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Médiation, et si on essayait le cheval ? Par Gérard Majourau, Directeur juridique.
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Parution : lundi 23 octobre 2023
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Face aux difficultés rencontrées pour promouvoir les modes de règlement amiable, nous émettons ici la proposition paradoxale d’inciter avocats et juridictions à instiller du « MARL » (modes alternatifs de règlement des litiges) dans une conflictualité à la fois exacerbée, complexe et chargée d’affects : celle du « monde du cheval ».
Médiation [1] : « Tout processus structuré, quelle qu’en soit la dénomination, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l’aide d’un tiers, le médiateur, choisi par elles ou désigné, avec leur accord, par la juridiction » [2].
Cheval : « Mammifère herbivore de grande taille, à un seul doigt par membre, coureur rapide des steppes et prairies, dont la domestication a joué un grand rôle dans l’essor des civilisations asiatiques et européennes. Synonymes : bidet - bourrin (populaire) - canasson (populaire) - coursier - destrier (littéraire) - haridelle (vieux) - palefroi (littéraire) - rosse » [3].
On ne le dira jamais assez, une bonne médiation est une négociation qui a réussi, avec l’aide d’un médiateur, entre des parties qui ne se seraient sûrement jamais parlées s’il n’avait pas été là.
Toutefois, faire appel à un tiers pour aider au règlement d’un conflit ne va pas de soi et n’a rien de spontané. Cette situation implique un rôle fondamental de moteur pour les prescripteurs de solutions amiables : avocats, assureurs ou experts pour les médiations conventionnelles ; les mêmes auxquels s’ajoutent les magistrats et les greffiers pour les médiations judiciaires.
Le présent article a donc pour objet de proposer à ces prescripteurs d’expérimenter la médiation dans un domaine un peu particulier : celui des litiges en droit équin.
La médiation est aujourd’hui le principal mode de règlement amiable en France. Elle est présentée et promue partout, dans les écoles de commerce, à l’ENM, dans les barreaux…
Pour les médiations judiciaires, malgré une montée en puissance régulière depuis le début du XXIème siècle et un flux réglementaire régulier [4] poussant à la mise en œuvre de ces processus dans les juridictions, il semble que le succès ne soit pas (encore) au rendez-vous et que l’on soit loin des objectifs de la Chancellerie ou du Conseil d’État pour ce qui est de l’ordre administratif.
Quant aux médiations conventionnelles, les chiffres manquent puisqu’il n’existe a priori aucune compilation fiable des dossiers traités par les différents centres existants en France.
Magistrats débordés, greffes saturés, avocats et assureurs parfois trop prudents, méconnaissance (relative) par les parties des « MARL » - modes amiables (et plus alternatifs) de règlement des litiges - autant de bonnes raisons de ne pas sortir des rails de la procédure judiciaire, ceci malgré une certaine pression interne à la Justice dont la toute nouvelle audience de règlement amiable [5] est un signal renouvelé.
Si le taux (souvent excellent) de réussite des médiations judiciaires ou conventionnelle est connu, ce calcul ne concerne évidemment que celles ayant réellement eu lieu ! Et en fait, il a plus de chances que ce ne soit pas le cas que l’inverse, car les réticences sont nombreuses et l’intérêt du processus reste en permanence à démontrer.
Une cause possible de ce défaut d’acceptation pourrait être la faiblesse de la culture de l’amiable dans le contexte juridique français où juges et avocats ont été formés à un droit destiné à trancher et non à composer ; il leur est évidemment difficile de sortir de cette conception.
Les juridictions s’y emploient cependant ainsi que les barreaux [6] (de plus en plus d’avocats sont formés à la médiation) ; les études sur le sujet montrent d’ailleurs à la fois une prévalence des initiatives individuelles et une certaine corrélation entre une conception d’un droit vu comme ordre négocié et une appétence pour les modes extra-juridictionnels de règlement des litiges [7].
Reste à prendre en compte la posture des parties elles-mêmes.
Si les entreprises ont depuis longtemps une certaine culture de la négociation et de l’amiable, ce n’est pas forcément le cas des particuliers (et de leur entourage familial, amical ou professionnel qui peut être bloquant) et sans doute encore moins celui des personnes publiques.
