Fermez les yeux, vous y verrez toujours le Conseil national des Universités. L’article 5 de la loi de programmation de la recherche du 24 décembre 2020 autorisant les établissements publics d’enseignement supérieur à déroger, à titre expérimental, à la qualification par le CNU pour le recrutement de Maîtres de conférences (ci-après MCF) n’a toujours pas fait l’objet, au 21 octobre 2023, de décret spécifique d’application de la part du Gouvernement - alors que ce décret est pourtant indispensable à la mise en œuvre ainsi qu’à l’invocabilité même dudit article par les établissements intéressés par la grande libéralité qu’il offre [1].
Aucun conseil d’administration n’a donc pu, du moins jusqu’ici, consentir à y recourir librement. Pour le dire autrement, l’on expérimente depuis bientôt 3 ans un dispositif inutilisable de la part des Universités. En 2022, déjà, la mise en œuvre de cette disposition restait « à l’arbitrage du nouveau Gouvernement » selon les services du ministère [2]. Tandis qu’en début d’année 2023, cette fois-ci, la ministre en charge de l’enseignement supérieur parlait d’une entrée en vigueur simplement « différée » sans que la raison n’en ait été avancée [3].
Inutile, dans ce cas, de rechercher sur Galaxie [4] des postes de MCF ouverts aux concours hors qualification, puisqu’il n’y en a pas [5] !
Créé à la Libération par ordonnance, le CNU permet de soustraire de la tutelle des autorités administratives et politiques un certain nombre de décisions individuelles inhérentes à l’enseignement supérieur - comme celle relative au recrutement des enseignants chercheurs [6]. Composée d’autant de sections qu’il y a de disciplines académiques reconnues [7], cette instance nationale traduit l’avènement d’un système d’évaluation de la recherche des pairs, par les pairs et pour les pairs qui n’a strictement aucun équivalent en dehors de nos frontières. Il s’agit donc là d’une exception française à laquelle sont d’ailleurs très attachés bon nombre d’universitaires en poste - comme en atteste la vague d’indignation qui suivit la nuit du 28 au 29 octobre 2020 au moment de l’évaluation, par le Sénat, de la loi de programmation de la recherche.
Cette désapprobation se traduisit notamment par des écrans noirs, en lieu et place des photos d’identité plus conventionnelles, sur les réseaux sociaux professionnels d’un grand nombre de professeurs et de MCF à travers la France. Il faut dire qu’avec la loi du 24 décembre 2020, le CNU s’est vu attaqué puisque dorénavant privé d’une partie importante de ses compétences [8]. Compétences qu’il exerçait jusque-là souverainement.
D’évidence, « le Sénat est un lieu de souffrance pour le CNU » [9] puisqu’en 2013, déjà, la chambre haute avait tenté de saper ses armes « en pleine pause pipi-clope » [10]. Les écologistes d’alors s’en étaient pris au CNU via un amendement, encore présent dans toutes les têtes, visant la suppression pure et simple de la qualification par l’instance nationale.
En 2020, il faut croire que ladite qualification était toujours sur la sellette du Sénat puisqu’elle sera définitivement mise à mal, cette fois-ci, par les pensionnaires du Palais du Luxembourg - avec pour élément déclencheur un sous-amendement du sénateur LR du Maine-et-Loire, Stéphane Piednoir. Ce que l’on peut dire, à ce stade, c’est que la lutte sénatoriale pour l’abolition de la qualification n’a pas qu’une seule mais plusieurs colorations politiques. Et que ce n’est donc pas un combat propre à la droite ou à la gauche en particulier. Il n’en reste pas moins que les sections du CNU continuent de qualifier les candidats aux fonctions de MCF, et que parmi celles-ci, certaines continuent de se faire remarquer par leurs taux de qualification piteusement bas.
À tel point, d’ailleurs, qu’« ils décrédibiliseraient la procédure de qualification » dans son ensemble selon la conférence elle-même des présidents d’Université [11]. Sans surprise, la menace de la suppression de la qualification brandit par la loi de programmation de la recherche du 24 décembre 2024 n’a pas ébranlé la politique malthusienne de qualification de ces sections [12].
C’est peut-être même pire depuis, puisque jamais les qualifiés n’ont été aussi peu nombreux au sein de la Section 02, par exemple, qu’en 2022 [13]. Se sentant sans doute acculée, l’on en viendrait presque à croire que cette section a souhaité délibérément durcir le ton face à l’ampleur de ladite menace pour justifier l’importance de son existence - via un attachement encore plus démesuré qu’à l’accoutumée (ce qui semblait irréalisable, et pourtant…) à l’excellence scientifique des candidats.
