Préambule
Nos recommandations sont basées sur l’examen de rapports d’expertise en morphoanalyse de traces de sang mis à notre disposition et d’informations provenant de sources ouvertes. Cette étude qualitative a révélé que les praticiens concernés présentent une formation initiale presque inexistante en dynamique des fluides et une production scientifique quasi nulle. Certains experts reconnus utilisent en réalité une approche pseudo-scientifique et s’expriment sur des points qui dépassent leurs compétences et la portée réelle de leur méthode. Leur conclusion précipitée semble alors davantage relever d’une opinion personnelle que d’un raisonnement scientifique solide.
Au moment de la rédaction de cet article, un seul laboratoire privé spécialisé en morphoanalyse des traces de sang était accrédité. Par conséquent, nous nous concentrerons sur le travail de l’expert associé à ce laboratoire, dont certains rapports nous ont été confiés dans le cadre d’expertises privées et de contre-expertises.
Notre intention n’est évidemment pas de nuire aux praticiens concernés mais de partager nos préoccupations pour encourager des discussions constructives sur la qualité des expertises.
I. Introduction.
La morphoanalyse des traces de sang est une branche de la criminalistique qui se consacre à l’interprétation des traces de sang retrouvées sur les lieux d’un crime, d’un suicide ou d’un accident, particulièrement lorsque les circonstances sont floues ou suspectes. Cette analyse fournit des éléments cruciaux pour l’enquête, en identifiant les événements à l’origine des traces étudiées. Dans la mesure du possible, elle reconstitue également une chronologie de ces événements et détermine la position des différents protagonistes (victime, agresseur, témoin, etc.) lors des évènements sanglants.
Depuis plusieurs années, la morphoanalyse des traces de sang fait l’objet de critiques parfaitement justifiées. Une étude menée en 2021 par R. Austin Hicklin et al [1] a montré que la reproductibilité des conclusions émises par les praticiens participant à l’étude était limitée. Ces conclusions s’avèrent souvent erronées et contradictoires entre elles. Les divergences portent notamment sur la terminologie utilisée, soulignant ainsi la nécessité de normaliser ce vocabulaire. En 2009, le rapport du National Research Council (USA) a mis en évidence que les incertitudes liées à l’examen des traces de sang sont considérables, et que dans l’ensemble, les opinions des praticiens sont plus subjectives que scientifiques [2] [3]. Ces éléments révèlent le besoin impérieux de réformer les pratiques dans cette discipline pour garantir une approche plus rigoureuse et objective dans l’analyse des traces de sang.
Ce rapport met en lumière les problèmes liés à l’absence de normalisation, de certification et d’accréditation des laboratoires dans le domaine de la morphoanalyse des traces de sang. Il souligne également le défaut d’exigence concernant la certification appropriée des praticiens qui met souvent l’accent sur l’expérience plutôt que sur des bases scientifiques solides.
Définitions.
Le Comité français d’accréditation (COFRAC) explique que
« l’accréditation est une attestation délivrée par une tierce partie à un organisme d’évaluation de la conformité. Elle constitue une reconnaissance formelle de la compétence de ce dernier pour réaliser des activités spécifiques d’évaluation de la conformité. La certification est, quant à elle, une attestation délivrée par une tierce partie relative à des produits, des processus, des systèmes ou des personnes ».
L’organisme France Certification précise que la norme ISO 17020 se décompose en cinq thématiques principales : « Exigences générales : relatives à la confidentialité, l’impartialité et l’indépendance ; Exigences structurelles : relatives à l’organisation administrative et managériale ; Exigences ressources : relatives à la gestion du personnel et des infrastructures (personnel, logiciels, équipements, sous-traitance) ; Exigences processus : relatives aux méthodes de travail et à la traçabilité documentaire (rapport, certificat, gestion des appels et réclamations...) ; Exigences management : relatives au système de management (maîtrise documentaire, audit, revue de direction…) ».
II. Problématique.
Certains praticiens emploient des méthodes qui n’ont pas été rigoureusement validées selon les standards scientifiques, tels que des plans d’expériences et la publication dans des revues à comité de lecture. Malgré une production scientifique quasi nulle, ces praticiens continuent d’exercer en étant convaincus de leur intégrité scientifique et de la qualité de leur méthode. Cette situation a engendré une réputation trompeuse auprès des magistrats qui n’ont pas la formation scientifique nécessaire pour apprécier la qualité de la méthode employée et repérer les raisonnements à l’emporte-pièce.