Jusqu’à la fin du XXième siècle, un juriste du secteur public risquait fort d’être envoyé au bucher pour simplement avoir osé évoquer une idée aussi hérétique que celle de transaction. Les temps ont certes changé mais il convient de rappeler que le texte étendant les possibilités de médiation à tous les types de litiges portés devant le juge administratif date seulement de… 2016.
Face à ces difficultés, nous pouvons émettre la proposition paradoxale d’inciter avocats et juridictions à instiller du « MARL » dans une conflictualité pouvant probablement apparaître comme à la fois comme exacerbée, complexe et chargée d’affects : celle du « monde du cheval ».
Couvrant un spectre allant de l’aliment à l’œuvre d’art, le cheval est le seul animal à avoir entrainé la création par l’État d’un organisme public dédié (l’Institut français du cheval et de l’équitation [8]) et également le seul à avoir son association de juristes spécialisés : l’Institut du droit équin (IDE) [9] qui comprend la majorité des praticiens de ce droit spécifique mais aussi des vétérinaires, des experts judiciaires, des universitaires, des assureurs et la plus grande partie des organismes professionnels de cette filière.
Le monde du cheval (qui regroupe propriétaires, cavaliers, entraîneurs, etc.) présente la particularité d’être très principalement composé d’amateurs qui sont loin d’avoir un recours systématique à l’écrit. Des ventes de plusieurs dizaines de milliers d’euros peuvent ainsi être conclues oralement, ce qui pose évidemment de redoutables problèmes de preuve.
Ces particularités sociologiques ont mené au développement d’un droit spécifique, avec sa propre littérature [10] et ses avocats spécialisés, dont seul un très petit nombre le pratiquent à titre quasi exclusif.
Que ce soit en matière d’obligations du détenteur, de baux ruraux, de pension, de propriété ou d’utilisation(s), les solutions sont multiples et parfois assez décalées par rapport au droit commun.
Je peux être propriétaire d’un équidé et en céder la carrière de course, ou de reproducteur ou les deux à un ou plusieurs tiers qui pourront à leur tour céder ou sous-louer les droits qu’ils ont ainsi acquis. Les termes généralement usités dans ce cas sont ceux de « location » ou de « contrat d’exploitation », respectivement au visa des articles 1709 et 1710 du Code civil, mais en réalité, pour peu que la situation devienne permanente, on est plus proche des pratiques juridiques de l’Ancien Régime : propriété d’usage (avec empilement des usages) et propriété imminente.
Se posent aussi des questions de qualification : qu’en est-il du cheval de courses blessé chez son entraîneur ? Selon le moment de la journée, il sera soit au travail, relevant donc d’un contrat d’entreprise, soit au repos et l’on est alors dans le cadre d’un contrat de dépôt salarié… Pas simple.
Autre cas intéressant : le propriétaire de la jument qui met bas est réputé l’être également du poulain qui nait. C’est une solution classique issue du droit romain qui fait dépendre le fructus de la propriété de l’arbre mais qu’en est-il alors de la semence ? (Pour avoir une idée de la technicité de ces sujets, on peut lire Vente de semence d’étalon : clause d’arbitrage et interprétation du contrat).
Mais par-dessus tout, ce monde spécial est caractérisé par deux éléments :
C’est ce que nous allons tenter de démontrer.
L’une des constantes rencontrées dans les études sur la médiation judiciaire est la difficulté qu’ont les juridictions à sélectionner les dossiers leur paraissant « médiatisables ».
Pour illustrer le propos, prenons un exemple à la fois récent et réel [11].
En 2020, M. X (chef d’entreprise retraité et éleveur) appelle l’IDE car il a acheté pour 15 000 euros une jument de 3 ans pour lui faire travailler le saut d’obstacle puis la revendre.
Six mois plus tard, elle est rentrée au débourrage chez un professionnel qui s’aperçoit vite d’un souci : la jument boite au travail et, après examens vétérinaires, s’avère naviculaire, pathologie incurable et incompatible avec la discipline sportive envisagée.
