I - Une réaction attendue
Au mois de février 2013, les partenaires sociaux ont signé un accord sur la santé au travail sous l’angle des risques psychosociaux, marquant ainsi les prémisses de l’avenant du 1er avril dernier.
Celui-ci a également été inspiré par plusieurs arrêts relatifs à la validité du forfait en jours :
Celui du 29 juin 2011 par lequel la Cour de cassation posait que les règles définies par les partenaires sociaux devaient assurer la conformité du système aux règles de droit (en droit interne et communautaire) en matière de durée du travail et de repos, offrant ainsi la possibilité aux salariés de prétendre au paiement d’heures supplémentaires le cas échéant [1] ;
Plus récemment, l’arrêt du 24 avril 2013 par lequel une convention de forfait en jours avait été annulée. Dans cette affaire, la Cour de cassation avait considéré que ni l’accord Syntec, ni l’accord d’entreprise n’étaient de nature à :
o garantir que l’amplitude et la charge de travail restaient raisonnables ;
o assurer la protection de la sécurité et de la santé des salariés. [2]
Les conséquences du recours régulier au forfait jours sont coûteuses pour l’employeur, contraint de payer des rappels d’heures supplémentaires, potentiellement pour des dizaines de salariés. Rappelons, à ce titre, que les collaborateurs travaillant dans les secteurs couverts par la branche Syntec sont majoritairement des cadres.
L’arrêt d’avril 2013 a donc amené les partenaires sociaux de la branche Syntec à entamer des négociations pour renforcer et sécuriser le dispositif conventionnel.
II – Des garanties renforcées
Les partenaires sociaux se sont accordés sur un droit de déconnexion des salariés. L’article 4.8.1 de l’accord dispose que « l’effectivité du respect, par le salarié, [des] durées minimales de repos implique pour ce dernier une obligation de déconnexion des outils de communication à distance ».
L’article suivant prévoit le suivi de la charge de travail et de l’amplitude des journées de travail par l’employeur.
Celui-ci devra :
mettre en place des outils de suivi pour contrôler le temps de repos ;
s’assurer que le salarié puisse effectivement se déconnecter des outils de communication de l’entreprise.
L’accord semble impliquer une coresponsabilité entre l’employeur et le salarié. Un cadre qui travaille trop et ne se « déconnecte » pas pourrait (devrait ?) alors être rappelé à l’ordre…
On peut également s’interroger sur la mise en place, en pratique, d’un tel contrôle par l’employeur. Faut-il que ce dernier coupe l’accès aux emails et aux serveurs de l’entreprise à partir d’une certaine heure ? Cette solution se heurte à des problèmes pratiques pour les cadres en déplacement ou travaillant à l’international ; elle peut également être incompatible avec l’autonomie qu’induit le forfait jours dans l’organisation du travail.
La jurisprudence ne manquera pas de délimiter les contours d’un tel contrôle, l’enjeu étant de trouver le juste équilibre entre la flexibilité et la préservation de la santé des salariés.
III - Des syndicats divisés
Si l’accord a été conclu grâce à l’adhésion de CFE-CGC et de la CFDT ; FO, la CFTC et la CGT n’ont pas souhaité signer le texte.
Noël Lechat, secrétaire général de la fédération CGT des sociétés d’études, déplore que l’avenant :
ne prévoit pas de dispositions suffisamment impératives ;
soit trop imprécis.
Des contentieux à l’initiative des syndicats non signataires sont à prévoir.
IV - Un complément de la loi
Le Code du travail impose à l’employeur ayant conclu une convention de forfait en jours avec un salarié d’organiser un entretien annuel individuel portant sur la charge de travail, l’organisation du travail dans l’entreprise, l’articulation entre l’activité professionnelle et la vie personnelle et familiale ainsi que sur la rémunération ( [3]).
La Cour de cassation a récemment condamné un employeur au paiement d’une indemnité pour exécution déloyale de la convention de forfait en jours [4].
Elle sera certainement amenée à se prononcer sur l’articulation de la loi avec l’avenant Syntec du 1er avril 2014.
Dans l’attente d’une position de la Cour de cassation, qui n’interviendra pas avant plusieurs années, la prudence s’impose dans la mise en place – et la mise en œuvre – des forfaits jours. Les entreprises du secteur ayant mis en place de tels forfaits seront amenées à les adapter dans les 6 mois à compter de l’arrêté d’extension.
L’initiative des partenaires sociaux doit toutefois être saluée.
Reste à savoir si les juges sauront l’apprécier à sa juste valeur.