Le droit au silence profite-t-il toujours à l'accusé ? Par Léa Da Silva Sousa, Etudiante.

Le droit au silence profite-t-il toujours à l’accusé ?

Par Léa Da Silva Sousa, Etudiante.

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Explorer : # droit au silence # présomption d'innocence # stratégie de défense # procédure pénale

Dans un système pénal qui protège la présomption d’innocence, l’accusé aurait ainsi des droits qui, en plus de le protéger en tant que personne de tout abus de la part des organes d’enquêtes et de poursuites, lui permettraient de ne pas dire la vérité.
Le droit au silence permet, par nature, de ne pas s’incriminer ; il est un garde-fou face à une enquête de police qui sollicite sans cesse la parole.

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Sur le papier, le droit au silence paraît être un frein à la procédure pénale car l’objectif premier d’une enquête policière est la manifestation de la vérité.

En réalité, le droit au silence est un moyen de permettre l’équilibre de la procédure pénale qui maintient, de manière constante, deux objectifs : la protection de la société et la garantie des droits individuels des personnes accusées d’avoir commis ou tenté de commettre une infraction. Ainsi, les organes d’enquêtes et de poursuites auraient des pouvoirs coercitifs afin de permettre la manifestation de la vérité et ces pouvoirs seraient temporisés par un ensemble de règles et de droits permettant de protéger les personnes accusées d’avoir commis un trouble à l’ordre public.

Avant tout propos, il convient de rappeler ce qu’est le droit au silence. Pour l’expliquer en des termes intelligibles et simples, le droit au silence est une garantie juridique donnant la possibilité à une personne suspectée, qui est interrogée par la police, de se taire partiellement ou complètement. Le droit au silence c’est, en effet, le droit de ne pas prendre la parole face aux enquêteurs sur des faits qui nous sont reprochées ; mais c’est aussi le droit de répondre aux questions que l’on souhaite et le droit de répondre à toutes les questions.

Le droit au silence s’inscrit dans le sillon de la présomption d’innocence (I) et c’est un droit si important qu’il trouve son fondement légal dans plusieurs textes essentiels de portée nationale et même internationale (A). Par ailleurs, le droit de se taire est une garantie pour la personne incriminée ; et c’est pourquoi il est souvent utilisé en stratégie de défense (B).

Le droit au silence pose toutefois un problème : si ce droit permet d’empêcher les abus possibles des enquêteurs au cours d’une procédure pénale, il n’empêche que, dans la pratique, la défense invoque une instrumentalisation de ce droit au silence (II) : le droit au silence serait interprété par les policiers comme un aveu (A) puis par les magistrats comme une preuve de culpabilité (B).

Alors, le droit au silence est-il toujours une protection pour l’accusé ou, au contraire, peut-il le desservir ?

I. Le droit au silence : une garantie de la présomption d’innocence.

A. Les fondements légaux du droit au silence.

Tout d’abord, le droit au silence, comme de nombreux principes directeurs en droit pénal, trouve son origine dans le droit de l’Union européenne et plus précisément dans la Convention Européenne de Sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en son article 6.

Cet article, divisé en trois paragraphes, pose trois grands principes : le droit à un procès équitable (§ 1), le droit à la présomption d’innocence (§2) et le droit à la défense (§ 3). La Cour européenne des droits de l’Homme, dans son guide de l’article 6 (volet pénal), pose que le droit de se taire se déduit du droit à un procès équitable [1] et considère que ce droit est une protection contre l’obtention de preuves par la coercition ou l’oppression « au mépris de la volonté de l’accusé » [2].

Sur le plan national, le droit de se taire figure parmi les droits énoncés à la personne suspectée avant sa mise en garde-à-vue et est prévu à l’article 63-1 du Code de procédure pénale de la manière suivante : « du droit, lors des auditions, (…), de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire ».

Enfin, l’article préliminaire du Code de procédure pénale garantit également le droit de se taire en consacrant la présomption d’innocence.

B. L’importance du droit au silence comme stratégie de défense.

Le droit de se taire bénéficie d’un ancrage important ; ce qui permet d’en appréhender son usage constant par les avocats de la défense. Ces derniers peuvent, en effet, renverser une procédure qui n’aurait pas respecté le droit au silence.

Avant tout, le droit au silence est une nécessité pour les innocents ; la justice pouvant se tromper et mener une personne qui n’a commis aucun fait répréhensible dans les rouages d’un système qui cherche à l’accusé.

Il s’avère, ainsi, que la possibilité de ne pas contribuer à sa propre incrimination est une arme au combien utile pour les personnes suspectées qui n’ont parfois que peu de poids face à un système qui les accuse. En effet, les personnes suspectées, lorsqu’elles sont interrogées, font face à des policiers qui dispose au préalable d’éléments contre elles tendant à leur accusation ; l’interrogatoire d’un suspect ne serait qu’un moyen de conforter ces éléments car le déclenchement même de la procédure pénale s’effectue une fois qu’il existe déjà

« une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner que la personne a commis ou tenté de commettre une infraction » [3].

De plus, si le suspect faisait usage de son droit de répondre, cela ne garantirait pas le fait que les policiers retiennent les informations tendant à son innocence car ils peuvent intimement considérer qu’un ‘trou de mémoire’ ou qu’un manque d’exactitude peut conforter l’idée selon laquelle il a réellement commis les faits incriminés. En prenant en compte le fait que la défense ne peut avoir accès aux éléments du dossier formés par la police à ce stade de l’enquête, on comprend facilement qu’il existe une relation inégalitaire entre policiers et suspects.