Deux jours après l’appel de M. X, M. Y (également retraité éleveur de chevaux) appelle l’IDE car un de ses acheteurs (M. X) lui demande de reprendre une jument qu’il lui a vendu 6 mois plus tôt.
Il lui réclame de lui rembourser 25 000 euros (couvrant le prix d’achat et les frais d’examens vétérinaires, de pension et de transport) et il n’a pas une telle somme.
Voici le premier vainqueur de notre tiercé : le temps. La note a augmenté de 10 000 euros en 6 mois car un équidé (bien que considéré comme un meuble) n’est pas une chaise : il mange, boit, doit être sorti, recevoir des soins, etc. D’après les chiffres de la CEPEJ, la durée théorique moyenne de sortie de la file d’attente d’une instance civile en France aurait été de 637 jours en 2020 [12] ; faites le calcul.
Dans certaines procédures compliquées, les chevaux ont largement le temps de mourir de vieillesse et, sans en arriver à ces extrémités, leur perte de valeur est de toute façon très rapide.
Revenons à notre cas : tant X que Y hésitent fortement à aller en justice mais demeurent incapables de se parler directement. Ils vont donc échanger par l’intermédiaire de l’IDE qui se trouve ainsi à réaliser une sorte de « médiation navette » informelle qui aboutira finalement au bout de 15 jours à la prise de conscience par les parties que, en fait, ce n’est pas de l’argent dont M. X a besoin… mais tout simplement d’un cheval. Il se trouve qu’une jeune pouliche est disponible chez M. Y et un échange va donc être organisé entre eux ; maintenant en effet, ils se parlent et (surtout) s’écoutent.
Nous tenons notre second gagnant : la décision de justice non-satisfaisante ou en tout cas moins satisfaisante que ne le serait la solution trouvable par les parties elles-mêmes.
En l’espèce, la création de la voie de sortie trouvée par X et Y était hors de portée d’un magistrat saisi d’un recours indemnitaire et tenu par les demandes qui lui sont adressées.
Sans l’aide d’un tiers (ici les permanentes de l’IDE), ils n’auraient très probablement pas réussi à se rapprocher, chacun considérant être dans sa droit et l’autre comme totalement de mauvaise foi.
En effet, sans doute à égalité avec certains élus (…), les « gens de cheval » doivent faire partie de ceux qui pensent le plus avoir raison et que le droit est de leur côté, ce qui n’augure pas d’une forte tendance à la recherche de solutions amiables.
Mais dans ces litiges autour du cheval, ils ont cependant tous un point commun : des affects puissants (3ème gagnant) : on connait la puissance de l’affectif en médiation comme frein potentiel mais aussi comme moteur. En l’occurrence, il peut constituer un levier pour le médiateur puisque les protagonistes ont une réelle passion partagée qui peut leur permettre de se rapprocher ; ceci bien sûr pour peu qu’on les aide un peu à aller au-delà de leurs incompréhensions réciproques.
C’est le cumul de ces trois conditions qui peut rendre un dossier éligible à la médiation mais bien entendu, tout dépendra ensuite du comportement des parties.
S’il n’y a pas de champ de la médiation, il en est de même des litiges du monde du cheval qui couvrent un peu tous les domaines : civil, social, commercial, foncier…
Hormis peut-être en Normandie, région qui représente près d’un quart des naissances d’équidés en France, ces litiges autour du cheval restent relativement rares. La base de données de l’IDE ne recense qu’à peine 5 000 décisions (principalement d’appel et de cassation) en un peu plus d’une vingtaine d’années ; nous ne sommes pas dans un contentieux de masse.
Il est donc possible de faire du cas par cas et de prendre l’initiative de pousser les parties vers la médiation, que l’on soit avocat, magistrat ou assureur.
N’oublions pas en effet le rôle de prescripteur de la médiation que peuvent jouer les assureurs qui ont un intérêt objectif au règlement rapide de leurs dossiers et à la reprise des lourdes provisions qu’ils ont parfois immobilisées.
Pensons également aux vétérinaires qui peuvent avoir le recul suffisant pour être parfois de bon conseil auprès de leurs clients.
