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Les réserves aux traités internationaux portant sur les droits de l’Homme. Par Willy Tshibombi.
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Parution : mardi 27 février 2024
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La Charte des Nations Unies, dans son Préambule, établit comme objectif de « créer les conditions nécessaires au maintien de la justice et du respect des obligations nées des traités et autres sources du droit international ».
Depuis lors, la mise en œuvre et la garantie du respect du droit international ont été au cœur du travail de l’Organisation. Ce travail est effectué par les cours de justice, les tribunaux, et ce, à l’aide des traités multilatéraux.
1. Introduction.
C’est dans ce contexte que l’Assemblée Générale de l’ONU a créé en 1947 la Commission du droit international comme organe chargé de la codification et du développement progressif du droit international.
L’expression « développement progressif du droit international » couvre les cas où il s’agit de rédiger des conventions sur des sujets qui ne sont pas encore réglés par le droit international ou relativement auxquels le droit n’est pas encore suffisamment développé dans la pratique des États.
Selon l’article 15 du statut de la Commission, l’expression « codification du droit international » désigne l’hypothèse où il s’agit de « formuler avec plus de précision et de systématiser les règles du droit international dans des domaines dans où il existe déjà une pratique étatique considérable, des précédents et des opinions doctrinales ».
L’une des plus grandes réalisations des Nations Unies est donc sans conteste leur contribution au droit international à travers le développement et la codification d’un corpus de conventions, de traités et de normes dont l’objectif est la promotion du bien-être économique et social, de même que la préservation de la paix et de la sécurité internationales. La plupart de ces textes régissent aujourd’hui les relations et la coopération entre les États.
Par ailleurs, à raison de leur objet, les traités portant sur les droits de l’homme ont un caractère particulier et nécessitent un régime juridique approprié.
En même temps, le droit en vigueur (la Convention de Vienne sur le droit de traités) qui devrait règlementer les réserves pour ce type des traités, définit des principes concernant les réserves en des termes généraux.
Pour remédier à cette situation, la CDI a entrepris donc de redéfinir tous les termes du processus relatif aux réserves. Et ce n’est qu’à la 47ᵉ session, en 1995, que la solution imaginée prend véritablement forme. Il s’agit du Guide de la pratique en matière de réserves constitué de directives accompagnées de commentaires. Les directives pourraient au besoin être accompagnées de clauses types.
Cette étude se conçoit dans le cadre du développement progressif du Droit International et consiste à circonscrire le régime juridique applicable aux réserves dans le domaine des instruments internationaux des droits de l’homme.
2. La problématique.
À raison de leur objet, les traités portant sur les droits de l’homme ont un caractère particulier et nécessitent un régime juridique approprié. Par ailleurs, le droit en vigueur (la Convention de Vienne sur le droit de traités) définit des principes concernant les réserves en des termes généraux. Elle répond ainsi de manière ambiguë à certaines questions et reste aussi silencieuse sur l’objet particulier des traités relatifs aux droits de l’homme.
La question fondamentale : quel est le régime juridique applicable aux réserves portant sur les traités internationaux relatifs aux droits de l’homme ?
Les questions subsidiaires : quels sont les organes de contrôle et les règles applicables pour apprécier les réserves ? Quels seraient le sort et les conséquences des réserves invalides ?
3. La délimitation du sujet.
Cet exercice consistera à vérifier la validité et la pertinence des règles applicables aux réserves, pour se prononcer le cas échéant sur la nécessité d’une réglementation spécifique lorsqu’un traité international relatif aux droits de l’homme est en cause. L’analyse portera sur la période où furent élaborés les premiers traités de droits de l’homme et au moment où a commencé le débat sur les réserves.
En deux principales parties, l’analyse rendra compte des notions de traité international et des réserves (I), pour ensuite déterminer le régime juridique applicable aux réserves se rapportant aux traités internationaux relatifs aux droits de l’homme (II).
