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![]() Le Tour de France et la propriété intellectuelle. Par Jérôme Tassi et Dune Gérin, Avocats.
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Parution : mercredi 28 juin 2023
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Le 1er juillet 2023 s’élançait la 110ème édition du célèbre Tour de France, au départ de Bilbao en Espagne.
Cette nouvelle édition donne l’occasion de revenir sur la protection des droits de propriété intellectuelle liés à cet évènement sportif majeur, et notamment sur la stratégie de dépôt de son organisateur.
Alors que la première édition du Tour de France a eu lieu en 1903, les premières marques n’ont été déposées qu’à partir des années 1950, avec notamment la marque française et le dépôt international ’Tour de France cycliste’ en 1952 et 1953.
Depuis cette date, la Société du Tour de France veille à la protection des marques liées à l’évènement sportif qu’elle organise. Elle est ainsi titulaire d’une quinzaine de marques françaises et de l’Union européenne, mais également de plusieurs dépôts internationaux et marques étrangères.
La distinctivité intrinsèque de la marque “Tour de France” a été contestée dans une affaire ancienne contre le “Tour de France à la voile”.
Au visa de l’article 3 de la loi du 1er décembre 1964 (applicable à la marque invoquée), la Cour d’appel de Paris a jugé que :
« la dénomination “Tour de France” n’est pas exclusivement nécessaire pour désigner les services d’organisation de concours en matière d’éducation ou de divertissement ou d’organisations sportives visées au dépôt, même si l’épreuve sportive cycliste pour laquelle elle est utilisée se dispute selon un parcours sillonnant la France ; […] l’usage constant de cette marque, antérieurement à son dépôt, depuis la création en 1903 de l’événement sportif qu’elle désigne, et l’exploitation intensive, soutenue par des investissements publicitaires importants, qui en a été faite justifie sa protection conformément aux dispositions de l’article 6 quinquies C de la Convention d’Union de Paris » [1].
En analysant la stratégie de dépôt de la Société du Tour de France, plusieurs points d’intérêts peuvent être relevés.
Le signe “Tour de France” est déposé sous diverses variantes verbales et figuratives, notamment :
La Société du Tour de France détient également les marques protégeant les célèbres maillots des cyclistes, sous forme verbale ou figurative :
Les maillots font également l’objet de dépôts de dessins et modèles, permettant un cumul de protection sur ces emblèmes du Tour de France.
Elle dépose également des marques annexes en lien avec la course, telles que : “La grande boucle” ; “Grand départ” ; “L’Etape du Tour” ; “Virtuel Tour” ; “Autour du Tour” ; “Tour de fête” etc.
Dans l’affaire “Tour de France à la voile” déjà citée [2], la Cour a accordé une portée limitée à la marque “Tour de France”, qui :
« ne peut faire obstacle à l’utilisation de cette expression dans son acception usuelle, pour désigner un parcours, un voyage à travers la France, même si en raison de la notoriété de l’épreuve cycliste annuelle qui se déroule au début de l’été, elle évoque immédiatement dans l’esprit du public, prise isolément, cet évènement sportif ».
En l’espèce, l’ensemble “Tour de France à la voile” n’est pas contrefaisant car :
« il constitue un tout indivisible doté d’une signification distincte dans lequel l’expression “Tour de France” perd son pouvoir attractif propre ».
En 2017, la Société du Tour de France s’était opposée à la demande de marque “Tour de X” (voir image ci-après) déposée par une société allemande, notamment pour des vêtements, des équipements sportifs et des activités sportives et culturelles.
Dans cette affaire, l’EUIPO a considéré qu’il était peu probable que les consommateurs établissent immédiatement et sans ambiguïté un lien entre les signes comparés, puisqu’ils ne coïncident que par un élément non distinctif : “Tour de”. Dans la marque contestée, l’attention du public se concentrera sur la lettre « X » qui est plus distinctive et plus frappante sur le plan visuel.
De la même manière, l’office a estimé que les consommateurs concernés n’associeraient pas d’autres compétitions de cyclisme (telles que le Tour de Pologne, le Tour de Belgique ou le Tour de Suisse par exemple) au Tour de France, pour la seule raison qu’elles contiennent l’expression “Tour de”.
