur, et le syndicat des copropriétaires et a donc généré une conséquence inattendue : la mise en jeu de la responsabilité du syndicat des copropriétaires du fait de cette suspension.

Le péril est dit ordinaire lorsqu’il n’existe pas de danger immédiat pour la copropriété. Dans ce cas, l’autorité administrative (le Maire) ordonnera des mesures d’injonction au syndicat des copropriétaires qui devra réaliser des travaux dans un délai déterminé. En revanche, le péril est dit imminent lorsque la sécurité ou la solidité de l’immeuble est remise en cause. Un expert, désigné par le Tribunal administratif, va dresser un constat des lieux sous 24 heures et déterminera non seulement les mesures à prendre mais également si l’immeuble doit être évacué. Si le syndicat des copropriétaires ne réalise pas les travaux dans le délai, une astreinte financière pourra lui être appliquée voire une réalisation d’office des travaux par l’autorité administrative.

Ainsi, sur toute la durée de l’arrêté, et ce jusqu’à la décision de sa mainlevée par la Mairie, le propriétaire-bailleur ne pourra pas percevoir de loyers. Il pourra simplement recouvrer les charges annexes au loyer principal. Plus encore, s’il perçoit tout de même le loyer, les sommes appréhendées indûment devront être restituées au locataire ou déduit des loyers postérieurs dus après l’arrêté de péril [4]. Toutefois, et c’est le lien avec l’arrêt de 2016 précité, qu’en est-il du bailleur qui est lui-même copropriétaire au sein de l’immeuble touché par l’arrêté de péril ?

Mais là où la cour, et même la jurisprudence, ne sont pas allés suffisamment loin, c’est de savoir dans quelle mesure le syndicat des copropriétaires, dans son ensemble, n’est pas responsable de cette privation de loyer. En effet, l’article 14 de la loi du 10 juillet 1965 dispose de la responsabilité de plein droit du syndicat des copropriétaires en cas de désordre en provenance des parties communes. Il s’agit donc d’une responsabilité sans faute, objective à l’instant où il est démontré que le préjudice trouve racine dans la déficience des parties communes. Or, un arrêté de péril sur la façade d’un immeuble c’est justement la reconnaissance d’un désordre en partie commune ! Par conséquent, en considérant que ce type de désordre entraîne de plein droit la suspension des loyers et donc un préjudice pour le copropriétaire-bailleur, la cour a reconnu implicitement la responsabilité du syndicat des copropriétaires. Ainsi, par une sorte de ricochet des responsabilités, le bailleur peut sans difficulté se retourner contre la copropriété pour réclamer qu’elle le rembourse des loyers non encaissés.

Un des moyens de défense des plus intéressants doit s’intéresser à la licéité du préjudice. Effectivement, il n’est pas rare que le copropriétaire-bailleur continue de percevoir ses loyers alors même qu’un arrêté de péril a été rendu. Or, l’article L521-4 I du Code de la construction et de l’habitation pénalise justement le fait pour un bailleur de continuer à percevoir les loyers dans un immeuble pourtant frappé d’un arrêté de péril :

« I.- Est puni de trois ans d’emprisonnement et d’une amende de 100 000 euros le fait : […] de percevoir un loyer ou toute autre somme en contrepartie de l’occupation du logement, y compris rétroactivement, en méconnaissance du I de l’article L521-2 ».

Au regard de la responsabilité civile du syndicat des copropriétaires, l’article 14 de la Loi du 10 juillet 1965 prévoit certes une responsabilité de plein droit, c’est-à-dire objective ou sans faute, mais également une exonération de la responsabilité dans trois cas : la force majeure, la faute de la victime et celle d’un tiers. S’agissant de la faute de la victime, la jurisprudence abonde en ce sens, reconnaissant notamment à plusieurs reprises l’exonération de responsabilité du syndicat des copropriétaires du fait des actes fautifs du bailleur [5].

Un autre moyen de défense constaterait à rechercher les responsabilités connexes. Ainsi, la mise en cause des assureurs de l’immeuble peut être recherchée. Si le bâtiment est récent, la Dommages-ouvrage pourra être sollicitée. Si la construction est plus ancienne, ce sera éventuellement l’assurance multirisque de l’immeuble. A la condition évidente que le sinistre ait été déclaré dans les délais et que les conditions de prises en charge soient réunies. De même, si la mise sous-arrêté de péril de l’immeuble résulte d’un défaut de gestion de la part du syndic, sa responsabilité civile professionnelle pourra être recherchée sur le fondement de l’article 18 de la Loi du 10 juillet 1965.

En tout état de cause, ces prétentions ne constituent que des moyens de défense visant à exonérer ou atténuer la responsabilité du syndicat des copropriétaires en cas d’action du bailleur pour obtenir son indemnisation du fait de la suspension de ses loyers. Toutefois, le mieux reste pour le syndicat des copropriétaires de prendre des mesures préventives.

La seconde solution, toujours pour éviter un arrêté de péril et donc une suspension des loyers, et de faire faire appel directement aux assurances de l’immeuble, en déclarant un sinistre et en déclenchant une expertise amiable. De ce fait, les travaux de réfection pourront potentiellement être pris en charge par l’assureur et, à défaut pour ce dernier d’y accéder, sa mise en cause sera facilité en cas de procédure judiciaire ultérieure.

La dernière solution envisageable est de solliciter les aides de la collectivité dont celles de l’Agence nationale de l’habitat (ANAH). Cela n’est cependant possible que si l’immeuble est justement placé sous le coût d’une procédure de péril. Toutefois, ces aides permettront de compenser les coûts financiers des travaux et de favoriser leur réalisation rapide.

En outre, il appartiendra au syndic d’alerter les copropriétaires sur l’ouverture de cette procédure et ses répercussions, notamment sur les loyers, pour éviter les actions ultérieures et prémunir le syndicat des copropriétaires.

Charles Dulac Avocat au Barreau de Paris [->contact@dulac-avocat.com]

[1Cass. Civ. 3ème, 20 octobre 2016, n°15-22.680.

[2Article L511-2 du Code de la construction et de l’Habitation.

[3Article L511-18 du Code de la construction et de l’habitation.

[4Article L521-2 alinéa 3 du Code de la construction et de l’habitation.

[5Cass. Civ.3ᵉ, 3 décembre 2020, n°19-12.871 et 19-12.125.

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