La déchéance de nationalité : une sanction trop encadrée ? Par Jean-Christophe Duton, Avocat

La déchéance de nationalité : une sanction trop encadrée ?

Par Jean-Christophe Duton, Avocat

7374 lectures 1re Parution: Modifié: 4.93  /5

Explorer : # déchéance de nationalité # sanctions juridiques # nationalité française # droits de l'homme

-

Les textes ne définissent pas précisément la déchéance de la nationalité, mais ils encadrent clairement et exhaustivement les cas où celle-ci peut être prononcée.

On peut toutefois déduire des textes que la déchéance de la nationalité est une procédure qui vise à priver un individu de la nationalité française régulièrement acquise en plus de sa nationalité d’origine, lorsque celui-ci a commis un crime ou un délit que la loi considère comme suffisamment grave pour rompre, à titre de sanction, son lien d’appartenance à la nation et in fine, les droits qui en découlent.
Le terme désigne à la fois la procédure et le produit de celle-ci.

La sanction de déchéance de nationalité n’est pas à l’initiative du juge judiciaire ayant prononcé la condamnation ayant ouvert la faculté de la prononcer mais à celle du Gouvernement que la loi a habilité, sans doute pour des raisons symboliques, à rompre ce lien d’appartenance à la nation comme sanction, même si cette rupture n’est pas exempte du contrôle a priori du juge (administratif) et du contrôle a posteriori pour certains effets. Cette force symbolique la distingue particulièrement des autres cas de retrait de nationalité.

La question de savoir si la procédure est trop encadrée sera tranchée après l’exposé du régime juridique de la déchéance.

1. DES CONDITIONS STRICTES LIMITATIVEMENT ENUMEREES

1.1 Les conditions de fond

1.1.1 La condamnation pénale préalable

La possibilité de déchoir un individu de la nationalité française à titre de sanction vise uniquement les individus qui ont acquis cette nationalité postérieurement à leur naissance, et non les individus qui se sont vus attribués la nationalité française du fait même de leur naissance, autrement dit elle ne vise que les personnes nées étrangères.

La sanction de déchéance n’a pas un caractère obligatoire et les cas donnant lieu à la possibilité de l’initier sont limitativement énumérés par l’article 25 du Code Civil.

Au titre de l’article précité, l’individu qui a acquis la qualité de Français peut être déchu de la nationalité française exclusivement dans quatre cas :

(i) S’il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme ;

(ii) Si exerçant une fonction publique, il est condamné pénalement pour des atteintes à l’administration publique commises par des personnes,

(iii) S’il est condamné pour s’être soustrait aux obligations résultant pour lui du code du service national et,

(iv) S’il s’est livré au profit d’un Etat étranger à des actes incompatibles avec la qualité de Français et préjudiciables aux intérêts de la France.

En raison de son caractère restrictif, la procédure de déchéance est relativement rare, contrairement à la procédure de retrait du décret de naturalisation à laquelle il est possible d’avoir recours lorsque la qualité de français a été frauduleusement acquise.

1.1.2 L’exception d’apatridie

Au titre de l’article 25 du Code civil, la déchéance ne peut être prononcée si l’individu est dépourvu de toute autre nationalité que la nationalité française. Ce principe qui vise à empêcher l’apatridie respecte l’article 15 de la Déclaration des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948 adoptée par la résolution 217 A (III) par l’Assemblée générale de l’ONU qui stipule que tout individu a droit à une nationalité et que nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité.

Ce principe se retrouve également à l’article 8 de la Convention du 30 août 1961 sur la réduction des cas d’apatridie qui stipule que les Etats contractants ne priveront de leur nationalité aucun individu si cette privation doit le rendre apatride [1], convention à laquelle la France ne semble pas partie, alors même qu’elle fait partie des rares signataires de la Convention du 28 septembre 1954 sur le Statut des Apatrides.

A ce titre, un individu condamné sur le fondement des cas donnant droit à ouverture de la procédure peut tout à fait, s’il désire rester français, répudier, à titre préventif, ses autres nationalités pour se prévaloir de l’exception d’apatridie et faire échec à la sanction de déchéance.

1.1.3 Le délai de prescription

Le prononcé de la déchéance ne peut intervenir que dans le délai de dix ans à compter de la commission des faits (article 25-1, alinéa 2 du Code civil).
Sous réserve de la prescription décennale susmentionnée, il est possible de prendre en compte les faits qui se sont produits antérieurement à l’acquisition de la nationalité française ou dans le délai de dix ans à compter de la date de cette acquisition.

La prescription est de quinze ans pour le premier cas donnant droit à ouverture de la procédure, c’est-à-dire l’atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou les actes de terrorisme.

1.2 Les conditions de forme

Au titre de l’article 61 du Décret n°93-1362 du 30 décembre 1993, le Gouvernement doit notifier les motifs de droit et de fait justifiant la déchéance de la nationalité française et l’individu dispose d’un délai d’un mois pour faire parvenir au ministre chargé des naturalisations ses observations en défense.

