Depuis plusieurs années, la justice française a vu émerger le contentieux dit de « photovoltaïque » opposant les consommateurs d’un côté, les banques et les sociétés venderesses, d’un autre côté.
Pour rappel, une société A démarche à son domicile un consommateur B, en lui proposant d’installer des panneaux solaires afin de produire de l’électricité à revendre à EDF.
Le dol est caractérisé lorsque la société A lui assure que c’est son partenaire financier, la banque C, qui financera l’installation, et que le consommateur B, n’aura pas besoin de débourser un 1 € pour cette installation.
Ravi d’un tel procédé, mais malheureusement trompé, le consommateur B signe un bon de commande et un contrat de crédit affecté à l’acquisition des panneaux solaires et autres biens.
Quelques mois plus tard… le consommateur B se voit prélever des mensualités par la banque C alors même qu’il n’a toujours pas vendu son électricité à EDF.
Pris au piège, le consommateur B pourra alors agir en justice en vue d’annuler l’ensemble contractuel, à l’encontre de la société A et de la banque C.
Dans le cadre de la procédure, un des arguments utilisés par les avocats de la société A et de la banque C, est l’irrecevabilité des demandes du consommateur B démarché à son domicile, en raison de l’incompétence du tribunal d’instance.
En effet, selon les parties défenderesses, le consommateur B, demandeur à l’instance, serait en réalité un commerçant ; le bon de commande et le contrat de crédit affecté étant quant à eux des actes de commerces.
Nous nous opposons à un tel argument, et croyons fermement qu’il ne faut pas dénaturer les actes conclus, en vertu du principe de sécurité juridique du contrat.
A cet égard, la Haute Juridiction Judiciaire a rendu plusieurs arrêts dans lesquels elle remet expressément en cause l’argument des banques et sociétés installatrices sur la prétendue qualité de commerçant du particulier démarché à son domicile.
Les défenderesses prétendent que les contrats n’ont pas été signés dans le cadre d’un démarchage à domicile, et qu’ils sont des actes de commerce parce qu’ils sont conclus en vue de la revente de l’électricité produite.
Notre raisonnement est le suivant :
I- Le bon de commande et le contrat de credit affecte ne sont pas des actes de commerce.
L’article L 721-3 dispose que :
"Les tribunaux de commerce connaissent :
1° Des contestations relatives aux engagements entre commerçants, entre établissements de crédit, entre sociétés de financement ou entre eux ;
2° De celles relatives aux sociétés commerciales ;
3° De celles relatives aux actes de commerce entre toutes personnes."
La société A et la banque C développent toujours leur argument sur le fondement de l’article L.110-1 1° du code de commerce qui prévoit que « Tout achat de biens meubles pour les revendre, soit en nature, soit après les avoir travaillés et mis en œuvre. »
Or, l’achat de panneaux et leur financement ne peuvent être considérés comme des actes de commerces accessoires puisque ledit article dispose également que « La loi répute actes de commerce tout achat de biens meubles pour les revendre, soit en nature, soit après les avoir travaillés ou mis en œuvre. »
Le législateur a posé, ici, une présomption simple qui peut être renversée en apportant la preuve contraire :
A- La preuve que l’achat de panneaux photovoltaique n’est pas un acte de commerce.
L’article L.110-1 1° du code de commerce répute acte de commerce « tout achat de biens meubles pour les revendre, soit en nature, soit après les avoir travaillés et mis en œuvre ».
Ainsi, la commercialité de l’acte exige un achat, mû par la volonté de revendre et portant sur un bien meuble ou immeuble.
Le consommateur B, profane et démarché à son domicile, a conclu un contrat en vue de l’acquisition de panneaux photovoltaiques, et un contrat de crédit affecté à l’acquisition desdits panneaux.
Les panneaux photovoltaïques sont des biens meubles, immeubles par destination lorsqu’ils sont intégrés au bâti.
Le consommateur B n’a pas acheté ces biens meubles pour les revendre, ni même après les avoir travaillés. Il n’a procédé à aucune revente de ces panneaux.
L’achat de panneaux photovoltaïques ne peut donc être considéré comme un acte de commerce, et encore moins le contrat de crédit destiné au financement desdits panneaux.
Malgré l’interprétation faite de la notion d’achat au sens de l’article L.110-1 1° du code de commerce, certaines activités ne peuvent en aucun cas y être assimilées : elles ne peuvent être qualifiées d’actes de commerce.
Tel est le cas des activités de production, notamment.