Dans le cadre d’expertises privées, nous avons examiné plusieurs rapports rédigés par un même expert, dont la méthode est accréditée par le COFRAC [4]. Cette méthode permet d’identifier des modèles de traces de sang à partir de critères morphologiques des traces étudiées et des supports sur lesquels elles se trouvent. Cette identification fournit alors une indication générale sur les événements sanglants ayant produit les traces étudiées. Par exemple, un « modèle d’impact » résulte d’un choc entre un objet et une source de sang liquide. Cependant, pour approfondir l’évaluation des mécanismes spécifiques à l’origine de ces traces tels qu’un tir balistique ou des opérations de nettoyage, il convient d’employer une approche complémentaire validée, surtout lorsque le nombre de traces étudiées est limité. Malheureusement, cet expert semble négliger ce processus, tirant des conclusions hâtives sur ces mécanismes spécifiques, dépassant ainsi les limites de sa méthode qui n’est en réalité performante que pour identifier un modèle de traces de sang. Par exemple, dans un rapport précis où l’expert a identifié un modèle d’impact avec un nombre restreint de traces, plusieurs hypothèses sur l’activité auraient dû être formulées et testées par des expérimentations ou une évaluation probabiliste des traces de sang [5] [6] [7].
Cependant, nous avons constaté que ce praticien a formulé une conclusion catégorique sur l’origine des traces de sang, en invoquant un seul mécanisme, sans fournir de justifications scientifiques ni de références bibliographiques pour étayer ses affirmations. De plus, des lacunes et des incohérences ont été relevées dans certaines parties de son travail.
L’attribution d’une accréditation par le COFRAC ne constitue donc pas une garantie suffisante de la fiabilité des conclusions d’une expertise. Des critères de qualité peu exigeants, des erreurs de la part de l’expert et une validation sommaire de la méthode utilisée ne respectant pas les standards scientifiques peuvent compromettre cette fiabilité.
Cette discordance constatée entre la détention d’une accréditation, censée assurer la qualité d’une expertise, et les pratiques réelles marquées par des négligences, déjà soulignées dans d’autres rapports d’experts, nous a poussés à proposer les recommandations suivantes.
III. Recommandations pour évaluer les laboratoires de morphoanalyse des traces de sang.
L’accréditation d’un laboratoire ne garantit pas toujours la qualité de son expertise. Pour éviter toute tromperie, il est important de tenir compte des points suivants lors de l’évaluation d’un laboratoire de morphoanalyse des traces de sang :
1. Une formation solide en dynamique des fluides est essentielle. Elle aide les praticiens à comprendre les interactions entre le sang et son environnement, à mener des expérimentations méthodiques, à évaluer les incertitudes et à interpréter les publications scientifiques. Cette formation devrait idéalement précéder l’inscription près une Cour d’appel pour plus de cohérence.
2. Certains praticiens qui ont développé leur propre méthode n’ont pas suffisamment documenté leur travail dans des revues scientifiques réputées. De plus, les rares publications existantes ne sont pas souvent citées, ce qui remet en question leur qualité scientifique. L’utilisation du « facteur h » peut aider à évaluer l’impact des travaux d’un praticien et de sa méthode.
3. Nous recommandons de vérifier régulièrement les connaissances académiques du praticien en dynamique des fluides et de confirmer la justesse de sa méthode à travers des tests pratiques. Il est crucial que la méthode soit bien documentée et qu’elle ait été soumise à un processus de validation conforme aux standards scientifiques.
4. Le COFRAC devrait vérifier la qualité des rapports et veiller à ce que les conclusions soient équilibrées et nuancées, sans être excessivement affirmatives. L’évaluation probabiliste des traces de sang devrait être intégrée comme critère de qualité.
5. Il est essentiel de faire appel à des praticiens et des chercheurs spécialisés en mécanique des fluides pour garantir une évaluation de qualité. L’identité des évaluateurs devraient apparaître dans les attestations d’accréditation mises en ligne.
Enfin, il est crucial de ne pas accorder une confiance aveugle aux laboratoires accrédités et de s’interroger sur les critères de qualité utilisés lors des audits. Il faut examiner la nature, l’origine et la fiabilité de ces critères. Les praticiens, de leur côté, doivent faire preuve de rigueur et éviter de donner leur avis sur des aspects qui excèdent le champ de leur méthode sans référencer leurs sources.
IV. Conclusion.
Dans cet article d’opinion, nous avons proposé des recommandations pour apprécier le niveau réel de connaissances et de compétences scientifiques des morphoanalystes des traces de sang mais également pour vérifier que la méthode utilisée n’est pas le fruit de travaux personnels menés sans avoir appliqué une démarche scientifique rigoureuse.
Des conclusions qui reposent davantage sur une opinion personnelle que sur un raisonnement scientifique solide peuvent conduire à des condamnations inadaptées.
Le transfert de connaissances entre chercheurs et praticiens nous paraît également indispensable pour faire progresser la discipline. Nous soutenons les exigences de l’International Association of Bloodstain Pattern Analysts (IABPA) mais nous sommes préoccupés par le niveau de formation initiale souvent insuffisant des praticiens en dynamique des fluides, ainsi que par le manque de validation adéquate des méthodes utilisées selon les normes scientifiques.