1) Faits et procédure.
La société Lidl a sollicité l’autorisation de licencier un salarié, responsable de magasin ayant la qualité de salarié protégé, pour inaptitude consécutive à une maladie non professionnelle.
L’inspecteur du travail de l’unité territoriale du Pas-de-Calais, puis le ministre du travail, de l’emploi et de la santé, ont refusé de délivrer cette autorisation au motif que la société Lidl n’avait pas satisfait à son obligation de recherche sérieuse de reclassement.
Toutefois, le Tribunal administratif de Lille a annulé ces décisions au motif qu’elles étaient entachées d’un vice de procédure.
La société Lidl a alors recherché la responsabilité de l’Etat afin d’obtenir réparation du préjudice qu’elle estime avoir subi du fait de l’illégalité des décisions de refus d’autorisation de licenciement.
Par un jugement du 30 décembre 2015, le Tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.
Par un arrêt du 20 décembre 2018, la Cour administrative d’appel de Douai a rejeté l’appel formé par la société Lidl contre ce jugement.
Par une décision n° 428198 du 4 novembre 2020, le Conseil d’Etat a annulé cet arrêt et renvoyé l’affaire à la Cour administrative d’appel de Douai, rappelant la démarche que les juges du fonds doivent suivre dans un tel cas :
« Lorsqu’un employeur sollicite le versement d’une indemnité en réparation du préjudice subi du fait de l’illégalité d’un refus d’autorisation de licenciement entaché d’un vice de procédure, il appartient au juge de rechercher, en forgeant sa conviction au vu de l’ensemble des pièces produites par les parties et, le cas échéant, en tenant compte du motif pour lequel le juge administratif a annulé cette décision, si la même décision aurait pu légalement être prise dans le cadre d’une procédure régulière ».
Par un arrêt du 5 août 2021, la Cour administrative d’appel de Douai a de nouveau rejeté la requête de la société Lidl en raison de l’absence de lien de causalité direct entre cette illégalité et le préjudice allégué.
En effet, suivant la réflexion guidée par le Conseil d’Etat, la Cour administrative d’appel de Douai a considéré que ces décisions auraient pu être légalement prises si elles étaient intervenues à l’issue d’une procédure régulière car elles étaient légalement fondées sur le non-respect par l’employeur de ses obligations en matière de reclassement, dès lors notamment qu’il existait d’autres postes de travail équivalents aux fonctions exercées par le salarié qui ne lui avaient pas été proposés.
La Société Lidl s’est pourvu en cassation contre cet arrêt.
2) Moyens.
La Société Lidl soutient que les emplois retenus par la Cour administrative d’appel comme équivalents à l’emploi précédemment occupé par le salarié ne pouvaient être proposés à l’intéressé car ils relevaient d’une catégorie d’emplois, celle de cadre, supérieure à celle à laquelle appartenait le salarié, employé en tant qu’agent de maîtrise.
3) Solution.
Le Conseil d’Etat, rejette le pourvoi de la Société Lidl.
Après avoir rappelé les textes légaux applicables, le Conseil d’Etat conclut que la seule circonstance qu’un emploi relève d’une catégorie supérieure à celle à laquelle appartenait le salarié,
« alors même qu’il pouvait en être tenu compte, parmi d’autres éléments, pour apprécier la comparabilité des postes disponibles aux fonctions jusqu’alors exercées, ne saurait, par elle-même, faire obstacle à ce que ces postes aient été au nombre de ceux qui devaient être proposés par l’employeur au salarié au titre de ses obligations en matière de reclassement ».
Ainsi, la Cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit et n’a pas inexactement qualifié les faits en jugeant que la société Lidl ne pouvait être regardée comme ayant mené une recherche suffisamment sérieuse pour reclasser l’intéressé, eu égard à l’existence de postes appropriés qui ne lui avaient pas été proposés.
En conséquence, il n’existait pas de lien de causalité direct entre l’illégalité des décisions due à un vice de procédure et le préjudice allégué dès lors que les mêmes décisions de refus d’autorisation de licenciement du salarié auraient pu légalement être prises à l’issue d’une procédure régulière au motif que la société Lidl n’avait pas respecté ses obligations en matière de reclassement.
Le pourvoi de la Société Lidl doit donc être rejeté, cette dernière n’étant pas fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque.
4) Analyse.
Cette solution du Conseil d’Etat n’est qu’une précision de la règle prévue par les articles L1226-2 (inaptitude consécutive à une maladie ou un accident non professionnel) et L1226-10 (inaptitude consécutive à un accident du travail ou à une maladie professionnelle) du Code du travail, lesquels prévoient que lorsqu’un salarié est déclaré inapte par le médecin du travail, l’employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.
Le Conseil d’Etat précise alors que tous les postes comparables doivent être proposés au salarié inapte, peu important qu’un poste relève d’une catégorie professionnelle supérieure.
Ainsi, pour écarter un poste des propositions de reclassement faites au salarié inapte, il faut uniquement s’attacher à l’équivalence des fonctions, et en aucun cas à la catégorie professionnelle occupée par le salarié, cette dernière ne pouvant être qu’un indice parmi d’autres pour apprécier la similarité des postes.
D’ailleurs, la Cour de cassation avait déjà jugé que lors de la recherche de reclassement, l’employeur doit également proposer les éventuels postes de catégories inférieures à celle détenue par le salarié [1].
Sources.
Conseil d’État, 4ème - 1ère chambres réunies, 21/07/2023, 457196
Conseil d’État, 4ème - 1ère chambres réunies, 04/11/2020, 428198