Une variation de son logo avait conduit une entreprise à procéder à une nouvelle demande d’enregistrement de marque, venant enrichir un portefeuille déjà fourni, constitué de marques proches et notamment de la marque nominale.
Curieusement, alors que ces précédents enregistrements n’avaient donné lieu à aucune objection de la part de l’INPI, qui avait même relevé, à l’occasion de procédures d’opposition antérieures, le caractère distinctif de ces marques, le Directeur de l’INPI a rejeté ce nouveau dépôt au motif avancé que le signe déposé n’était pas susceptible de distinguer, parmi les produits et services désignés dans la demande, certains d’entre eux.
Logiquement déstabilisée par cette décision à la fois sévère et surprenante, l’entreprise a formé un recours devant la Cour d’appel de Lyon.
L’arrêt rendu est intéressant en ce qu’il rappelle à quel point le contentieux de la délivrance, du rejet ou du maintien des titres de propriété industrielle obéit à un régime spécifique, très rigoureux et enfermé dans un cadre procédural strict.
Un acte administratif soumis au juge civil.
Toute décision par laquelle le Directeur de l’INPI délivre ou refuse un titre de propriété industrielle constitue en effet un acte administratif individuel [1].
Mais l’article L411-4 du Code de la Propriété Intellectuelle dispose que les recours exercés contre ces décisions doivent être portés devant le juge civil, et plus précisément quelques cours d’appel, désignées par décret.
Ce recours présente donc la particularité de soumettre une décision administrative à l’appréciation d’une juridiction civile.
Cependant, le contrôle réalisé par la Cour n’est pas un appel en réformation de plein contentieux ; il s’agit d’un recours en annulation assimilable à un recours pour excès de pouvoir, lequel va porter uniquement sur la légalité de la décision rendue [2].
Il en résulte que les pouvoirs attribués à la Cour sont limités au rejet du recours ou à l’annulation de la décision, à condition que celle-ci soit entachée d’illégalité.
La marge de manœuvre offerte à celui qui veut contester une décision rendue par le Directeur de l’INPI à l’occasion de la délivrance, du rejet ou du maintien des titres de propriété industrielle est donc ténue.
D’où l’intérêt de bien connaître les moyens pouvant amener la Cour à prononcer l’annulation.
Le respect des textes et des principes généraux du droit.
En l’espèce, il existait dans la décision rendue par le Directeur de l’INPI une contradiction entre les motifs et son dispositif.
Dans le dispositif, la marque avait en effet été refusée à l’enregistrement pour les services, mais acceptée pour les produits. Pourtant, de façon contradictoire, le Directeur de l’INPI relevait dans les motifs de sa décision que le signe choisi devait être refusé à l’enregistrement car dépourvu de caractère distinctif pour désigner tant les services que les produits.
Le Directeur de l’INPI s’en est défendu en alléguant qu’il ne s’agissait là que d’une « erreur de plume ». Il a même tenté de corriger celle-ci en cours de procédure en adressant à l’entreprise demanderesse un « rectificatif », censé mettre un terme au débat.
Bien mal lui en a pris puisque la Cour l’a sanctionné vertement.
La Cour a tout d’abord observé qu’il ne s’agissait en rien d’une erreur matérielle, mais bien d’un « vice intellectuel de la décision », ne permettant pas au déposant de déterminer l’étendue de ses droits. Elle a ensuite relevé que le « rectificatif » était postérieur au recours. Surtout, elle a souligné qu’aucun texte du code de la propriété intellectuelle ne l’autorisait à procéder ainsi. Enfin, elle a relevé que cette décision rectificative bafouait le principe de la contradiction exigé par les articles R712-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
La Cour en a déduit que la décision du Directeur de l’INPI était entachée d’illégalité et a prononcé son annulation.
La vigilance des cours d’appel.
La position de la Cour peut sembler sévère. Mais n’oublions pas que, pour le déposant, les textes sont très rigoureux. Il est impossible à celui-ci de soulever de nouveaux arguments, de communiquer de nouvelles pièces. La Cour d’appel n’examine que les pièces et moyens invoqués devant l’INPI pour décider de l’annulation éventuelle de la décision ou rejeter le recours. Les moyens qui s’offrent au déposant sont donc limités. Preuve en est que, statistiquement, la très grande majorité des recours contre les décisions du Directeur de l’INPI sont rejetés.
Dans le présent arrêt, la Cour rappelle que la rigueur des textes doit s’appliquer réciproquement.
Ce rappel à l’ordre nous parait d’autant plus légitime que les contradictions de l’Institut étaient en l’espèce nombreuses, source d’incompréhension aux yeux du déposant.
Comment comprendre et admettre qu’une même dénomination puisse être enregistrée à plusieurs reprises depuis 1996, sous des formes graphiques légèrement différentes, mais pour des produits et services identiques, puis être subitement refusée à l’enregistrement en 2017 ?
Le caractère évolutif de la notion de distinctivité de la marque explique naturellement cela. Cette notion à géométrie variable se trouve à l’origine d’une jurisprudence abondante et fluctuante qui est source d’insécurité, d’autant plus que l’INPI n’hésite pas à répéter qu’il « n’est pas lié par ses décisions antérieures ». Certes, il est toujours possible au déposant d’invoquer l’acquisition du caractère distinctif par l’usage qui a été fait de la marque, mais là encore, l’INPI se montre exigeant.
Un avant-gout de la reforme entree en vigueur au 1er avril 2020.
En rééquilibrant la procédure au profit du déposant, l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Lyon tend à faire primer les règles de la procédure civile sur celles de la procédure administrative. Cet arrêt, bien que rendu sous l’empire des dispositions légales antérieures à la réforme issue de l’ordonnance n°2019-1169 du 13 novembre 2019 et du décret n°2019-1316 du 9 décembre 2019, s’inscrit ainsi dans la lignée du nouvel article R411-20, dans sa rédaction en vigueur au 1er avril 2020, qui précise que les recours exercés à l’encontre des décisions du Directeur de l’INPI sont formés, instruits et jugés conformément aux dispositions du code de procédure civile.
Précisons également que cet arrêt s’ajoute à la jurisprudence applicable aux recours exercés postérieurement à la réfome à l’encontre des décisions rendues par le Directeur de l’INPI à l’occasion de la délivrance, du rejet ou du maintien des titres de propriété industrielle, puisque ces recours restent des recours en annulation.
Seuls les recours exercés à l’encontre des décisions rendues par le Directeur de l’INPI dans le cadre de la nouvelle procédure administrative en nullité ou en déchéance de marques, entrée en vigueur au 1er avril 2020, seront des recours en réformation qui déféreront à la Cour la connaissance de l’entier litige. Les parties pourront ainsi invoquer des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces ou proposer de nouvelles preuves.
On peut s’interroger sur l’opportunité de différencier ainsi deux types de recours. Même si cela correspond à une certaine logique, il est clair que cela ne va pas dans le sens de la simplification. Il en résulte que le non respect des règles de procédures est souvent un moyen de contester efficacement les décisions de l’INPI, comme les recours formés contre ces décisions. En tout état de cause, on peut compter sur la vigilance des dix cours d’appel compétentes pour en connaître, parmi lesquelles la Cour d’appel de Lyon.
Discussion en cours :
Merci pour cet article très éclairant, fourni et écrit avec précision.