En dépit de ces considérations, l’on peut dire que le CNU a été conçu pour s’ancrer dans le temps mais qu’il s’agit d’une création humaine avant tout. Ce qui signifie, par la force des choses, qu’il va vieillir et finir par subir l’usure du temps. C’est précisément la raison pour laquelle il faut systématiquement l’adapter aux évolutions du milieu universitaire pour l’empêcher, justement, de disparaître. Et de voir le pouvoir de recrutement qu’il détient revenir aux autorités administratives et politiques. Dans ce cadre, nous pouvons nous demander quelles voies d’améliorations pourraient suivre les différentes sections, en particulier les plus sélectives d’entre elles, pour rester crédible aux yeux notamment des non qualifiés qui, d’année en année, tentent d’améliorer leur dossier pour enfin décrocher ce précieux sésame qu’est la qualification - que ce soit pour la simple reconnaissance de leur travail [14] ou pour être autorisés à concourir sur des postes de MCF ouverts au concours. Sachant que si des solutions existent pour améliorer le fonctionnement du CNU, toutes ne sont pas forcément connues du grand public. D’où l’intérêt, justement, d’en parler.
Par conséquent, nous détaillerons dans une première partie I/ la portée des révisions mineures dont les sections du CNU devraient faire l’objet - a fortiori lorsqu’elles sont hyper-sélectives, avant de voir dans le cadre d’une seconde partie II/ l’ambivalence de certaines révisions majeures, qui, dans la foulée ou à rebours, pourraient très bien leur être associées. Cette approche montrera en quoi les politiques de qualification les plus exigeantes n’ont strictement rien d’intangible ni d’immuable. Précisément car elles pourraient tendre, à l’instar de ce qui se fait dans certaines sections, vers davantage de souplesse.
I/ Des révisions mineures du Conseil national des Universités pour gommer les petites imperfections que l’expérience de la pratique a révélé.
En premier lieu, les services du ministère qui se chargent d’examiner la recevabilité de chaque dossier pourraient le faire plus rapidement. Ce délai de traitement, jugé abusivement long par certaines sections, pénaliserait « l’engagement du travail d’expertise des rapporteurs, qui ne peuvent avoir préalablement accès aux dossiers » [15]. En permettant aux rapporteurs de disposer d’un délai de consultation plus long entre la réception des dossiers et la session (sachant qu’actuellement, ce délai est d’environ 6 semaines), l’on assurerait aux candidats une analyse plus approfondie de leurs travaux.
Cette évolution semble d’autant plus souhaitable que les rapporteurs se voient chargés d’un nombre conséquent de dossiers chaque année - à tel point d’ailleurs qu’en Section 19 (sociologie), un système de délibération spécifique a dû être mis en place pour faire face au demi-millier de candidatures reçues d’année en année [16].
Ensuite, les dossiers des candidats (en ce compris leurs travaux de recherche) pourraient être tenus à disposition de l’ensemble des membres de la section dans la salle de délibération en début de session afin que chacun puisse les parcourir au moment qu’il juge opportun. Cela évitera, comme le rappelle le Professeur Guglielmi, « de déranger les rapporteurs au moment où ils exposent et qu’ils en prennent ombrage » [17].
Par ailleurs, les rapporteurs pourraient déposer au bureau et remettre à l’ensemble des membres de la section leurs rapports avant d’exposer leurs motifs, à l’oral, de qualification ou de non qualification. Cela éviterait les ajustements de dernière minute pour appuyer le collègue co-rapporteur qui s’est prononcé dans un sens (favorable) ou dans l’autre (défavorable) à la qualification. Sachant que la réputation du 1er rapporteur ne devrait en aucun cas pouvoir influencer l’avis du 2e rapporteur. Ici encore, il en irait certainement de l’intérêt supérieur du candidat [18]. Et d’une manière générale, il va de soi que les rapporteurs devraient avoir l’interdiction, au plan déontologique, de communiquer entre eux avant le début de la session de qualification.
Dans un autre ordre d’idée, l’on pourrait interdire aux anciens rapporteurs et aux membres du bureau de participer aux débats en cas de re-candidature, y compris pour rappeler que le candidat a lancé par le passé une procédure d’appel. Le CNU a beau être un organe délibératif d’expertise scientifique, cette solution paraît d’autant plus logique que « les candidats qui présentent leur candidature pour la 2e ou la 3e fois s’attendent à ce qu’un regard neuf soit porté sur leur dossier » [19]. Les rapporteurs ne devraient pas tenir compte du fait qu’il s’agit là d’une 2e ou d’une 3e candidature. Il n’est pas non plus normal que les rapporteurs aient accès aux candidatures introduites dans d’autres sections par les postulants à la qualification.
Cette information qui leur est ici donnée par les services du ministère, via le portail Galaxie, discrimine assez largement les candidats - certains rapporteurs accordant davantage de crédit aux candidatures uniques plutôt qu’aux candidatures multiples…
L’on pourrait, enfin, suggérer la suppression pure et simple de la catégorie des membres nommés car ils ne seraient pas du tout représentatifs, de l’avis même d’anciens membres du CNU, de la diversité des établissements universitaires ni des branches de recherche au sein d’une même discipline - ce qui serait le cas tout particulièrement en droit. Ce souhait s’en trouve même décuplé lorsqu’on apprend, il faut lire sur ce point encore le Professeur Gilles J. Guglielmi, que « les seuls rapports qui ne soient pas au niveau scientifique escompté ont pour auteurs des membres nommés » [20]. Ce qui nous rappelle, ici, que les listes de candidature au CNU sont officiellement appuyées par des syndicats, et à quel point, surtout, les élections ne permettent pas la mise en place d’un véritable organe représentatif de la profession. D’où le manque, justement, de vision commune autour de ce que devrait être l’Université française [21].
