Village de la Justice www.village-justice.com

Sanction des fonctionnaires : conditions pour obtenir sa suspension par la voie d’un référé devant le tribunal administratif. Par Hannelore Mougin, Avocat.
Parution : lundi 9 octobre 2023
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/sanction-des-fonctionnaires-conditions-pour-obtenir-suspension-par-voie-refere,47470.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Par une ordonnance du 25 septembre 2023, le juge des référés près le Tribunal administratif de Versailles a suspendu l’exécution de la sanction d’exclusion temporaire de fonctions d’une durée de deux ans, dont six mois avec sursis, adoptée le 6 juillet 2023 par la Première ministre, à l’encontre du conservateur général du patrimoine affecté à l’établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles.

Cette jurisprudence toute récente du Tribunal administratif de Versailles mérite que l’on s’y attarde pour rappeler l’office du juge administratif en la matière (1), le cadre procédural (2) et les conséquences de l’ordonnance prononçant la suspension de l’exécution (3).

1. Retour sur ce cas d’espèce.

La discipline constitue l’un des fondements traditionnels de la fonction publique et traduit le corollaire d’une violation, par un agent public, de ses obligations.

L’administration, investie d’un pouvoir hiérarchique, peut sanctionner les agissements fautifs de ses agents. Ces derniers, quant à eux, bénéficient de garanties procédurales, mais aussi de la faculté de saisir le juge administratif pour contester la légalité de cette sanction disciplinaire.

Les faits de l’espèce peuvent se résumer ainsi : l’agent, conservateur général du patrimoine affecté à l’établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles, s’est vu reprocher d’avoir organisé des conférences et des visites privées du château de Versailles, certaines d’entre elles ayant donné lieu à des versements de sommes d’argent et ce, sans autorisation de la présidence de l’établissement public.

A l’issue de la procédure disciplinaire, l’intéressé s’est vu infliger une sanction disciplinaire du troisième groupe à savoir, la sanction d’exclusion temporaire de fonctions de deux ans, assortie d’un sursis de six mois. Dans le même temps, il était informé de la reprise de son logement concédé par nécessité absolue de service [1].

Appréciation portée par le juge des référés.

Dans cette affaire, le requérant a saisi la juridiction administrative de deux requêtes afin d’obtenir la suspension de l’exécution des deux décisions administratives.

Le juge des référés près le Tribunal administratif de Versailles a suspendu l’exécution de la sanction disciplinaire, car le moyen tiré du caractère disproportionné de la sanction était de nature à faire naître un doute sérieux quant à sa légalité.

En revanche, le juge des référés a rejeté la demande de suspension de l’exécution de la décision mettant fin au bénéfice du logement concédé pour nécessité de service en considérant qu’il n’existait pas d’urgence à suspendre l’exécution de cette décision.

2. Rappel de la procédure et analyse.

La procédure de référé suspension est une procédure d’urgence qui permet de demander la suspension de l’exécution d’une décision administrative.

Pour être recevable, la requête en référé doit satisfaire trois conditions à savoir :
1. L’introduction en parallèle d’un recours au fond
2. Justifier d’une urgence à suspendre l’exécution de la décision
3. Démontrer l’existence d’un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée à l’occasion du recours au fond.

Il est rappelé par ailleurs, que la décision ne doit pas avoir été déjà intégralement exécutée lorsque le juge des référés statue.

Comme il l’est d’usage, le juge des référés a d’abord mobilisé les principes généraux de sa jurisprudence pour apprécier la condition de l’urgence.

Pour ce faire, il a relevé que la sanction de l’exclusion temporaire de fonctions contestée :

« avait pour effet de priver le requérant de sa principale source de revenus et d’entrainer un bouleversement de ses conditions d’existence et de sa situation professionnelle ». Cette appréciation s’inscrit dans le sillage de la jurisprudence administrative traditionnelle qui considère que la condition d’urgence peut être caractérisée sous l’angle économique et notamment par l’aspect imprévu et soudain de la diminution de la rémunération [2].