4. Objectif du travail.
Cette réflexion a pour objectif de porter une contribution au développement du Droit international et à la promotion du Droit international des droits de l’homme.
5. L’hypothèse du travail.
L’étude tente de vérifier les mécanismes de protection des traités internationaux relatifs aux droits de l’homme, dans la mesure où ils sont encore guidés par la convention de Vienne sur le droit de traités qui définit des principes concernant les réserves en des termes généraux.
L’expression « traité s’entend d’un accord international conclu par écrit entre États et régi par le droit international, qu’il soit consigné dans un instrument unique ou dans deux ou plusieurs instruments connexes, et quelle que soit sa dénomination particulière ». Mais les parties ont la possibilité de formuler une réserve à un traité.
Une réserve s’entend d’une déclaration unilatérale, peu importe son libellé ou sa désignation, faite par un État quand il signe, ratifie, accepte ou approuve un traité ou y adhère, par laquelle il vise à exclure ou à modifier l’effet juridique de certaines dispositions du traité dans leur application à cet État.
Avant 1951, le système classique adopté était celui d’un consentement mutuel et unanime des parties aux réserves formulées sur un traité. Ce système ne soumettait la réserve à aucun contrôle d’admissibilité. Mais cette règle est limitée aux relations interaméricaines.
Mais depuis l’avis consultatif de la CIJ du 28 mai 1951 au sujet des réserves faites à la Convention sur le Génocide, le droit de formuler des réserves était reconnu et une nouvelle réglementation est apparue, applicables à tous les traités, y compris ceux relatifs aux droits de l’homme. Outre cela, la cour a affirmé que, de manière générale, la réserve devait être compatible avec l’objet et le but du traité, élément objectif qui, cette fois, ne dépendait plus de l’attitude des parties, position qui a été suivie par la CDI dans ses travaux.
Tout en suivant certaines affirmations dégagées de la CIJ, la Convention de Vienne (articles 19 à 23) admet des réserves si le traité ne les interdit pas, ensuite s’il ne limite pas à quelques-unes strictement déterminées, enfin si elles sont compatibles avec le but et l’objet du traité. La Convention réglemente également l’acceptation, l’effet juridique et les objections aux réserves. Elle dispose (article 20, 4, b) que l’objection à une réserve par un autre État contractant n’empêche le traité d’entrer en vigueur entre ces États que si une telle intention a été clairement exprimée par l’État qui a formulé l’objection. Dans le cas contraire (article 21, 3), la convention prévoit que l’effet de la réserve sera simplement que les dispositions sur lesquelles elle porte ne s’appliquent pas entre les deux États, dans la mesure prévue par la réserve.
Le régime juridique de garde-fous établi par la Convention de Vienne s’est vite révélé difficilement praticable à l’usage. En fait, les États n’ont retenu que le principe de la liberté des réserves, sans veiller à faire vivre les sauvegardes collectives qui en étaient pourtant la contrepartie logique.
En effet, les règles supplétives - aujourd’hui dans le système de la Convention de Vienne - sont libérales, et de ce fait, elles ne parviennent pas à encourager les États à adopter des clauses de réserve.
C’est seulement en matière de droits de l’homme que les organes de contrôle, à commencer par la Cour Européenne des droits de l’homme - suivie par le Comité des droits de l’homme des Nations Unies avec son observation générale no 24 - ont récemment saisi l’occasion du contentieux pour remettre en cause des réserves contraires à la lettre ou à l’esprit des traités, ouvrant ainsi un nouveau débat au sein de la CID (V. Les rapports sur les réserves d’Alain Pellet).
En fait, la seule obligation dans les traités relatifs aux droits de l’homme est celle d’exiger des autres états parties, qu’ils respectent leurs engagements, plus particulièrement lorsque l’obligation conventionnelle concerne les ressortissants d’un État partie - c’est ici la seule ombre de réciprocité que l’on peut remarquer.