Le droit au silence serait ainsi une garantie de ne pas s’incriminer davantage face à des enquêteurs qui auraient déjà jugé d’avance. Il établirait une protection de la défense pour éviter que les policiers ne forment une enquête à charge seulement ; ce qui mènerait la personne accusée vers un verdict de culpabilité certain. Le silence utilisé lors d’un interrogatoire mène alors à une procédure davantage contradictoire où la défense aura accès au dossier.

Malgré cette importance saisissable du droit au silence, beaucoup d’accusés y renoncent. Ce refus d’user d’une possibilité de ne pas répondre aux accusations formées à leur égard s’explique pour deux raisons. D’abord, il existe une raison d’ordre humaine : les personnes accusées renonceraient à cette garantie pour ne pas s’incriminer davantage face à des enquêteurs qui les auraient déjà jugés d’avance. Enfin, la seconde raison tend à une mauvaise appréciation de la procédure pénale par les magistrats.

II. Le renoncement au droit de se taire du fait de son instrumentalisation.

A. Le droit au silence à l’épreuve du système inquisitoire.

Rien n’est plus parlant que le silence : il semblerait que les policiers prennent parfois cette maxime pour vraie lorsqu’il est question de droit au silence. Si tel est le cas, le droit au silence ne servirait plus la cause de l’accusé mais conforterait le pouvoir de coercition de la police. En effet, si le silence partiel ou total d’un suspect lors d’un interrogatoire est interprété comme un aveu, il contribuera à l’incrimination de ce dernier.

Ce mécanisme s’explique par le fait que la police enquête dans le cadre d’un système inquisitoire qui tend à considérer que la finalité est de faire primer les intérêts de la société. Par conséquent, la pratique démontre que les policiers réunissent des preuves à charge contre l’accusé qui mène spontanément à appréhender le suspect comme coupable. L’objectif d’un interrogatoire est donc de formuler des questions qui mèneront à un aveu ou des réponses qui corroborent avec les informations déjà contenues dans le dossier.

Le droit au silence est donc le seul rempart qu’à un accusé de sauvegarder ses droits.

Cependant, il arrive que le silence d’un accusé encourage les autorités à user de subterfuges pour obtenir des informations ou aveux qui seront ensuite utilisés au procès.

De nombreux arrêts de la Cour Européenne des droits de l’Homme confirment cet usage notamment l’arrêt Allan c. Royaume-Uni. De plus, les enquêteurs sont parfois porteurs de croyances et vont considérer le droit de se taire comme un moyen pour les coupables de ne pas avouer leurs crimes ; le droit au silence devient alors un défaut de coopération qui mène à des mesures prohibitives tel que la détention provisoire.

Le problème est que ces considérations peuvent mener fatalement à une condamnation.

Le droit au silence protège l’accusé sans pour autant l’exempter d’un possible verdict de culpabilité.

B. Le droit au silence comme aveu de culpabilité.

Les juges sont les aboutissements de la procédure et vont prononcer la sentence finale.

Lorsqu’une personne a usé de son droit au silence, cela n’exclut pas la possibilité que le silence face l’objet d’interprétation, surtout quand il fait obstacle à la manifestation de la vérité. A ce propos, l’arrêt de la Cour Européenne des droits de l’Homme Murray c. Royaume-Uni, évoque clairement la possibilité que le silence soit interprété comme un indice de culpabilité lorsqu’une personne interrogée, qui est la seule à pouvoir donner une explication plausible sur un élément à charge, choisit de se taire.

Pour le dire autrement, les juges peuvent, par un simple raisonnement de bon sens, déduire la culpabilité d’un accusé du fait de son silence. Malgré le fait qu’il existe des conditions pour permettre cette déduction, le problème est qu’il y a ici une limite au droit de se taire alors que l’accusé n’a parfois que cette stratégie de défense face aux éléments recueillis par la police.

Ainsi, la décision d’un accusé de se taire tout au long de la procédure pénale ne saurait être une garantie sans incidence pour ce dernier car les magistrats ne peuvent s’empêcher de se questionner sur les raisons pour lesquelles il garde le silence. Dans l’imaginaire de tous, celui qui se tait est inexorablement celui qui a quelque chose à cacher.

Comme le rapporte si bien la Cour Européenne des droits de l’Homme :

« D’un côté, une condamnation ne doit pas être fondée exclusivement ou essentiellement sur le silence du prévenu ou sur son refus de répondre à des questions ou de déposer. D’un autre côté, le droit de se taire ne saurait empêcher de prendre en compte le silence de l’intéressé, dans des situations qui appellent assurément une explication de sa part, pour apprécier la force des éléments à charge ».

Ainsi, on ne peut dire que le droit au silence protège de manière absolue les accusés ; il profite parfois aux intérêts d’une procédure qui cherchent à obtenir leur condamnation. Les juges, quant à eux, ont également la légitimité de se poser des questions pour émettre un jugement ; on ne peut réellement comprendre les motivations qui ont mené à une décision pénale car chacune d’entre elle est, au fond, guidée par l’intime conviction du juge.

Léa Da Silva Sousa
Etudiante en droit

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Notes de l'article:

[1Guide de l’article 6 (volet pénal), Cour Européenne des droits de l’Homme, p. 22.

[2Guide de l’article 6 (volet pénal), Cour Européenne des droits de l’Homme, p. 23 (notamment : « 123. Le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination présuppose que, dans une affaire pénale, l’accusation cherche à fonder son argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou les pressions, au mépris de la volonté de l’accusé »).

[3Ce propos est tiré de l’article 77-2 du Code de procédure pénale.

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