Est-ce plus difficile de plaider quand on est une femme ? Par Sophie Lemaitre, Avocate.

Est-ce plus difficile de plaider quand on est une femme ?

Par Sophie Lemaitre, Avocate.

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Explorer : # stéréotypes de genre # Éloquence # authenticité # obstacles professionnels

A l’heure où les questions d’égalité résonnent, où l’on ajoute le « e » d’avocate sur sa carte professionnelle, la question se pose encore.
Est-il plus difficile de se faire entendre et de convaincre quand on est une femme, une avocate ?
Les clichés et les représentations que l’on se fait de l’art oratoire sont nombreux et ont la peau dure.

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Y a-t-il un stéréotype des pratiques oratoires ?

Évidemment, l’histoire commande de répondre par l’affirmative puisqu’elle nous enseigne que les premiers rhétoriciens étaient des hommes, en Grèce et dans la Rome Antique.

L’art du discours a été créé par des hommes, pour des hommes.

Les règles de l’art oratoire dont on se prévaut encore aujourd’hui nous sont parvenues par des ouvrages écrits par des hommes, pour des hommes. Elles ont 2 500 ans et n’ont rien perdu de leur pertinence mais leurs codes restent, dans l’imaginaire, essentiellement masculins.

Les avocates se font-elles aussi bien entendre que leurs confrères ?

L’art de bien parler consiste à trouver l’alignement entre ce que l’on pense, la façon dont on le dit et la manière dont le corps l’exprime : tout doit être en harmonie, cohérent. Cet état s’appelle la congruence.

Or, pour atteindre cet état qu’on appelle la congruence, les avocates assumeraient, nous dit-on, plusieurs handicaps dans les registres du para-verbal (la voix) et du non-verbal (la posture et la gestuelle) : la voix grave et puissante l’emporterait toujours sur la voix fluette ou aigue comme la carrure massive, sur le corps frêle.

Ces mythes sont d’autant plus tenaces là où l’éloquence reste reine, en matière pénale : parler fort c’est avoir raison, de même qu’avoir une stature, « en imposer », c’est être physiquement en situation avantageuse pour l’emporter. Qu’est-ce que le ténor du barreau, dans l’imaginaire, sinon celui qui réunit ces caractéristiques ?

Les représentations ont la vie dure et perpétuent l’association de l’éloquence et du talent oratoire de l’avocat au timbre de voix et à la présence physique des ténors, figures masculines s’il en est.

Sans équivalent féminin, le mythe du ténor renvoie l’idée que les plus grands pénalistes, donc les plus grands orateurs, donc les plus brillants avocats, seraient des hommes et non des femmes. Pas de chance pour la soprane !

Autre difficulté : le manque de modèle.

Quand on parle d’éloquence, dans un prétoire ou ailleurs, ce sont toujours les mêmes figures qui reviennent : Clemenceau, Churchill, de Gaulle, Robert Badinder, Steve Jobs…

Où que l’on cherche en première intention, nulle part le modèle de l’orateur n’est une oratrice ! Allez, soyons honnêtes : après quelques efforts de réflexion, on vous citera bien timidement Simone Veil et Gisèle Halimi.

D’ailleurs, qui se souvient de Jeanne Chauvin, la première femme autorisée à plaider en 1901 ? ou encore de Germaine Brière, qui a assuré la défense des sœurs Papin en 1933, mise en lumière dans le bel ouvrage de notre consœur Julia Minkowski [1] ?

L’histoire est têtue.

La plaidoirie est-elle genrée ?

La femme et donc l’avocate serait face au dilemme de rester elle-même au risque de paraître hystérique, séductrice ou trop maternante ou bien d’adopter les codes masculins, comme la grosse voix, au risque de surjouer et de sonner faux.

Pourtant, la robe n’a pas de sexe ! L’éloquence non plus !

L’efficacité d’une plaidoirie ne se mesure pas à l’aune du nombre de décibels produits !

Nous avons d’ailleurs tous fait l’expérience d’un confrère, d’une consœur, qui parle mal, vite, trop fort, trop lentement. J’ai entendu des consœurs avec des voix fortes et pleines d’assurance et à l’inverse des confrères timides et bredouillants. Je n’ai pas relevé, dans l’exercice, une façon masculine et une façon féminine.

A l’usage, l’évidence est que tous les avocats ne sont pas des ténors, toutes les avocates ne sont pas des sopranos !

Et la compétence, comme la médiocrité, n’ont pas de sexe.

En réalité, nous sommes également inégaux face à l’éloquence.

La capacité de mettre le ton, de chuchoter ou s’indigner, de mettre de la variation dans la voix, dans le rythme de notre plaidoirie, la force de frappe de nos arguments ne dépendent pas de notre sexe mais bien de notre capacité à nous approprier un dossier et de travailler tant le dossier que l’art l’oratoire.

En conclusion.

En conclusion, plaidons tel(le)s que nous sommes !

La première clef est là : être et rester authentique.

La seconde clef, évidente et pourtant négligée : il faut une bonne dose de travail et de préparation en amont. L’éloquence, tout comme une plaidoirie, se travaille.

« Lors d’une audience de comparution immédiate (…) où les affaires se ressemblent toutes plus ou moins (…), où les arguments relèvent tous du même registre, il n’existe qu’une seule façon de réveiller l’auditoire : la voix ! (…) les plaidoiries les plus convaincantes passent le plus souvent par des voix convaincantes. Ce qui est incontestable, c’est la nécessité d’avoir une voix audible » (Clarisse Serre, avocate, La Lionne du barreau, Sonatine Edition).

Cela s’applique tant aux hommes qu’aux femmes.

Une voix douce, une petite stature, être une femme… ne sont ni des obstacles ni des excuses en rhétorique. L’authenticité, la singularité et le travail sont les seules conditions d’une prise de parole convaincante, et ce ne sont en rien des privilèges masculins !

Sophie Lemaitre Avocate - coach en prise de parole en public et art de convaincre
contact chez advocatio.fr
https://advocatio.fr/
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Notes de l'article:

[1Par-delà l’attente, Julia Minkowski, Editions JC Lattès.

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