Le droit d’association et la dissolution « Les Soulèvements de la Terre ».

Par Olivier Grunenwald, Juriste.

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Explorer : # droit d'association # dissolution d'association # ordre public # liberté fondamentale

Menacé sous d’anciens régimes français moins démocratiques, le droit d’association s’est affirmé progressivement jusqu’à son avènement en 1971 obtenant ainsi une reconnaissance constitutionnelle. Le décret du gouvernement de juin 2023 est venu dissoudre l’association « Les Soulèvements de la Terre », assiste t-on au déchirement de ce droit si cher à notre Etat de droit... à notre histoire commune...

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Le droit d’association, prévu aux échelles internationale et nationale, permet à plusieurs personnes de se rassembler en vue d’un objet commun. Ce droit a été reconnu par l’illustre loi du 1er juillet 1901. Une association peut exister de fait, c’est à dire sans formalisme particulier, cependant, afin de se prévaloir de la personnalité juridique, les membres d’une association sont obligés de la déclarer en Préfecture ou en sous-préfecture. L’Etat de droit favorise d’ailleurs l’essor du droit d’association à la différence d’autres régimes plus restrictifs des libertés, notamment sous l’Ancien Régime ou sous la restauration de l’Empire au XIXème siècle.

La première apparition du droit d’association remonte à la IIème République. En effet, la Constitution de 1848 dispose que les « citoyens ont le droit de s’associer ».

Cependant, ce droit, bien que constitutionnel depuis son avènement avec l’affirmation du principe fondamental reconnu par les lois de la République dans la célèbre décision du Conseil Constitutionnel de 1971 (Décision n°71-44 DC du 16 juillet 1971 « loi complétant les dispositions des articles 5 et 7 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association »), n’est pas absolu. Ce droit doit être concilié avec la sauvegarde de l’ordre public et peut, à cet égard occasionner la dissolution de tout organisme qui y contreviendrait [1]. C’est l’objet de notre étude de la décision du Conseil d’Etat du 11 août 2023 [2].

Tout d’abord rappelons les évènements ayant conduit à cette décision. Le 21 juin 2023 le Gouvernement dissout l’association « Les Soulèvements de la Terre » par décret en conseil des ministres [3] ; les raisons de cette dissolution : leurs actions jugées trop violentes par l’Exécutif. « Les Soulèvements de la terre » conteste cette décision en urgence devant le Conseil d’Etat par le biais d’une procédure d’urgence demandant la suspension du décret, avant que la juridiction suprême de l’ordre administratif ne se positionne au fond.

Pour dissoudre une association, garantie de manière constitutionnelle (Décision n°71-44 DC du 16 juillet 1971 « loi complétant les dispositions des articles 5 et 7 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association »), conventionnelle [4] et législative [5], un certain nombre de conditions doivent être remplies. Le Code de sécurité intérieure prévoit cette hypothèse aux articles L212-1 et suivants [6]. Ce texte dispose :

« sont dissous, par décret en conseil des ministres, toutes les associations ou groupements de fait : 1° qui provoquent (…) des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens (...) ».

Il faut donc premièrement une association ou un groupement de faits. Pour le Gouvernement, il s’agit d’un groupement de faits constitué par de nombreux activistes violents issus de différents mouvements dont celui de l’Ex-ZAD « Notre-Dame-des-Landes ». Enfin il faut des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens.

Là encore le pouvoir exécutif énumère un certain nombres de manifestations au cours desquelles des forces de l’ordre ont été blessées et des dégradations ont été subies occasionnant des préjudices de plusieurs dizaines voire centaines de milliers d’euros.

Toutefois, le Conseil d’Etat est-il de cet avis ? Le Conseil du palais Royal ayant conscience de la portée potentiellement européenne de sa décision choisit la carte de la prudence et privilégie la sauvegarde de l’association en attendant potentiellement sa décision au fond. Demandons-nous à cet égard comment aurait raisonné la Cour européenne dans une telle hypothèse. Elle aurait sans doute estimé qu’une atteinte au droit d’association aurait été possible si trois conditions avaient été réunies. Tout d’abord il aurait fallu que cette atteinte soit prévue par la loi. En l’espèce le Code de sécurité intérieure prévoyait une telle hypothèse. Puis elle aurait dû être légitime. De facto, il s’agirait de faire cesser les atteintes à l’ordre public. Et in fine, cette atteinte aurait dû être proportionnée. Cette dernière condition aurait été plus difficile à remplir. Cependant hypothétiquement ou de manière tout à fait concrète aujourd’hui il revient à l’Exécutif de prouver que les violences ont été initiées, commises, cautionnées par l’association et qu’elles ne sont pas le fait de quelques individus isolés.

Le Conseil d’Etat privilégie la sauvegarde de l’association en attendant sa décision définitive. Il estime qu’il existe un doute sérieux sur la légalité de la décision, critère de l’article L521-1 du Code de justice administrative. Pour la Haute juridiction administrative, aucun élément ne permet de caractériser que les actions aient été promues par l’association « Les Soulèvements de la Terre » et qu’aucun élément ne caractérise que les atteintes aux biens aient été promues, encouragées, incitées par l’association requérante.

Le Conseil précise que cet organisme encourage au contraire les initiatives de désobéissance civile et de « désarmement » de dispositifs portant atteinte à l’environnement dont il revendique le caractère symbolique et limité. Pour lui, la provocation à des agissements troublant gravement l’ordre public n’est pas clairement caractérisée.

Dès lors, le Conseil d’Etat suspend le décret de dissolution défendant ainsi la liberté d’association et reporte la décision finale à sa décision sur le fond qui interviendra plus tard. Cette décision est prudente, les juges privilégient la sauvegarde provisoire de l’association jusqu’à éventuellement sa prochaine décision. Elle est également pragmatique puisqu’elle permet à l’association de subvenir à sa propre existence, notamment en rémunérant ses employés. La jurisprudence du Conseil d’Etat était déjà très protectrice de la liberté d’association, notamment dans sa décision de 1971, cependant elle permet la dissolution quand celle-ci devient nécessaire [7]. La décision ultime est attendue et pourra éventuellement donner lieu à une saisine de la CEDH.

Les libertés fondamentales, comme la liberté d’association, sont une condition de notre démocratie, de notre Etat de droit. Cependant comme toute liberté elle est limitée. Ici elle doit être conciliée avec l’ordre public afin que le vivre ensemble puisse subsister. Rappelons les mots du commissaire du Gouvernement Corneille : « La liberté est la règle, la restriction de police l’exception ». Affaire à suivre...

Olivier Grunenwald
Juriste

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Notes de l'article:

[1Décision CE 10eme et 9eme sous sections réunies, 17 nov. 2006, n°296214, publié au recueil Lebon.

[2Décision CE Ord 11 août 2023, n°476385, 476396, 476409, 476948, « Les soulèvements de la terre et autres ».

[3Décret du 21 juin 2023 portant dissolution d’un groupement de fait JORF n°0143 du 22 juin 2023.

[4Art. 11 Conv EDH.

[5Loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association.

[6Loi n°2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République.

[7CE, 17 nov 2006, tribu Ka.

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