L’impression d’ensemble créée par ces marques n’est donc pas susceptible de créer une confusion entre les signes [3].
La Société du Tour de France s’était également opposée au dépôt de la marque “Tour de France à la rame” sur la base de l’atteinte à leur marque de renommée “Tour de France”.
Le Tribunal a également rejeté leur demande, considérant que les pièces à l’appui du soutien de la renommée de la marque “Tour de France” n’étaient pas de nature à établir que cette marque était connue d’une très large fraction du public pour désigner l’évènement sportif qui s’y rapporte, mais seulement que l’évènement sportif lui-même bénéficiait d’une très grande notoriété et jouissait d’un succès certain, indépendamment de la marque litigieuse [4].
Enfin, dans une décision plus ancienne, la Société du Tour de France avait assigné en justice une agence de tour opérateur qui offrait en vente sur son site sous l’intitulé “Le Tour de France 2006” des voyages organisés sur l’itinéraire du Tour de France 2006 en exploitant les marques et images de la Société du Tour de France.
Il a été jugé que l’utilisation des termes “Tour de France” et “Le Tour” ainsi que de périphrases désignant l’évènement était nécessaire pour promouvoir la vente de voyages organisés sur l’itinéraire du Tour de France, au risque d’induire les consommateurs en erreur sur le voyage qu’ils souhaitaient acheter.
Le Tribunal a statué dans le même sens sur le fondement des marques de renommée :
« […] l’utilisation des termes “Tour de France” et “Le Tour” sont nécessaires pour identifier le voyage vendu sur le site internet www.eurocycler.com afin d’éviter d’induire le consommateur en erreur. Cet emploi ne constitue donc pas une exploitation injustifiée de la notoriété des marques et n’est pas de nature à porter préjudice à leur titulaire ».
Toutefois, la défenderesse a été condamnée pour atteinte au droit d’exploitation de la Société du Tour de France en raison de l’utilisation d’images du Tour sans autorisation, ceci au visa de l’article L333-1 du Code du sport.
De manière plus atypique, s’était également posée la question de la protection de « l’itinéraire » du Tour de France par l’article du code du sport.
Les juges ont écarté cette possibilité, estimant que le monopole de l’organisateur ne saurait revenir à lui accorder un droit exclusif sur l’itinéraire de la course :
« Si en vertu de ce droit d’exploitation, l’organisateur du Tour de France peut légitimement recueillir les fruits des efforts, notamment financiers, consacrés à cette manifestation sportive, ce droit, en ce qu’il constitue un monopole, doit s’apprécier de façon restrictive. Ce droit d’exploitation ne porte que sur un événement singulier à savoir le spectacle vivant que constitue la manifestation sportive et non sur ses effets indirects tels que les retombées touristiques […] Etendre le monopole des organisateurs du Tour de France à l’itinéraire reviendrait à leur accorder un droit sur des effets indirects du Tour de France et non pas sur une exploitation de cette manifestation en tant que telle » [5].
De manière générale, la tenue de grands évènements sportifs comme le Tour de France soulève divers enjeux en matière de propriété intellectuelle. On pense notamment aux contrats de sponsoring, aux difficultés liées à l’ambush marketing, aux droits à l’image des sportifs ou encore à la question cruciale des droits de diffusion. Avec l’arrivée des Jeux Olympiques de Paris 2024, l’actualité en propriété intellectuelle risque d’être chargée !
Jérôme Tassi, Avocat au Barreau de Paris Spécialiste en propriété intellectuelle www.agilit.law [->jerome.tassi@agilit.law] et Dune Gérin, Avocate au Barreau de Paris[1] CA Paris, 13 juin 2001, RG 1999/10759.
[2] CA Paris, 13 juin 2001, RG 1999/10759.
[3] EUIPO, chambre des recours, 11 juillet 2022, aff. R 1136/2019-2, décision faisant l’objet d’un pourvoi devant le TUE sous le n° T-607/22.
[4] TJ Paris, 3e ch., 16 avr. 2021, n° 17/10677.
[5] TGI de PARIS, 3ème Chambre, 1ère section, 9 décembre 2008.
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