Produire un bien n’équivalant pas à l’acheter, la vente de sa propre production n’est pas un acte de commerce : ainsi, les Hospices de Beaune, qui vendent leur propre vin et se comportent comme des propriétaires récoltants, ne font pas de commerce, tel qu’il a été jugé par la 1ère Chambre Civile de la Haute Juridiction Judiciaire, par un arrêt de principe en date du 21 avril 1976 (JCP 1977.II.18605.note Y.Chaput).
Le consommateur B a fait l’acquisition de panneaux photovoltaiques, dont l’installation a servi à produire de l’électricité vendue pour le surplus ou en totalité à la société EDF, en vertu d’un contrat d’obligations d’achat conclu entre EDF et le consommateur B.
Dès lors, et par analogie, la vente, par le consommateur B, de sa propre production d’électricité n’est pas un acte de commerce, ni par nature, ni par accessoire.
B- L’appréciation de la commercialité de l’acte.
Dans son arrêt en date du 12 mars 2013, n°12-11.765, la Cour de cassation a rappelé que « La nature commerciale de l’acte s’apprécie à la date à laquelle il a été passé […] »
Là, aucune difficulté puisque le contrat d’achat des panneaux solaires et le contrat de crédit affecté à l’acquisition de ces panneaux sont conclus à la même date.
A cette date, aucun acte de commerce n’a été effectué.
Plus précisément, et par application de la solution de la Cour de cassation, si l’on devait considérer la vente d’électricité comme un acte de commerce, sa nature commerciale ne s’apprécie qu’au jour où l’acte a été passé, à savoir à la date de l’établissement de la première facture de production, soit de manière générale environ 2 ans après la signature du bon de commande.
Or, les prétentions du consommateur B concernent la demande d’annulation du contrat d’achat et du contrat de crédit, signés deux années avant l’établissement de la première facture de production d’électricité.
En d’autres termes, si acte de commerce il y a, celui-ci est intervenu postérieurement à la formation des contrats litigieux.
II- Ce que dit la jurisprudence recente, constante et cohérente de la Cour de cassation.
La Cour de cassation a toujours jugé que les litiges nés de l’achat de panneaux photovoltaïques relèvent de la compétence du Tribunal d’Instance dès lors que le crédit affecté à la vente ne comporte aucune disposition stipulant expressément qu’il est destiné à financer une activité professionnelle :
« Mais attendu qu’ayant, d’une part, retenu, par des motifs non critiqués, que les époux X..., lesquels n’avaient pas la qualité de commerçants, avaient été démarchés à leur domicile par la société BCER, et, d’autre part, constaté que le contrat de crédit accessoire à la vente ne comportait aucune disposition stipulant de manière expresse et dépourvue d’ambiguïté la destination professionnelle du prêt, la cour d’appel en a exactement déduit que, même si une partie de l’électricité produite pouvait être revendue à un fournisseur d’énergie, le contrat de prêt litigieux était soumis aux dispositions du Code de la consommation ; que le moyen n’est pas fondé » (Civ. 1ère, 29 octobre 2014, n°13-23.113)
Ou encore :
« Mais attendu qu’ayant constaté que le prêt contracté était d’un montant supérieur à 21 500 euros et qu’il était destiné à financer la fourniture et la pose de panneaux photovoltaïques constituant des travaux de construction et permettant aux propriétaires d’un immeuble à usage d’habitation non seulement de vendre l’électricité produite à un fournisseur, mais également d’en bénéficier pour leur usage personnel, la cour d’appel en a exactement déduit que ce prêt relevait des opérations énumérées à l’article L.312-2 du code de la consommation dans sa rédaction applicable en la cause » (Civ 1ère, 30 avril 2014, n° 1-15.581).
Dès lors, plusieurs conditions doivent être établies pour considérer qu’il s’agit d’un usage personnel :
1) La profession habituelle du consommateur B ;
2) Le fait que le consommateur B a été démarché à son domicile ;
3) L’absence, sur le contrat de crédit affecté, d’une disposition expresse et non équivoque que le prêt a une destination professionnelle ; et
4) L’installation des panneaux est faite dans un immeuble à usage d’habitation.
Par un arrêt en date du 25 février 2016, n°15-10. 735, la Cour de cassation avait considéré que :
« Qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher si l’installation photovoltaique litigieuse n’était pas principalement destinée à un usage personnel, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »
La notion d’usage personnel a été discuté, et interprétée de façon détournée par la société A et la banque C, semant alors le doute dans l’esprit des juges de première instance en prétendant que la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation avait reconnu la compétence du Tribunal de commerce.
