Quels sont les modes de preuve autorisés ?
En matière prud’homale la preuve est libre, ce qui signifie qu’elle peut être apportée par tous [1].
Mais qu’en est-il de la preuve obtenue de manière déloyale ?
Selon le Professeur Cyril Wolmark, « une preuve obtenue de manière déloyale devrait être admise dans les cas où les actes commis contre le salarié sont essentiellement clandestins – harcèlement, discrimination – et ne peuvent être prouvés selon les modes habituels de preuve » [2].
Comme l’a souhaité une partie de la doctrine [3], la déloyauté dans l’administration de la preuve ne doit donc pas être vue comme un frein irréfragable à sa recevabilité dans le cadre d’un contentieux prud’homal, à condition toutefois qu’elle soit l’unique moyen de prouver les griefs formulés à l’encontre de l’employeur.
Les juges du fond apprécient souverainement si les pièces produites sont strictement nécessaires à l’exercice des droits de sa défense [4].
Il a ainsi été jugé par exemple que l’enregistrement clandestin d’une conversation téléphonique [5] ou des témoignages anonymes [6] ne pouvaient servir de fondement exclusif et déterminant.
Par ailleurs, ni le secret professionnel [7] ni le secret d’avocat [8] ne peuvent être opposés par la partie défenderesse pour empêcher la production de pièces couvertes, à la double condition que le demandeur en ait eu connaissance à l’occasion de ses fonctions et qu’elles soient strictement nécessaires aux droits de la défense.
Si le juge du fond estime que les pièces couvertes par le secret professionnel ne sont pas les « seules de nature à justifier » la demande et que celle-ci peut être rapportée par d’autres éléments, les documents seront écartés des débats et le demandeur aura de fortes chances d’être [9].
La chambre criminelle de la Cour de cassation se montre inflexible sur ce point.
Elle a ainsi jugé que la découverte de documents en la possession du demandeur en nombre bien plus important que le seul qu’il destinait à sa défense permettait de caractériser tous les éléments du vol [10].
On ne saurait dès lors que trop recommander à la présumée victime d’agissements discriminatoires d’être particulièrement prudente.
Il faut également espérer que les juges du fond auront une interprétation suffisamment souple de la notion du « strictement nécessaire » car ce n’est qu’au moment de sa décision que le juge lui-même prend conscience de ce qui lui est utile.
Quels sont les moyens de preuve les plus couramment utilisés ?
Pour déterminer avec efficacité les modes de preuve adaptés à chaque type de discrimination, il faut distinguer, comme l’a suggéré le Doyen honoraire de la chambre sociale de la Cour de cassation Bernard BOUBLI, la « mesure à effet instantané » de celle à « effet continu ».
Alors que les premières ont, comme leur nom l’indique, un effet ponctuel perçu notamment lors de l’expression de convictions religieuses ou de la participation à un mouvement de grève, les secondes s’inscrivent dans la durée comme par exemple l’évolution de carrière des mères de famille ou de personnes ayant une activité syndicale.
Dans le premier cas, la preuve directe de la discrimination est possible dès lors que la mesure défavorable peut être établie en soi.
Ici, la Cour de cassation affirme de manière très claire que « l’existence d’une discrimination n’implique pas nécessairement une comparaison avec la situation d’autres salariés » [11].
Le second cas en revanche suppose l’existence d’un traitement inégalitaire, distinct de la discrimination.
Pour marquer la différence entre ces deux types de mesures, la Cour de cassation a indiqué que « la preuve d’un traitement inégalitaire est nécessairement une preuve par comparaison. (…) Il s’agit de déterminer le cercle des égaux, l’espace au sein duquel doit être assurée l’égalité en évinçant de la comparaison ceux qui ne se trouvent pas dans une situation identique ».
Les preuves sont de toute nature : correspondances (courriers, courriels, fax, messagerie instantanée), notes de service, notes d’instructions, lettres de sanction (avertissement, mise à pied, licenciement), entretiens d’évaluation, bulletins de paie ou encore d’attestations.
Les moyens suivants répondent toutefois à des conditions de fond et de forme particulières :
Les attestations
L’article 202 du Code de procédure civile vise à garantir l’authenticité de l’attestation produite en justice.
Il énonce ainsi les conditions de fond et de forme suivantes :
« L’attestation contient la relation des faits auxquels son auteur a assisté ou qu’il a personnellement constatés.
Elle mentionne les nom, prénoms, date et lieu de naissance, demeure et profession de son auteur ainsi que, s’il y a lieu, son lien de parenté ou d’alliance avec les parties, de subordination à leur égard, de collaboration ou de communauté d’intérêts avec elles.
Elle indique en outre qu’elle est établie en vue de sa production en justice et que son auteur a connaissance qu’une fausse attestation de sa part l’expose à des sanctions pénales.
L’attestation est écrite, datée et signée de la main de son auteur. Celui-ci doit lui annexer, en original ou en photocopie, tout document officiel justifiant de son identité et comportant sa signature ».
L’article 203 précise que le juge peut toujours procéder par voie d’enquête à l’audition de l’auteur d’une attestation.
Une attestation qui ne remplit pas toutes les conditions susvisées ne sera pas pour autant systématiquement écartée tant qu’elle relate un fait constaté personnellement par l’auteur et que celui-ci peut bien être identifié.
Le juge prud’homal apprécie alors souverainement la valeur probatoire des attestations produites [12] qui ne peut notamment pas être diminuée au motif que le témoignage émanerait de salariés outragés [13].
Le « testing » ou test dit de discrimination.
Il consiste à vérifier ou faire vérifier à l’improviste et en situation réelle l’existence ou l’absence d’une situation de discrimination.
Cette pratique constitue un mode de preuve admis par la loi en matière sociale comme pénale [14].
Les fichiers et copies de fichiers informatiques.
Sous réserve qu’ils aient été obtenus dans la cadre de l’exercice des fonctions de la victime et qu’ils soient strictement nécessaires à l’exercice des droits de la défense, ils constituent également des pièces recevables [15].
À toutes fins utiles, il est rappelé que les fichiers créés par un salarié grâce à l’outil informatique mis à sa disposition par son employeur pour l’exécution de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel, sauf si le salarié les a identifiés comme personnels [16].
Les courriers électroniques.
La Cour de cassation a expressément écarté l’application des dispositions relatives à la validité de l’écrit ou de la signature électroniques des articles 1316-1 et 1316-4 du Code civil au courrier électronique produit pour établir la preuve d’un fait [17].
Les juges du fond ont donc la liberté d’apprécier souverainement la pertinence des courriers électroniques qui leur sont soumis, avec pour seule obligation de ne pas les « dénaturer » [18] .
Néanmoins, si le formalisme strict du code civil qui entoure l’écrit électronique ne régit pas la preuve prud’homale par courriel, la vigilance s’impose tout de même au regard de sa fiabilité.
Ainsi en cas de contestation de son authenticité, le juge pourra vérifier l’identité de la personne dont il émane à moins qu’il ne puisse statuer sans en tenir compte, comme le prévoient les articles 1316-1 du Code civil et 287 du Code de procédure civile.