Quant aux professionnels (centres équestres, marchands de chevaux…), ils ont de toute façon l’obligation - qui reste pour l’instant assez théorique - de désigner un médiateur pour leurs litiges relevant du Code de la consommation.
Une fois les « bons » dossiers sélectionnés, reste à trouver les « bons » médiateurs, c’est-à-dire si possible ceux qui comprennent les notions et la terminologie spécifique du domaine. La compétence technique du médiateur dans la matière du litige est une vieille question : Stephen Bensimon (fondateur de l’IFOMENE) considère qu’elle n’est absolument pas indispensable mais on peut tout de même admettre que le médiateur doit au moins comprendre de quoi discutent les parties [13].
Tout comme pour les avocats, il n’existe pas de centre de médiation se consacrant uniquement au droit équin. L’idée la plus simple et la plus efficiente est alors de s’adresser à l’IDE qui recense dans ses rangs au moins une entité [14] et une trentaine de personnes pratiquant la médiation, situées partout en France.
Si cet institut n’a pas vocation à se transformer en centre de médiation, il peut utilement indiquer une personne compétente et géographiquement proche du litige.
Ensuite, c’est à chacun de jouer son rôle dans la pièce.
Gérard Majourau Directeur juridique Institut français du cheval et de l'équitation (IFCE), trésorier de l'Institut du droit équin, médiateur[1] À ne pas confondre avec la médiation équine où le cheval est le médiateur et non l’objet de la médiation.
[2] Art. 213-3 du Code de Justice Administrative issu de la directive UE « médiation » de 2008.
[3] Grand Dictionnaire Larousse.
[4] Les récents décrets n° 2022-245 du 25 février 2022 favorisant le recours à la médiation et n° 2023-357 du 11 mai 2023 relatif à la tentative préalable obligatoire de médiation, de conciliation ou de procédure participative en matière civile en sont de bons exemples.
[5] Décret n° 2023-686 du 29 juillet 2023 portant mesures favorisant le règlement amiable des litiges devant le tribunal judiciaire et sa circulaire d’application du 17 octobre 2023.
[6] Conseil national des Barreaux, l’avocat acteur des modes amiables de résolution des différends, 2ème édition, 2021.
[7] Pour les magistrats et les médiations judiciaires, voir par exemple l’article de Philippe Charrier, La médiation judiciaire en France - Innovation institutionnelle et pratiques professionnelles des magistrats, Revue des Sciences Sociales 65/2021, 80-89 https://journals.openedition.org/revss/6382
[8] www.ifce.fr
[10] Par exemple Manuel Carius, Solène Maulard, Marion Wujeck-Deshayes, le droit du cheval et de l’équitation (3ème édition), Éditions la France Agricole, 2023 ou Être propriétaire d’un équidé en 50 questions, Institut du droit équin (ouvrage collectif), éditions IFCE, 2023.
[11] Un grand merci à Claire Bobin, directrice de l’Institut du droit équin (IDE) pour ses explications sur ce cas.
[12] Un grand merci à Claire Bobin, directrice de l’Institut du droit équin (IDE) pour ses explications sur ce cas.
[13] S’il se parle de syndication, de foal sharing ou de contrat tous frais tous gains, le médiateur non initié risque d’avoir un peu de mal à suivre la conversation.
[14] Le centre « Mayenne médiation » à Laval, dont les membres ont une forte valence dans le domaine du droit équin, vient de se renommer en « Pégase médiation » pour mettre en avant cette compétence https://www.pegase-mediation.fr/
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Très fine analyse de la médiation et de sa grande et nécessaire utilité.
Concernant l’aspect des dossiers paraissant "médiatisables", je suis convaincu que tout dossier est apte à être "médiatisé". Il me semble que le fait même de procéder à une évaluation des dossiers en les classants comme étant "médiatisables ou non" peut porter préjudice à la notion de médiation.
Merci pour le compliment !
Sur la sélection des dossiers "médiatisables", je n’ai fait que reprendre ce que je connais de la pratique actuelle des juridictions.
Je crois savoir qu’il en est de même aujourd’hui pour les dossiers susceptibles d’être envoyés en ARA (ou pas).
Nous seront d’accord sur un point : in fine ce sont les parties qui décident.