Maitriser les facteurs psychologiques de la transmission...
(Extrait des pages 124 à 127 du Juribook 3)
La transmission d’une entreprise, quelle qu’elle soit, d’une entreprise du droit davantage encore et compte tenu de la matière traitée, revêt un sens particulier car elle doit assurer la continuité de l’activité, alors qu’elle passe par une rupture. Elle peut donc être vécue comme un passage très traumatisant pour le cédant, généralement créateur de son activité ; au point parfois de compromettre le projet de cession lui-même.
Les échecs de la transmission liés aux facteurs psychologiques ont été largement étudiés pour la population des fondateurs/créateurs. Nous donnons ci-après un aperçu des principaux points d’attention que nous avons relevés (*7) et rencontrés, afin que le lecteur s’attache à y réfléchir plus avant. Notons que ces facteurs sont en général amplifiés dans le cas d’un cabinet d’avocats dans la mesure où, la relation affective avocats/clients est en général forte.
a) Les facteurs psychologiques liés à l’environnement professionnel :
La peur la plus fréquente à laquelle est confronté le cédant, est celle de la perte de son pouvoir et de son influence sur les acteurs de l’organisation. La cession marque en effet la fin rapide d’une légitimité hiérarchique, renforcée par le fait que le cessionnaire doit aller lui-même très vite pour assoir sa légitimité.
Cette peur est souvent assortie de celle d’être jugé, de pouvoir imaginer que le cessionnaire va faire mieux.
La suite logique est la crainte de la perte de sa légitimité sociale par le cédant, de l’autorité naturelle que lui confère son statut de dirigeant, mais également la crainte du changement de regard que les salariés et collaborateurs peuvent porter sur lui. Il n’est pas rare par extension, que les transmissions bouleversent les rapports familiaux.
Le cédant peut également être amené à ressentir de la culpabilité, celle de quitter ses collaborateurs, d’abandonner son équipe, souvent façonnée à son image, assortie de l’angoisse que certains d’entre eux pourraient avoir des velléités de quitter le cabinet après ce départ, ou encore de la crainte de s’être trompé de repreneur.
b) Les facteurs psychologiques plus personnels :
La peur de la déconstruction de soi est très présente. Le cabinet est en général, et en particulier pour la génération actuellement sortante qui s’est consacrée sans compter à son activité professionnelle, une extension de soi partant de sa propre construction. Certains cédants ressentent un sentiment d’abandon face à la perte de référence due à la modification profonde de leurs habitudes, du rythme de travail et de vie, de la relation à l’autre.
Un sentiment de tristesse peut prévaloir, sensation d’en être arrivé à un passage décisif, d’avoir à tourner une page irréversiblement. La perte, le deuil et le risque de dépression ne sont pas des extensions anodines. Le transfert d’entreprise peut être vécu comme une rupture dans le temps, passage d’une vie à l’autre.
c) Les conséquences de ces peurs :
Ces peurs peuvent engendrer des comportements venant polluer la mécanique de la cession, pollution qui peut aller du simple ralentissement du processus, jusqu’au sabotage de l’opération dans son intégralité.
Les manifestations les plus fréquentes que nous avons rencontrées, après pourtant avoir été dûment mandatés, sont :
La fuite : par exemple le refus de fournir les documents sollicités pour pouvoir étudier le cabinet ; ou encore le refus de répondre à certaines questions, ce qui est très handicapant pour réaliser un dossier d’évaluation ou de présentation ; cette fuite peut également se manifester par un gel des décisions engageant le futur du cabinet ; ou plus globalement l’apparition soudaine d’une somme de difficultés à traiter sans délai et jusque-là ignorées.
L’hyperactivité : cette manifestation est très fréquente avec des cédants qui se mettent à être débordés, en recherche de dossiers et de clients, en création de nouveaux départements ou de nouvelles activités, bien plus qu’à l’accoutumée ; ceci provoque un manque de temps considérable à consacrer à la préparation de la cession, qui est une opération qui peut capter jusqu’à 40% du temps du cédant.