C’est pourquoi, l’article 60.5 de la Convention de Vienne précise que la réciprocité n’est pas valable dans les régimes spécifiques aux droits de l’homme : les paragraphes 1 à 3 ne s’appliquent pas aux dispositions relatives à la protection de la personne humaine contenue dans les traités de caractère humanitaire, notamment aux dispositions excluant toute forme de représailles à l’égard des personnes protégées par les droits traités.
Parallèlement, la CDI avait été chargé d’étudier en 1952 la question des réserves dans son travail de codification et de promotion du développement progressif du droit international. La CDI remarque que ces conventions répondent de manière ambiguë aux questions de la différenciation entre réserve et déclaration d’interprétation, de la portée des déclarations d’interprétation, de la validité des réserves et du régime des objections aux réserves. Ces Conventions sont aussi silencieuses sur l’effet des réserves, sur l’entrée en vigueur des traités, sur le problème appartenant à l’objet particulier de certains traités(en particulier les traités constitutifs d’organisation internationale et les traités relatifs aux droits de l’homme).
Pour remédier à l’ambigüité de la notion, la CDI a entrepris de mieux définir cette notion. Mais, les travaux n’étant pas encore achevés, les États ont le choix entre deux alternatives pour interpréter la règle. Le Rapporteur spécial, rédacteur de deux alternatives, tendrait à privilégier la première.
Aux fins de l’appréciation de la validité des réserves, on entend par objet et but du traité les règles, droits et obligations essentiels, indispensables à l’économie générale du traité, qui en constituent la raison d’être et dont la modification ou l’exclusion porteraient gravement attentes à l’équilibre conventionnel.
Certains affirment ainsi que des réserves vagues et générales pourraient être compatibles avec l’objet et le but du traité et n’avoir d’incidence que sur des questions mineures. Face à ces nombreuses interrogations, certaines voix au sein de la CDI ont jugé qu’il était nécessaire de prendre en considération le contexte politique pour juger de l’essentialité des dispositions d’un traité. Mais, qui a légitimité pour considérer des questions politiques de manière objective ?
II.2.1. Les États.
En vertu de l’article 20 de la Convention de Vienne, c’est premièrement à chaque État contractant qu’il appartient d’apprécier la validité des réserves. Ce moyen d’apprécier la validité des réserves pose des problèmes concernant la réciprocité d’une réserve jugée invalide et objectée. Ces raisons ont incité Higgins, membre du comité des droits de l’homme, à estimer que les États n’utilisaient pas efficacement leur compétence pour apprécier la validité d’une réserve. C’est pourquoi cette compétence a aussi été confiée à d’autres organes par des clauses de réserve.
II.2.2. Les organes de supervision.
Les organes de contrôle sont apparus après l’adoption de la Convention de Vienne de 1969 et ont développé une compétence pour juger de la validité d’une réserve.
Lorsque l’organe de contrôle a des décisions tirées du traité l’ayant créé, l’application de la validité d’une réserve s’impose aux États parties sinon, celle-ci n’a qu’une valeur de recommandation. Cela sera confirmé aux termes de l’article 3.2 du projet de directives de la CDI.
Le Comité des droits de l’homme déclare qu’une réserve jugée inadmissible d’après le critère de compatibilité entraîne l’application à l’État réservataire du traité en entier sans le bénéfice de la réserve.
II.2.3. Les organes de règlement des différends.
Les organes de règlement des différends sont des organes judiciaires. Leurs décisions produisent des effets très différents de ceux que produisent les décisions des simples organes de supervision : les décisions des organes judiciaires ont une valeur obligatoire.
En outre, il a été suggéré que les comités de supervision, tels que le comité des droits de l’homme puissent, s’ils n’étaient pas autorisés à le faire eux-mêmes par une clause de réserve, demander à un organe des Nations Unies de demander un avis consultatif à la CIJ.