II/ Des révisions majeures du Conseil national des Universités pour en finir une bonne fois pour toute avec les politiques malthusiennes de qualification ?
Pour aborder ces révisions majeures par la plus concrète, relevons que le scrutin est régi, au CNU, par la règle de la majorité absolue. Ce système est forcément très défavorable au candidat puisqu’un vote blanc, un vote nul ou une abstention pèsera contre lui. Se cache ici une forme de déresponsabilisation, soyons clairs, des membres du CNU. En outre, les candidats n’ont jamais accès aux détails du vote. Ils ne savent donc pas à combien de voix près est-ce qu’ils ont échoué à la qualification.
Et a contrario, à combien de voix est-ce qu’ils doivent précisément leur sésame à la section. L’on pourrait, ces éléments connus, encourager le recours à la majorité simple - de telle sorte que pour être acquise, la mesure individuelle de qualification n’aurait qu’à réunir le plus de voix, même si elle ne réunit pas forcément la moitié des voix plus une.
Les candidats pourraient tout aussi légitimement exiger des services du ministère qu’ils affichent clairement les détails du vote sur le portail Galaxie. Pour savoir justement à quoi s’en tenir très exactement.
Peut-être plus problématique encore. Certaines sections du CNU considèrent la qualification comme un concours alors que ce n’est qu’une accréditation (certains parleront même de badge voire de pin’s) qui permet, de surcroît, de ne concourir que temporairement sur des postes de MCF. La délivrance de la qualification ne valant pour 4 années seulement, ses ex-titulaires ne sont en théorie plus autorisés à s’en prévaloir sur leur curriculum vitae. Sauf à préciser qu’elle a expiré depuis l’année X, ou qu’elle a couru sans succès des années X à X. Il va pourtant de soi que les doctorants ne sont pas unis par un lien d’égalité propre aux concours.
À peu près tout le démontre : le prestige de l’école doctorale, l’aura du directeur de thèse, le sujet de la thèse, l’obtention d’un contrat doctoral ou d’un poster d’ATER etc. La procédure de qualification ne saurait donc être assimilée à un concours [22]. A fortiori quand l’on sait le degré d’exigence absolu qu’attachent certaines sections quant à la thèse - alors que les conditions de réalisation de celle-ci fluctuent grandement d’un directeur à l’autre.
Vouloir faire de la thèse le critère absolu de qualification dessert donc en pratique un très grand nombre de candidats, d’autant qu’aucun autre élément de leur dossier ne sera, en règle générale, jugé suffisamment bon pour contrebalancer le manque d’excellence de leur thèse. Inutile, dans ce cas, de leur demander d’améliorer leur dossier en publiant d’autres articles de fond puisque la thèse (en tant que centre névralgique de l’évaluation) restera exactement la même l’année d’après. Sans surprise, le résultat obtenu sera aussi le même : le candidat échouera à la qualification. D’où la nécessité, comme le suggèrent certains membres du CNU, d’abandonner la notion de thèse « qualifiante » [23]. Et de considérer les dossiers comme un ensemble. Après tout, le CNU qualifie des candidats aux fonctions d’enseignants-chercheurs et pas seulement des candidats à la fonction de chercheur. Il existe pour cela un concours spécifique auprès du CNRS [24].
Enfin, nous pourrions reprocher aux membres de certaines sections de ne pas voter individuellement, mais collectivement lors des campagnes de qualification. Le Professeur Guglielmi explique sur ce point que « des comportements se sont installés de façon coutumière entre les membres de la section 02 » [25], tout particulièrement au moment du vote. Ce qui souligne, encore une fois, l’origine syndicale de ses membres et pose la question de la durée de leur mandat. Certains membres de la Section 02 seraient en place depuis plus de 10 ans, ce qui renforcerait - c’est humain ! - les copinages.
Pourquoi, dans ce cas, ne pas cantonner à un seul et unique mandat de 4 ans les membres du CNU ? Ou prévoir que leur mandat ne puisse pas être immédiatement renouvelé ? Cela permettrait, entre autres, de puiser dans les stocks d’enseignants chercheurs qui ne se présentent jamais aux élections du CNU. L’autre solution, plus radicale encore, serait de ne divulguer l’identité des membres de chaque section à personne - pas même aux autres membres. Et de prévoir des sessions de qualification uniquement en visioconférence avec caméra éteinte. Ce qui semble très clairement improbable. Ni souhaitable, d’ailleurs…