Le déni de la situation du cabinet : il n’est pas rare que nous ayons à alerter le cédant sur une situation du cabinet qui est différente de celle qu’il perçoit lui-même, tant en termes de productivité que d’organisation, ce qui, bien entendu, a des répercussions sur la valorisation.
Le choix d’un cessionnaire qui ne sera pas à la hauteur : inconsciemment ou non, la crainte de la perte de contrôle et de légitimité, du fait de pouvoir être concurrencé ou remis en question, ou encore l’absence de projets ultérieurs, peut amener le cédant à choisir un cessionnaire « sous performant », et qu’il pourra par la suite driver tout en conservant un ascendant et de l’activité. Nous avons de nombreuses fois pu observer ce cas, notamment dans le processus d’association de collaborateurs, à des fins de cession ultérieure et où, le choix d’un avocat « fidèle et serviable », au caractère dévoué, sera préféré au choix de la compétence.
L’hostilité à l’égard du cessionnaire qui se présente : a contrario, certains cédants recherchent une telle crédibilité et une telle compétence dans leur successeur (projection de ses propres capacités, même imaginaires), que chaque cessionnaire présenté lui paraitra fade et sans envergure ; il pourra alors tenter de le décourager, sabotant ainsi son propre souhait de transmission. Le cédant se comporte dans ce cas comme « l’irremplaçable » créateur, ce qui signifie bien évidemment que son projet n’est pas abouti.
L’envie de rester : la transmission nécessite souvent une période d’accompagnement qui sera négociée au rang des modalités de la cession. A ce stade, le cédant a en principe, pu prendre connaissance du projet d’entreprise du cessionnaire. Il peut arriver que ce projet le séduise, qu’il l’accapare comme étant le sien, puisqu’applicable à son cabinet et qu’il s’y identifie totalement. Il tentera dès lors de rester et de renégocier ses prétentions d’accompagnement, voire même d’activité ultérieure au sein de ce « nouveau » cabinet. Notons de surcroit, que les modalités de la fiscalité de cession permettant le retour à l’emploi (même sous un statut de collaborateur la plupart du temps), certains cessionnaires voient cet intérêt comme une aubaine. Il ne faut pas s’y tromper. Le maintien du cédant ne peut être salutaire que dans des conditions très précises, de présence, de périmètre d’intervention et de rémunération, au risque que le transfert de la direction du cabinet ne se fasse sinon jamais.
L’absence totale de projet ultérieur : ce n’est jamais un bon signal qu’un cédant n’ait pas de projet ultérieur, projet personnel bien entendu ou encore, qu’il ne soit pas formalisé et/ou qu’il ne veuille pas en parler. Il nous a été donné de croiser ce type de cas de figure avec des conséquences inévitables comme celle d’une concurrence post cession par la création d’un nouveau cabinet par le cédant. Même si la signature d’un engagement de non concurrence est en principe un réflexe inévitable dans les opérations de cession, il faut toujours rester vigilant sur le projet du cédant et sur la maturité de ce projet.
d) Les solutions
Les solutions ne sont pas miraculeuses mais logiques et passent à notre sens par l’acceptation de plusieurs étapes :
L’anticipation de la cession :
• La connaissance du délai minimum d’une transmission
• La connaissance des contraintes de mécanismes fiscaux d’exonération
• La préparation psychologique
La réflexion sur « l’après »
La communication.
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"Avocats : Valoriser, céder, acquérir son activité" Septembre 2017
Juribook n°3 édité par Jurimanagement.
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Auteurs : Jurimanagement est un cabinet de conseil dédié aux professionnels du droit, créé en 2003 et dirigé par Michel Lehrer. Jurimanagement conseille ou a conseillé activement plus de 350 cabinets d’avocats en France et en Europe.
Caroline Neveux est auteur et consultant pour les avocats depuis 15 ans. Au préalable, elle a été directeur financier et directeur général adjoint au sein d’entreprises de grande taille et a débuté sa carrière en conseil chez Ernst & Young. Elle est diplômée de Sciences-Po Paris, Eco-Fi, de Dauphine et a effectué un master de Finances.