A l’expiration de ce délai, le Gouvernement peut déclarer, par décret motivé pris sur avis conforme du Conseil d’Etat, que l’intéressé est déchu de la nationalité française.

2. LES EFFETS DE LA DECHEANCE

2.1 La perte des droits attachés

En principe, celui qui est déchu de sa nationalité française perd les droits attachés à celle-ci et doit, au besoin, régulariser son séjour sur le territoire français. Elle n’entraîne pas de plein droit la reconduite de l’individu déchu de sa nationalité à la frontière.

Toutefois, considéré comme étranger sur le territoire français, l’individu qui a perdu sa nationalité par une procédure de déchéance peut, sauf à appartenir à une catégorie d’étranger protégée par la loi [2], faire l’objet d’une mesure d’éloignement et en particulier en cas de commission d’un crime ou d’un délit postérieurement à la perte de la nationalité française, se voir infligé, dans les cas prévus par la loi, une peine d’interdiction temporaire ou définitive du territoire au titre de l’article 131-30 du Code pénal.

2.2 Le contrôle de la Cour Européenne des Droits de l’Homme

Si la décision de déchéance fait l’objet d’un contrôle du Conseil d’Etat préalablement à son prononcé, les effets de ce prononcé peuvent parfois être ultérieurement neutralisés par un contrôle de la Cour Européenne des Droits de l’Homme.

Ainsi, l’article 8 de la Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme (CESDH) peut faire échec à certaines mesures d’éloignement.
En effet, au titre de cet article, toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance et il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

Pour être valable, la mesure d’éloignement doit donc (i) être bien prévue par la loi, (ii) poursuivre un but légitime tel que la défense de l’ordre, la prévention des infractions pénales et la protection de la santé et (iii) être nécessaire dans une société démocratique.

L’individu déchu de sa nationalité française peut contester une mesure d’éloignement subséquente à la perte de celle-ci, s’il peut se prévaloir en France d’une vie privée et familiale à laquelle il aurait été porté atteinte par ladite mesure.

La vie familiale au sens de l’article 8 de la CESH est entendue au sens large. Si l’arrêt Boultif c/Suisse du 2 août 2001 [3] qui s’apparente à un arrêt de principe nous confirme bien que les étrangers mariés et pères ou mères de famille ont le bénéfice de la protection, l’arrêt Ezzouhdi du 13 février 2001confirme la formulation de l’arrêt Baghli du 30 novembre 1999 qui considère que le fait même que les parents et les frères et sœurs d’un célibataire résident en France suffit à caractériser une vie familiale.

La menace de déchéance de nationalité a été excipée récemment dans le cadre de l’affaire Iles Hebbadj soupçonné de polygamie et de fraude aux aides sociales par le Ministre de l’intérieur Brice Hortefeux.

La déchéance de la nationalité n’étant en l’état des faits exposés, pas légalement possible, le Ministre de l’immigration Eric Besson pourrait éventuellement envisager d’étendre les cas d’ouverture de la procédure.

Si la fraude aux aides sociales ou la polygamie (peine passible d’un an d’emprisonnement seulement et de 45000 euros d’amende) devait être incluse, la force symbolique de la déchéance s’en trouverait pleinement amoindrie et s’agissant notamment de la fraude aux aides sociales, les cas donnant lieu à ouverture risqueraient d’augmenter significativement, ce qui risque d’encombrer inutilement le Conseil d’Etat soucieux de l’administration d’une bonne justice et d’entraver durablement l’action du Gouvernement sur d’autres priorités.

Jean-Christophe Duton

Avocat à la Cour

Chargé d’enseignement à l’Université Paris II-Panthéon Assas

LL.M (UCL)

Diplômé de Sciences Po Paris

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

55 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Notes de l'article:

[1-Sauf s’il a obtenu cette nationalité au moyen d’une fausse déclaration ou de tout autre acte frauduleux et pour les cas de déchéance automatique liée à l’inaction d’un titulaire de la nationalité résidant au moins sept années consécutives à l’étranger ou si la législation nationale le prévaut, l’inaction d’un mineur né à l’étranger ayant acquis la nationalité d’un Etat où il ne réside pas, plus d’un an après avoir obtenu sa majorité -

[2-Si l’infraction est particulièrement grave, la protection ne jouera toutefois pas. Il s’agit par exemple des atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation (trahison, attentat, complot par exemple) ou à la défense nationale, des actes de terrorisme, de constitution ou participation à des milices privées, des infractions en matière de fausse monnaie-

[3-S’agissant d’un algérien à qui le renouvellement de son titre de séjour avait été refusé en raison d’une condamnation à 2 ans de prison pour vol alors qu’il est marié à une ressortissante suisse et père de trois enfants, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a considéré qu’il y avait violation de l’article 8 dans la mesure où il lui est pratiquement impossible de mener une vie familiale normale dans un autre pays-

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 320 membres, 27842 articles, 127 254 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Assemblées Générales : les solutions 2025.

• Voici le Palmarès Choiseul "Futur du droit" : Les 40 qui font le futur du droit.




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs