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Pas de recouvrement de factures sans preuve de la réalisation des prestations. Par Lamia El Fath, Avocat et Céline Gevrey, Elève-Avocat.
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Parution : vendredi 23 avril 2021
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Dans un arrêt récent, la cour de cassation a retenu que pour exiger le paiement de factures impayées, le prestataire doit non seulement prouver que les prestations concernées ont bien été commandées, mais également qu’elles ont été réalisées.
La question de la preuve est un sujet récurrent en contrats informatiques.
Dans un arrêt inédit du 10 mars 2021, la Cour de cassation a décidé que c’est à celui qui réclame le paiement d’une prestation de prouver « que les prestations litigieuses avaient été commandées et réalisées ».
La Cour d’appel de Versailles avait condamné la société cliente à payer les factures de son prestataire au motif que les factures en souffrance détaillaient précisément les prestations qu’elles concernaient et que la société cliente ne rapportait pas la preuve que ces prestations n’avaient pas été réalisées.
La Haute juridiction a considéré que la charge de la preuve avait été inversée dans la décision rendue par la Cour d’appel de Versailles.
Dans cette affaire, deux sociétés avaient conclu un contrat :
La cliente, une société spécialisée dans la distribution de films, dénommée EEC ; et
Le prestataire, Wizitivi, une société de développement d’applications multimédia.
Classiquement, le contrat prévoyait que :
Wizitivi devait concevoir une plateforme de vidéos à la demande pour le site internet de sa cliente, EEC ; et
EEC devait payer le prix de ces prestations.
EEC estimait que les prestations fournies par Wiztivi étaient incomplètes ou non satisfaisantes pour certaines.
Après s’être acquittée des trois premières factures (émises pour un montant global de 59 900,01 euros), EEC a donc suspendu ses paiements et a finalement résilié le contrat.
90 000,00 euros restaient impayés.
Wiztivi a donc agi à l’encontre d’EEC pour obtenir le paiement de cette somme.
La Cour d’appel de Versailles a condamné EEC à payer à Wiztivi la somme de 30 469,80 euros. Cette somme correspond à deux des cinq factures non acquittées par EEC. Les trois autres ayant été écartées au motif qu’elles ne détaillaient aucune prestation.
La Cour de cassation a infirmé cette décision de la cour d’appel sur le fondement de l’article 1353 du Code civil.
Elle considère que ce n’est pas à EEC de prouver que Wiztivi n’avait pas réalisé sa prestation, mais à Wiztivi de prouver qu’elle avait bien réalisé sa prestation pour pouvoir en réclamer le paiement.
Selon cet arrêt, en cas de non-paiement d’une prestation par son client, le prestataire pourra obtenir le bon paiement devant les juridictions, à condition de démontrer que la prestation en question a bien été commandée et réalisée.
En d’autres termes, avant toute action en paiement, le prestataire devra s’assurer au préalable qu’il a la preuve que :
D’une part, la prestation a bien été commandée ; et
D’autre part, qu’elle a été réalisée.
En pratique, cette décision répond à une certaine logique puisqu’il est toujours plus aisé de prouver qu’une prestation a été réalisée, plutôt que de démontrer qu’elle n’a pas été réalisée.
En revanche, elle soulève certaines interrogations :
Comment démontrer qu’une prestation a bien été réalisée ?
Est-ce qu’un simple email de confirmation est suffisant pour démontrer que la prestation a été réalisée ? Est-ce qu’un procès-verbal de réception doit être systématiquement signé ?
Dans le cadre de prestations complexes, comme la conception d’une application multimédia, comment établir qu’un paiement correspond à telle ou telle prestation ?
En cas de finalisation partielle de la prestation, peut-on réclamer un paiement partiel ?
En tout état de cause, cet arrêt souligne combien il est important d’anticiper les cas de défaut de paiement au sein des contrats et au cours de la réalisation des prestations. Le recouvrement de factures n’est pas automatique est peut parfois se révéler difficile. Ceci est d’autant plus vrai que les sommes en cause sont importantes et que le projet est complexe.
Il est donc vivement recommandé au prestataire de prévoir un réel suivi de projet avec :
Des devis et des factures détaillés présentant le prix et le contenu de chacune des prestations identifiées ;
Un échelonnement des livraisons associées à des échéances de paiement ; et
Une procédure de recette actée par la signature de procès-verbaux de recettes.
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