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Un rugbyman qui perçoit un « défraiement » d’une association pour participer aux entraînements et rencontres sportives, est, en fait, un salarié soumis au Code du travail ! Par Frédéric Chhum, Avocat
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Parution : jeudi 12 mai 2011
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Après avoir requalifié les contrats de téléréalité en contrat de travail, la Cour de cassation s’attaque aux sportifs ; elle vient de requalifier un « contrat de défraiement » d’un rugbyman avec une association en contrat de travail (Cass. soc 28 avril 2011, n°10-15573).
Cette décision invitera les rédacteurs de contrats de sportifs à la plus grande prudence, faute de quoi, le contrat (défraiement, partenariat, etc.) signé avec le sportif pourrait être requalifié en contrat de travail.
Tous salariés !?
Monsieur X, a, pour la saison 2006/2007, conclu avec l’association Marseille Vitrolles Rugby, une convention prévoyant sa participation en qualité de joueur de rugby aux entraînements et aux rencontres sportives ainsi que le versement d’un défraiement annuel de 18.000 euros, avec une participation aux frais de logement d’un montant mensuel de 1.000 euros et des primes de matches.
Il a saisi les prud’hommes, soutenant être lié à l’association par un contrat de travail.
A la suite du placement en redressement judiciaire de l’association, un mandataire judiciaire est intervenu à l’instance.
La Cour d’Appel d’Aix-en-Provence a considéré, par arrêt du 14 janvier 2010, que la convention liant les parties était une « convention de défraiement », et non un contrat de travail.
La Cour a relevé que la mention dans la convention de « l’obligation faite aux joueurs de participer aux rencontres sportives, de s’entraîner conformément aux directives données par l’encadrement, de respecter une certaine hygiène de vie, ainsi que le règlement du club ne saurait caractériser, à elle seule, l’existence d’un lien de subordination, dans la mesure où ces consignes sont inhérentes à la pratique du rugby et entrent uniquement dans le cadre d’un simple rapport d’autorité sportif, indispensable à la poursuite d’un sport collectif et à l’organisation des matches et entraînements ».
En outre, la Cour d’appel a considéré que Monsieur X exerçait, à temps plein et à titre salarié, une activité de chauffeur-livreur, ce qui constitue un indice de l’absence de lien salarié avec le club sportif.
Elle a ajouté que « le joueur, adhérent de l’association, participait à une équipe amateur qui s’entraînait le soir, pendant deux heures, généralement trois fois par semaine » ; et que « le fait qu’il ait été convenu que Monsieur X serait défrayé en contrepartie de sa participation aux entraînements et aux matches, compte tenu de l’implication horaire demandée et que le club ait consenti à participer à ses frais de logement, s’agissant d’un joueur étranger, est insuffisant à caractériser l’existence d’un contrat de travail ».
La Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence aux motifs que :
« Attendu cependant que l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs ; que le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ».
La Cour de cassation ajoute qu’en statuant comme elle a fait, « par des motifs inopérants tirés de l’exercice d’une activité professionnelle exercée parallèlement, à temps complet, par l’intéressé, alors, d’une part, que celui-ci était tenu, sous peine de sanctions, conformément au règlement interne du club et à la charte des droits et des devoirs du joueur, de participer aux activités sportives, de suivre les consignes données lors des entraînements et de respecter le règlement du club, et, d’autre part, que le joueur percevait des sommes en contrepartie du temps passé dans les entraînements et les matches, ce dont il résultait que, nonobstant la qualification conventionnelle de défraiement, elles constituaient la rémunération d’une prestation de travail, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».
L’affaire est renvoyée devant la Cour d’Appel de Montpellier.
La Cour de cassation ne laisse pas le choix à la Cour d’appel de Montpellier puisqu’elle précise qu’il n’y a pas de « renvoi sur la qualification du contrat », les parties étant liées par un contrat de travail ; la Cour d’appel devra statuer sur les conséquences financières découlant de la qualification de contrat de travail de la relation contractuelle.
Première réflexion : la Cour de cassation reprend son standard jurisprudentiel : « l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs ; que le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ».
En outre, la Cour de cassation va très loin car elle considère, à juste raison d’ailleurs, que le fait que le sportif ait un emploi à temps plein de chauffeur-livreur en plus de son activité sportive, n’empêchait pas que celui-ci ait un lien salarial avec l’association.
Deuxième réflexion : les rédacteurs de contrats de sportifs doivent être très prudents ; en effet, les sportifs concluent très souvent des contrats de partenariat, ou de défraiement.
Ils doivent vérifier que, in concreto, ces contrats ne sont pas en réalité des contrats de travail, faute de quoi, la sanction sera sévère.
A cet égard, outre l’application du Code du travail (licenciement, durée du travail, etc.) les sommes versées sont assujetties à cotisations et contributions sociales, comme un salaire, ce qui augmente significativement le coût pour l’employeur (NB : pour un salaire de 10.000 euros bruts, le montant des charges patronales est d’environ 4.200 euros (42%)).
Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhumCet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion, plus d'infos dans nos mentions légales ( https://www.village-justice.com/articles/Mentions-legales,16300.html#droits ).