En effet, par un raisonnement simpliste, les parties en défense considéraient que l’usage personnel était synonyme d’autoconsommation de la production d’électricité, et que, a fortiori, l’usage professionnel était synonyme de revente de la production d’électricité à la société EDF.
Dans son arrêt en date du 05 octobre 2016, n°15/00507, la Cour d’appel de RIOM a jugé, en ces termes :
« Néanmoins, à l’effet de déterminer si les actes préparatoires à la vente d’énergie électrique constituent des actes de commerce par accessoires, il convient de rechercher si l’installation photovoltaïque litigieuse n’est pas destinée à un usage personnel (Cass. Civ 1re-25 février 2016- pourvoi n°1510735)
Cette notion d’usage personnel n’a pas vocation à être appréciée au seul regard de la faculté de la consommation de l’énergie électrique produite par le propriétaire de l’installation mais, en réalité, au regard de l’économie générale de l’opération (puissance installation, rapport entre la production susceptible d’être revendue et montant du financement).
En l’espèce, l’intimée produit le contrat de crédit mentionnant que l’opération vise à financer des panneaux photovoltaïques et une éolienne pour un montant de 23.900 euros, ainsi que le bon de commande concernant l’installation de 12 panneaux sur une surface de 20 mètres carrés d’une puissance de ‘3KW/C’, d’un onduleur et d’une éolienne de 600 W, que dès lors ces travaux peuvent s’analyser, d’une part, en une construction visant à assurer le clos, le couvert et l’étanchéité du toit permettant ainsi aux appelants d’en bénéficier pour leur usage personnel et d’autre part cette installation est particulièrement modeste en terme de puissance totale (3.6 KW/C).
De plus, monsieur E est retraité et son épouse aide-soignante ce qui n’en fait pas des commerçants, d’autant que le contrat SOELIA précise clairement dans ses conditions particulières que l’offre est exclusivement réservée aux particuliers personnes physiques non commerçantes. Dès lors, cette opération relève notamment des anciens articles du code de la consommation applicables au contrat (L.312-2 et 19), code qui est d’ailleurs évoqué dans l’ensemble des contrats tant de vente du matériel que de financement. »
Par un autre arrêt en date du 27 septembre 2017, n°16/00839, Cour d’appel de RIOM confirme sa jurisprudence en jugeant en ces termes :
« Toutefois, à l’effet de déterminer si les actes préparatoires à la vente d’énergie électrique constituent des actes de commerce par accessoires, il convient de rechercher si l’installation photovoltaïque litigieuse n’est pas destinée à un usage personnel (Cass. Civ 1re-25 février 2016- pourvoir n°1510735)
Cette notion d’usage personnel n’a pas vocation à être appréciée au seul regard de la faculté de la consommation de l’énergie électrique produite par le propriétaire de l’installation mais, en réalisé, au regard de l’économie générale de l’opération (puissance installation, rapport entre la production susceptible d’être revendue et montant du financement).
En l’espèce, l’examen du bon de commande qui constitue la pièce n°4 de l’appelante, montre que M.X, seul mentionné au contrat, a commandé, pour le prix total de 23.400 euros TTC, une installation de production d’électricité et il ressort du contrat de revente d’énergie électrique conclu entre Mme X et EDF que cette installation, intégrée au bâti existant, possède une puissance maximale de 2,38 kWc. Par ailleurs, le crédit contracté au nom de M.X auprès de la société SOFEMO, qui finançait l’intégralité de l’installation, représentait une charge mensuelle de 286,86 euros, assurances incluses.
Il résulte de ces constatations, que la centrale litigieuse constitue une installation dont la revente de l’énergie produite est destinée à venir en déduction du coût de la consommation des habitants de la maison ; d’une puissance inférieure à l’abonnement de base proposé par Z (6kWh) elle constitue non pas une centrale industrielle de production d’énergie électrique mais une installation individuelle domestique, ce qui ne permet pas de considérer que les conventions contractées pour sa réalisation, revêtiraient un caractère commercial. »
Ainsi, si le consommateur B a été démarché à son domicile (i), tel qu’il ressort du bon de commande et du contrat de crédit, que ceux-ci reproduisent les dispositions du code de la consommation (ii), que l’installation a eu lieu à leur domicile (iii), qu’ils disposaient tant sur le bon de commande que sur le contrat de crédit d’un bordereau de rétractation accordé uniquement aux consommateurs (iv), le Tribunal d’instance est compétent.
