Par une ordonnance du 22 septembre 2017, un barème d’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse a été mis en place. Ce barème ayant été annoncé comme une mesure phare lors de la dernière campagne présidentielle.
Pour rappel, jusqu’alors, l’indemnité de licenciement à la charge de l’employeur ne pouvait être inférieure à 6 mois de salaire, à condition :
que le salarié ait 2 ans d’ancienneté dans l’entreprise ;
que l’entreprise emploie habituellement au moins 11 salariés (CT, art. L.1253-3 anc.).
Il n’existait pas de plafonnement maximal. En effet, le montant de l’indemnité de licenciement était laissé à la libre appréciation des conseillers prud’homaux, en fonction de l’ancienneté du salarié, de son âge, de sa charge de famille etc.
Désormais, le salarié indûment licencié peut se voir octroyer une indemnité au maximum égale à 20 mois de salaire brut, dont les seuls critères sont l’ancienneté du salarié et la taille de l’entreprise (CT, art. L.1235-3).
Selon les opposants à la mise en place d’un plafond maximum, le barème Macron ne permet pas une réparation intégrale du préjudice subi par le salarié. Les conseillers prud’homaux n’ont plus la possibilité d’apprécier la situation particulière du salarié.
Ce nouveau dispositif a été validé sans difficulté par le Conseil constitutionnel (décision n° 2018-761 DC du 21 mars 2018). Saisi par plus de soixante députés, le Conseil s’est penché sur la loi de ratification des ordonnances Macron et a déclaré le barème conforme à la Constitution.
Par ailleurs, le Conseil d’Etat, saisi par la CGT d’une requête en référé-suspension, a jugé que le barème n’entrait pas en contradiction avec le droit international (CE, 7 décembre 2017, n° 415243).
Toutefois, en dépit de ces validations, plusieurs Conseils des prud’hommes ont refusé d’appliquer le barème Macron.
Dans ces jugements, la motivation est souvent la même : ce barème est contraire à la convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) et à la Charte sociale européenne, ratifiés par la France.
L’article 10 de la convention n°158 de l’OIT dispose que si les juges « arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié […] ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée ».
De même, l’article 24 de la Charte sociale dispose qu’il est reconnu « le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée ».
De plus, l’article 55 de la Constitution dispose que « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois ». Ainsi, selon ces jugements, c’est le droit international qui s’applique.
Par ailleurs, plusieurs Cours d’appel ont été saisies en second degré de juridiction, notamment la Cour d’appel de Paris qui devra rendre une décision en septembre 2019.
Pour tenter de contenir cette opposition des juges du fond, une circulaire du Ministère de la Justice a été adressée, le 26 février 2019, notamment aux procureurs généraux près des cours d’appel. Ce texte demande au Ministère public de se porter partie jointe aux appels des décisions qui ont écarté l’application du barème.
Ainsi, en application de la circulaire, la Cour d’appel de Paris a sollicité l’avis du Ministère public, qui a naturellement apporté son soutien au barème.
Le doute règne donc quant à la validité du plafonnement des indemnités. De ce fait, des conseillers prud’homaux, notamment ceux de Louviers, ont saisi la Cour de cassation pour avis.
La Cour de cassation devra donc trancher sur la question du barème :
« L’article L. 1235-3 du code du travail […] est-il compatible avec les articles 24 de la Charte sociale européenne et 10 de la Convention n° 158 de l’OIT, en ce qu’ils prévoient le droit pour le salarié licencié de percevoir une indemnité adéquate, ainsi qu’avec le droit au procès équitable protégé par la Convention Européenne des Droits de l’Homme ? ».
Pour rappel, la Cour de cassation a déjà refusé de se prononcer sur la compatibilité des dispositions internes avec le droit international car, selon elle, cette question relève de l’office des juges du fond (Cass. saisie pour avis, 12 juillet 2017, n°17-70.009 : « Les questions, en ce qu’elles concernent la compatibilité de la mise à la retraite hors l’accord du salarié, prévue par les dispositions de l’article L. 1237-5 du code du travail, avec la Convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) relative à la cessation de la relation de travail à l’initiative de l’employeur, ne relèvent pas de la procédure d’avis, l’office du juge du fond étant de statuer au préalable sur cette compatibilité »).
Sous réserve que la Cour de cassation s’estime compétente pour apprécier la conventionnalité du barème, la Cour devra indiquer sa position dans les prochains jours.
Pour mémoire, la Cour de cassation avait déjà mis un frein au contrat nouvelle embauche mis en place en 2005, au motif qu’il était contraire à la convention n°158 de l ‘OIT (Cass. soc., 1er juillet 2008, n°07-44.124). La Cour va-t-elle retenir la même solution pour le barème Macron ?
Si la Cour de cassation déclare le barème incompatible avec le droit international, le salarié indûment licencié pourra obtenir des indemnités en réparation de son préjudice intégral. Les indemnités tiendront compte de la situation réelle du salarié.
Mais si la Cour de cassation déclare le barème compatible avec le droit international, le salarié continuera à se voir octroyer une indemnité dont le montant n’est variable que selon son ancienneté et la taille de l’entreprise.
Il y a lieu de le rappeler, ce barème tant décrié ne concerne que le licenciement sans cause réelle et sérieuse, et non le licenciement nul, le harcèlement moral, les discriminations, ou encore le paiement des heures supplémentaires, qui constituent une importante partie du contentieux prud’homal.
Discussions en cours :
La question n’est pourtant pas là. La question est de savoir si les ordonnances dites "Macron" sont conformes au droit de l’UE indépendamment du caractère conforme à la constitution et, le cas échéant, au droit international ?
Plus encore, il est de savoir si ce barème est conforme à la jurisprudence de la CJCE (au sommet de la hiérarchie des normes). Pour cela, il est nécessaire que tous les litiges français débouchent, à titre subsidiaire, sur une demande de renvoi préjudiciel.
Nicolas Urban
Avocat au Barreau de Paris
Suspens. Mais je prends personnellement à imaginer que dans son avis la Cour de cassation considérera que, dans son principe, le barème et donc son plafond sont conformes mais seulement autant que cela permette une réparation suffisante du licenciement sans cause réelle et sérieuse. Et qu’il appartient donc aux juges (les Conseillers Prud’hommes en premier) d’inscrire leurs décisions dans ce barème sauf si, au cas par cas, ils considèrent que réparer ainsi le préjudice ne convient pas. Comme ça, il n’y aura pas de friction avec d’autres sources du droit. A charge pour ces derniers de ne pas en décider ainsi « au doigt mouillé » mais de motiver leur décision sur le plan factuel, ce qui signifiera auparavant pour le demandeur d’avoir étayé sa demande au-delà du plafond.
Sur le principe toutefois, ça m’a toujours semblé hasardeux et critiquable que la limite à la réparation d’un préjudice puisse être ainsi gravée dans le marbre comme voulu par le barème dit Macron.
Imagine t’on que le législateur puisse décider que l’automobiliste qui grille un feu rouge ou même passe à l’orange en renversant un piéton puisse savoir à l’avance ce que son imprudence coupable lui coûtera au maximum et adopte sa (mauvaise) conduite en rapport ?
80 % des affaires prud’homales ce sont des litiges sur des licenciements pour motif personnel (faute alléguée bien souvent, grave tant qu’à faire). Pour un employeur qui n’a fait là qu’exprimer sa mauvaise humeur du jour, sans réfléchir aux conséquences sociales pour le salarié, sans vouloir reconnaître le droit à l’erreur de son salarié (alors que lui il en commet peut-être tous les jours et des plus grosses dans sa gestion), pas grave ! Il sait ce que va éventuellement lui coûter au maximum. Quant au plancher, on en parle ?, des clopinettes !
Dans l’ancienne législation, c’était simple pour un salarié de plus 2 ans d’ancienneté dans une entreprise de plus de 10 salariés. Il y avait un plancher (6 mois). Il n’y avait pas de plafond légal. Mais force est de constater que les Conseils de Prud’hommes n’accordaient guère plus que ces 6 mois. 7 mois, 8 mois, 9 mois maxi parfois (et rarement), dans des cas particulièrement sordides, mais le plus souvent 6 mois. Dans la pratique, le plancher était le plafond même s’il n’était que de verre.
Aujourd’hui, cette indemnisation (plancher) peut n’être que de 3 mois seulement ! (toujours sous la double condition de 2 ans d’ancienneté et d’une entreprise de plus de 10 salariés).
Patrick LE ROLLAND
ancien conseiller prud’homme (salarié),
auteur d’ouvrages de vulgarisation grand public sur le sujet.