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« Black Face » : un salarié peut-il être licencié à cause de vidéos personnelles sur Internet ? Par Françoise De Saint Sernin, Avocat et Yann-Maël Larher, Docteur en droit.
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Parution : mercredi 8 janvier 2020
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Sur Twitter et Instagram notamment, la vidéo d’une soirée privée a coûté une mise à pied à titre conservatoire à deux employés du "Slip français". Au delà de la polémique, cette affaire questionne sur la porosité entre la vie personnelle et la vie professionnelle. Peut-on réellement être sanctionné pour des faits relevant de la vie privée ?
Deux employés se sont filmés durant une soirée privée, l’une arborant une "blackface" et l’autre déguisé en singe. A la suite de la publication et de la reprise des images par différentes associations et pages antiracistes, l’identité des fêtards a été dévoilée, et de nombreux internautes ont interpellé leurs employeurs pour réclamer leur licenciement.
L’entreprise qui emploie deux des personnes présentes dans la vidéo a communiqué officiellement en expliquant avoir “convoqué” et “sanctionné” les intéressés qui ont été mis à pied à titre conservatoire.
L’article 9 du Code civil assure à chacun le droit au respect de sa vie privée. Par conséquent, la vie personnelle du salarié ne peut être considérée comme un motif légitime de licenciement. Même diffusés publiquement, les propos tenus sur les réseaux sociaux relèvent également de la vie privée et de la liberté d’expression du salarié. Ils ne peuvent donc pas être pris en compte.
Selon la convention européenne des Droits de l’Homme, la liberté d’expression est en effet un principe fondamental qui s’applique notamment dans le monde du travail. Le salarié doit cependant être prudent. Selon la jurisprudence de la Cour de Cassation, certains faits issus de la vie personnelle peuvent justifier le licenciement dans les cas où : les faits reprochés aux salariés constituent un manquement à ses obligations contractuelles ; les faits reprochés causent un trouble objectif caractérisé au sein de l’entreprise.
Ainsi, un salarié ne peut pas être sanctionné pour des actes tirés de sa vie personnelle… sauf si cela caractérise un trouble objectif au sein de l’entreprise. La Cour de cassation estime en effet qu’il peut être procédé à un licenciement pour une cause tirée de la vie privée du salarié si le comportement de celui-ci, compte tenu de la nature de ses fonctions et de la finalité propre de l’entreprise, a créé "un trouble caractérisé au sein de cette dernière" [1]. Les remous occasionnés au sein d’une radio de l’audiovisuel public par la publication d’un livre controversé peuvent fonder un licenciement, mais sans que la rupture du contrat de travail revête un caractère disciplinaire [2]. Le licenciement interviendra donc pour cause réelle et sérieuse, en raison du trouble objectif causé à l’entreprise. La distinction entre « vie personnelle et vie professionnelle » est ainsi beaucoup moins étanche que l’expression ne le laisse penser.
Même en dehors du temps et du lieu de travail, le salarié reste soumis à certaines obligations envers son employeur. Certains salariés doivent être encore plus prudents que les autres car ils sont soumis à une obligation particulière de probité dans le cadre de leur travail. L’employeur peut alors procéder au licenciement pour faute du salarié si les faits commis hors du temps et du lieu de travail se rattachent, à sa vie professionnelle ou caractérisent un manquement à une obligation découlant de son contrat de travail [3]. « Dès lors, une cour d’appel, qui a relevé qu’un salarié cadre commercial dans une banque et tenu, à ce titre, d’une obligation particulière de probité, à laquelle il avait manqué en étant poursuivi pour des délits reconnus d’atteinte à la propriété d’autrui, a pu décider que ces faits, qui avaient créé un trouble caractérisé au sein de l’entreprise, rendaient impossible la poursuite du contrat de travail et constituaient une faute grave » [4].
En définitive, si le respect de la vie privée assuré par l’article 9 du Code civil permet de protéger les salariés, ces derniers doivent être prudents en particulier sur Internet. Les atteintes à l’image ou à la réputation de l’entreprise ou encore les manquements à une obligation contractuelle légitime pourront permettre à l’employeur de s’immiscer dans la vie personnelle du salarié et de procéder à son licenciement.
Françoise de Saint Sernin, Avocate associée - Cabinet SAINT SERNIN [->https://www.cadreaverti-saintsernin.fr/] Yann-Maël Larher, Docteur en droit social - Okay Doc[1] Cass. soc., 22 janv. 1992, n°90-42.517
[2] Cass. soc., 9 mars 2011, n°09-42.150
[3] Cass. soc. 3 mai 2011 n° 09-67.464
[4] Cass. soc. 25 mai 2006 n° 04-44.918
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Bonjour, J’ai eu à traiter d’un cas individuel où la seule option s’est révélée être celle d’une rupture du contrat de travail pour cause réelle et sérieuse, à notre initiative. Les faits étant établis et le salarié concerné poursuivi dans une affaire privée mais qui constituait un trouble objectif et caractérisé pour l’entreprise.
Cecit étant, il n’est pas aisé d’invoquer un comportement fautif tiré de la vie privée et de l’étayer, notamment, lorsque ce dernier est accompli à l’étranger et n’a pas fait l’objet d’une condamnation (ici pénale).