Village de la Justice : Pourquoi avoir choisi d’exercer en France et à l’étranger ? Pourquoi le barreau de Bruxelles ?
Thaima Samman : « Bruxelles est avec Washington l’une des deux capitales du Policy making, autrement dit de la construction des normes qui vont s’imposer d’abord dans leur juridiction respective (respectivement l’Union européenne et les États-Unis), mais surtout influencer le reste du monde. On ne le sait pas toujours, mais le modèle juridique européen est une source d’inspiration pour de nombreux pays tiers.
J’exerce ma spécialité Affaires publiques à Paris, mais la norme française provient de l’Union européenne ou influence la norme européenne dans des proportions conséquentes. Je me sens ainsi légitime pour proposer ma compétence et mes services à Bruxelles, d’autant que les deux villes sont à 1h20 en train ».
Quel(s) intérêt(s) revêt un tel exercice du métier d’avocat que ce soit pour le professionnel lui-même ou ses clients ?
« En exerçant dans ces deux barreaux, j’élargis mes horizons et ma compréhension de la fabrication de la norme, ce qui rend mon travail plus efficace et plus performant pour les clients, que ce soit à Paris ou à Bruxelles, en optimisant le dialogue interinstitutionnel et public-privé et en le rendant plus fluide.
C’est aussi un atout pour mes clients qui ont à leur disposition un professionnel qui comprend les enjeux juridiques et institutionnels, évite les incompréhensions et sait définir des stratégies en fonction des cas d’espèce.
Je peux également m’appuyer sur l’influence de la France pour certains de mes dossiers à Bruxelles.
Mes interlocuteurs publics apprécient mes connaissances et ma compréhension des enjeux et dynamiques, à la fois dans la capitale d’un pays majeur de l’Union européenne et au sein des institutions européennes, et utilisent souvent mon cabinet comme source d’information et de compréhension des évolutions et réflexions des institutions qui leur sont moins familières ».
Quelles sont les spécificités, les différences les plus marquantes de cette double appartenance à un barreau français et au barreau de Bruxelles, que ce soit dans l’exercice de votre profession (organisationnelles, juridiques, formation, relation client...) ou dans leur façon d’aborder le droit ?
« Paris et Bruxelles (en tant que capitale de l’Union européenne) sont culturellement aussi proches qu’éloignées, ce qui peut être troublant pour les néophytes.
Les institutions européennes sont une reproduction des institutions françaises, le pays le plus puissant et influent au début de la construction européenne. Mais, la culture de l’Union européenne dans l’élaboration de la norme est très anglo-saxonne, marquée par une forte culture de la consultation et de la prise en compte des intérêts économiques (macro et micro, les entreprises y sont très bien accueillies) intégrées au cœur des priorités institutionnelles ».
Comment s’organise votre travail et votre temps entre vos deux barreaux d’exercice ?
« Mon métier est constitué de temps de recherches, de réflexion, de rédaction (y compris lors des déplacements en train, ce qui est mon cas au moment d’écrire ces quelques lignes), de rencontres et de réunions avec les clients et interlocuteurs institutionnels ou politiques. J’organise mon temps en fonction de ce calendrier, et selon l’activité des bureaux de Paris et Bruxelles.
À la création du cabinet il y a maintenant 15 ans, je passais les 2/3 de mon temps à Bruxelles. J’ai progressivement formé et construit une équipe sur place, suffisamment conséquente et compétente pour me permettre de passer plus de temps à Paris.
Je souhaite que l’ensemble des collaborateurs soient polyvalents et maitrisent aussi bien les dynamiques françaises qu’européennes dans la gestion de leurs dossiers et l’accompagnement de leurs clients. Si ce n’est pas toujours nécessaire (ça dépend de la nature du dossier et du secteur concerné), c’est toujours intellectuellement intéressant et stimulant. Cette approche permet à l’ensemble des membres du cabinet de déployer sans difficulté des stratégies au niveau national ou au niveau européen selon la demande de nos clients et de leurs besoins, les changements de niveau d’intervention entre Paris et Bruxelles intervenant régulièrement ».
Quels conseils transmettriez-vous à un(e) avocat(e) tenté(e) par l’aventure de l’avocature dans deux barreaux, dont l’un à l’étranger ?
« Ce n’est jamais une mauvaise idée d’avoir une expérience complémentaire dans un autre pays, peu importe le domaine. Je constate en tout cas que cette double appartenance élargit au quotidien les horizons et enrichit la compréhension des situations, ce qui renforce les capacités d’analyse et la pertinence de l’avocat vis-à-vis de ses clients. Il ne faut pas hésiter si l’opportunité se présente, il faut juste être organisé(e) ».
Le parcours de Thaima Samman :
Avocate inscrite aux barreaux de Paris et de Bruxelles, elle a fondé le cabinet Samman spécialisé en Affaires publiques. Au préalable, elle a occupé plusieurs postes de haut niveau dans des entreprises et des institutions [3]. Elle a également été membre du cabinet de Claude Bartolone, ancien ministre de la Ville et Président de l’Assemblée nationale.
Elle a co-fondé et préside actuellement l’European Network for Women in Leadership (WIL), réseau regroupant des femmes dirigeantes issues du monde de l’entreprise.
Elle est membre du comité d’administration de la European American Chamber of Commerce (EACC) et Présidente de l’Association des Avocats Conseil en Affaires Publiques A-CAP.
En 2025, elle a rejoint le Conseil d’administration de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS).
Liens utiles :
- Directive (98/5/CE) du Parlement européen et du Conseil du 16 février 1998 pour pouvoir exercer la profession dans un autre pays ;
- Directive (77/249/CEE) du Conseil du 22 mars 1977 tendant à faciliter l’exercice effectif de la libre prestation de services par les avocats
- Décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat ;
- Admission d’un avocat d’un État membre de l’Union européenne ;
- Vade-mecum de l’exercice international.