Le juge des référés a ensuite livré son analyse au regard des moyens et arguments soulevés par les parties pour se prononcer sur l’existence, en l’état de l’instruction, d’un doute sérieux quant à la légalité de l’acte attaqué.

Sur ce point, rappelons que depuis la décision Dahan du 13 novembre 2013 [3], le juge de l’excès de pouvoir exerce un contrôle normal sur la légalité des sanctions infligées aux agents publics et ainsi sur les questions de savoir si les faits reprochés à un agent public constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

Dans ses conclusions, le président Stirn soulignait l’attention particulière devant être portée à la proportionnalité des mesures, en l’occurrence pour une sanction mettant fin à une carrière :

« Eu égard à leur gravité et à leur caractère irréversible, elles ne peuvent légalement être prononcées sans qu’aient été prises en considération, outre la gravité de la faute, le passé, la personnalité et les qualités de l’agent concerné » [4].

En ordonnant la suspension de l’exécution de la sanction disciplinaire infligée au conservateur, le juge des référés a apprécié sa manière de servir et relevé, à ce titre, qu’il n’avait jamais fait l’objet de sanction et qu’il avait toujours reçu des appréciations élogieuses de sa hiérarchie sur la qualité de son travail. Cette appréciation était mise en perspective avec les faits fautifs reprochés, mais aussi les informations dont disposait l’établissement public sur les visites organisées et les missions de diffusion des connaissances dévolues aux conservateurs de patrimoine.

Le juge des référés a donc estimé qu’il existait, en l’espèce, un doute sérieux sur la légalité de la sanction quant à sa proportion au regard des faits reprochés.

En revanche, pour rejeter la requête relative au logement concédé pour nécessité absolue de service, le juge des référés a estimé, cette fois-ci, que la condition d’urgence n’était pas satisfaite et s’est abstenu d’apprécier l’existence d’un doute réel et sérieux quant à la légalité de l’acte attaqué. Dans son appréciation et après avoir rappelé que le requérant n’avait aucun droit acquis au maintien dans son logement concédé pour nécessité absolue de service, le juge des référés a relevé qu’au regard des éléments du dossier, la situation du requérant ne faisait pas ressortir une impossibilité de trouver et d’occuper dans des délais brefs un nouveau logement et donc l’urgence de le maintenir dans le logement concédé au titre du service.

3. Effets de l’ordonnance du juge des référés.

L’exécution de l’ordonnance impose à l’administration de réintégrer l’agent dans ses fonctions et ce jusqu’à ce qu’il soit statué au fond sur la légalité de la décision prononçant la sanction.

Les ordonnances de référé ont un caractère exécutoire et une force obligatoire à l’égard des parties [5]

Il ne restait, pour l’administration, que la possibilité de se pourvoir en cassation devant le Conseil d’Etat - la voie de l’appel devant la cour administrative d’appel étant fermée.

Ce cas d’espèce rappelle qu’une sanction peut être éclipsée dans l’attente du jugement au fond, par le juge du référé suspension si cette dernière semble disproportionnée et ce, quand bien même, elle émanerait de l’administration, gérant l’œuvre du Roi Soleil.

Hannelore Mougin Avocat associé du cabinet Fidelio Avocats Barreau de Paris Spécialiste en droit pénal et droit pénal militaire www.fidelio-avocats.fr

[2CE, 29 avril 2010, n°338462 ou encore CE, 3 mai 2017, n°407796.

[3CE, 13 novembre 2013, n°347704.

[4Conclusions sur CE, 13 juin 1990, Ministre de l’intérieur c/ O..., n° 112.997, aux tables.

[5Rien n’interdit au juge des référés d’assortir sa décision d’une mesure d’injonction, pour ordonner à l’administration de prendre toutes les mesures conservatoires immédiates relatives à la suspension de l’exécution de la décision administrative. Voir en ce sens : CE, sect. 5 novembre 2003, 259339 « Ass. De protection des animaux sauvages ».