La Cour de cassation est très récemment venue rappeler la compétence du Tribunal de commerce, par deux arrêts en date du 27 juin 2018.
Dans l’arrêt n°17-16.352, la Haute juridiction, rappelle, en ces termes :
« Mais attendu que l’arrêt relève que les emprunteurs, qui n’ont pas la qualité de commerçants à titre habituel, ont, à la suite d’un démarchage à domicile, signé un bon de commande qui se réfère aux dispositions du code de la consommation et ne fait pas mention de l’achat d’un matériel en vue d’une stricte opération commerciale de revente, et que le contrat porte sur l’acquisition d’un kit photovoltaïque ainsi que d’un ballon thermodynamique destiné à assurer aux emprunteurs la production d’eau chaude pour leur usage personnel ;
qu’il énonce que l’opération a pour objet principal d’équiper, à moindre coût, le domicile de particuliers d’un système de production d’énergie, dite propre, la revente permettant de couvrir les mensualités du crédit ; et qu’elle est, par son économie générale et sa finalité, principalement destinée à satisfaire un intérêt personnel ;
que, de ces constatations et énonciations, la cour d’appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise et ne s’est pas fondée sur la seule soumission volontaire des parties au code de la consommation, a exactement déduit que l’opération litigieuse relevait des dispositions du code de la consommation ; que le moyen n’est pas fondé. »
Dans le second arrêt n° 17-13.225, la Cour de cassation énonce, justement :
« Mais attendu que l’arrêt relève que l’opération projetée par les emprunteurs ne visait pas à effectuer uniquement un simple acte de commerce par nature, mais tendait également, par la livraison et l’installation d’une éolienne domestique ou kit aérogénérateur, à effectuer des économies d’énergie pour leur compte personnel ;
qu’il retient que l’objet du contrat était l’achat de panneaux photovoltaïques, non pas pour les revendre, mais dans le but de produire de l’électricité et qu’il n’est, par ailleurs, pas établi que les emprunteurs, tous deux retraités, accompliraient des actes de commerce dont ils feraient leur profession habituelle ni que l’éventuelle revente de l’électricité produite entrerait dans le champ de leur activité professionnelle commerciale ;
qu’il constate que le contrat de crédit ne prévoit aucunement une destination professionnelle du crédit et que le bon de commande fait expressément référence au fait que l’opération est assujettie aux dispositions relatives au crédit d’impôt pour les dépenses relatives à l’équipement de l’habitation principale ; que la cour d’appel, qui a ainsi procédé à la recherche prétendument omise, a légalement justifié sa décision de ce chef ; »
Par ces deux arrêts très récents de la Haute Juridiction Judiciaire, il ne subsiste aucun doute sur l’incompétence claire et précise du tribunal de commerce.
Enfin, et pour achever notre raisonnement, la Cour de cassation a rendu un arrêt en date du 09 janvier 2019, n°17-22.372, en ces termes :
« Mais attendu, d’abord, qu’ayant relevé que Mme avait procédé à l’installation de panneaux photovoltaïques sur son immeuble d’habitation pour satisfaire à ses besoins personnels et réduire ses dépenses énergétiques, puis constaté que le prêt consenti à cet effet ne mentionnait aucune destination professionnelle, la cour d’appel en a exactement déduit que le contrat de fourniture et d’installation litigieux ne constituait pas un acte de commerce ; »
En conclusion, il convient de toujours se référer aux dispositions mentionnées sur les actes litigieux. Le bon de commande, signé dans le cadre d’un démarchage à domicile, mentionne, de manière générale, toujours les dispositions du code de la consommation.
Dès lors la société A ne peut valablement se prévaloir de la compétence du Tribunal de commerce.
De la même manière, la banque C, dans son contrat de crédit affecté, indique toujours qu’il s’agit d’un contrat de crédit à la consommation.
La banque C fait à son tour mention des dispositions du code de la consommation, relatives au crédit lui-même et ne mentionne jamais que le crédit a une destination professionnelle.
Pour aller plus loin, le contrat de crédit affecté est signé dans le cadre d’un démarchage à domicile.
Dès lors, il importe de s’interroger sur l’absence des mentions obligatoires devant figurer sur le contrat de crédit, conformément aux dispositions du code de la consommation relatives au démarchage à domicile, et sur la reproduction intégrale de ces dispositions.