Il a été affirmé que les traités internationaux sont le fruit d’un accord et que cet accord devait aussi concerner les réserves. Si une réserve est jugée invalide, il y a désaccord ; l’État réservataire ne devait plus être jugé partie à l’accord. L’État réservataire, ayant évalué si la réserve était une condition sine qua non de sa participation au traité aura ensuite le choix entre retirer sa réserve ou terminer sa participation au traité (ce qui fut presque le cas de la Suisse, suite à l’affaire Belilo à la CEDH). Enfin, comme l’État peut aussi modifier sa réserve pour la rendre compatible avec l’objet et le but du traité. D’autre part, la question de la responsabilité internationale d’un État ou d’une organisation internationale pour avoir formulé une réserve invalide n’a pour l’instant n’a pour l’instant pas été approfondie.
Conclusion générale.
Les traités relatifs aux droits de l’homme exigent sur certains points, tel que celui des réserves, un régime différent du droit classique et fait que l’application de la Convention de Vienne sur le droit des traités devienne inappropriée. Dans la pratique, la Convention de Vienne s’est avérée ambigüe pour certaines questions liées aux réserves en général et silencieuse sur les problèmes liés aux traités portant sur les droits de l’homme. Par ailleurs, on constate que la rédaction n’avait jamais prévu le rôle des organes de surveillance de l’application de certains traités, dont ceux portant protection des droits de l’homme. Par conséquent, cette insuffisance rend difficile le respect des droits de l’homme et le bénéficiaire de ces traités (l’homme) se retrouve dans une insécurité.
Pour remédier à cette situation, la CDI a entrepris donc de redéfinir tous les termes du processus relatif aux réserves. Et ce n’est qu’à la 47ᵉ session, en 1995, que la solution imaginée prend véritablement forme. Il s’agit du Guide de la pratique en matière de réserves constitué de directives accompagnées de commentaires. Les directives pourraient au besoin être accompagnées de clauses types. Le texte adopté à sa soixante-troisième session en 2011 a été soumis à l’Assemblée Générale de l’ONU dans le cadre du Rapport sur les travaux de ladite session (A/66/10). De telles clauses peuvent avoir une triple fonction : a/ elles peuvent renvoyer aux règles figurant dans la Convention de Vienne de 1969 ou 1986 soit explicitement, soit implicitement en reproduisant les termes de certaines de leurs dispositions ; b/elles peuvent combler les lacunes ou en lever les ambigüités, en précisant les points obscurs ou non abordés par la Convention de Vienne ; c/ elles peuvent déroger aux règles de Vienne en prévoyant un régime spécial en matière de réserves, que les parties contractantes jugent plus appropriées.
Enfin, nous pensons que le régime d’appréciation des réserves souhaitables devrait, tout en reposant sur le critère de l’objet et du but du traité, avoir un caractère systématique, obligatoire et intervenir dès la présentation de la réserve.
En attendant la résolution de l’Assemblée Générale de l’ONU, la Convention de Vienne et les travaux de la CDI reflètent donc le droit actuellement en vigueur dans le domaine des réserves aux traités relatifs aux droits de l’homme.
Bibliographie.
La Convention de Vienne sur le droit des traités, 23 mai 1969,1155 R.T.N.U.
La Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, 09 décembre 1948, ONU.
Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 16 décembre 1966, ONU.
CIJ, Avis consultatif du 28 mai 1951 relatif aux réserves à la Convention sur la prévention et répression du crime de génocide.
Emmanuel Decaux, Droit international public, 7ᵉ édition Dalloz, 2010.
Pierre Martin, Droit International Public, MASSON, Paris Milan Barcelone, 1995.
Alain Pellet, Deuxième Rapport sur les réserves aux traités, 10 mai et 23 juin 1996.
Guillemet Aurélie, mémoire, les réserves formulées aux traités relatifs aux droits de l’homme, Université de Lyon, 2007.