Au milieu des nombreux articles figurant au projet de la loi El Khomri, un petit texte aurait presque pu passer inaperçu. Pourtant, il pourrait, à sa manière, changer la vie des salariés. L’article 24 énonce le remplacement du bulletin de paie papier par un bulletin électronique, et ce sans nécessiter l’accord préalable du salarié. Un changement brusque dans le monde du travail puisqu’il devrait s’opérer dès le 1er janvier 2017.
Alors que cette mesure est parfaitement en ligne avec la politique de transformation numérique des entreprises, elle représente pourtant une mini révolution pour les Français pour qui le bulletin de paie papier possède une forte valeur administrative tout au long de leur vie.
La stupéfaction a laissé place à l’appréhension. En effet, cette évolution numérique soulève encore beaucoup de questions, aussi bien chez les salariés qu’au sein des entreprises.
Tout d’abord, il y a la question sécuritaire. Les nombreux cas de vol de données relayés dans les médias ces derniers mois ne rassurent guère les salariés et les employeurs, les uns craignant que leurs bulletins de paie soient perdus ou se retrouvent entre les mains de cyberpirates, les autres redoutant les répercussions qu’un vol ou une perte pourrait avoir sur leur développement. Avec une entreprise européenne sur cinq victime d’une attaque en 2015, les dirigeants ont dorénavant conscience du risque que le vol des données représente, et veulent faire de la cybersécurité une priorité absolue. Le coût lié aux violations de données en France estimé à 2,86 millions d’euros (contre 2,55 millions d’euros en 2011) ne fait que renforcer cette volonté. Pourtant la protection des documents hautement sensibles est loin d’être évidente et les cyberpirates, qui ont accès à des outils de plus en plus sophistiqués, ne reculent devant rien pour accéder aux données devenues hautement monnayables.
Par ailleurs, l’accès aux bulletins de paie numériques soulève d’autres questions et notamment celle de la réception, l’envoi par email n’étant en aucun cas une possibilité. En effet, bien que chaque jour des milliards d’emails transitent à travers le monde, cet outil, devenu aujourd’hui un moyen standard de communication, est loin d’être sécurisé. Les emails peuvent, en effet, être envoyés par erreur, mais également être facilement interceptés par des cyberpirates, et cela d’autant plus s’ils ne sont pas chiffrés. Par ailleurs, l’administrateur ou le fournisseur de services peuvent également y accéder de manière tout à fait légale. Cela fait potentiellement beaucoup de personnes indésirables pouvant lire ces documents de nature privée.
Ce « petit » article 24 de la loi du travail n’est donc pas à prendre à la légère, tant il est lourd de responsabilités. Pour assurer la réussite de cette transition et rassurer salariés et entreprises, cette mesure devra prendre en compte un certain nombre de facteurs indispensables.
Passage au bulletin de paie numérique : les paramètres à prendre en compte
- Facilité d’accès
Le succès de cette transition dépendra de la facilité de tous à accéder aux bulletins de paie. N’oublions pas qu’aujourd’hui, l’accès technologique n’est pas le même pour tous. Il faut donc s’assurer que chacun, quelque soit sa position au sein de l’entreprise, puisse avoir un accès facile, et cela à tout moment et en tout lieu. Le bulletin de paie est un bien des salariés et un droit ; toute difficulté d’accès pourrait mener à un rejet total de cette mesure. Une communication efficace et anticipée auprès des salariés sur les usages pour accéder à sa fiche de paie sera un enjeu de taille pour éviter une mauvaise compréhension et emporter l’adhésion de tous.
- Confidentialité
Le bulletin de paie revêt une dimension personnelle et privée, il appartient en effet de plein droit au salarié. Or, aucun salarié ne souhaite partager ses bulletins de paie et encore moins les voir dispersés dans la nature. La solution sélectionnée qui donnera accès aux bulletins de paie doit garantir la confidentialité de ceux-ci et donner un accès unique à celui à qui ils appartiennent.
- Sécurisation
La sécurité est un aspect très important de cette transition. Alors que les différentes affaires de vols de données sont de plus en plus médiatisées, les salariés sont de plus en plus sensibilisés et avertis à ce sujet. Les premiers témoignages n’ont fait que confirmer ce sentiment d’appréhension à l’égard de la numérisation de leurs bulletins de paie. La question est tout aussi importante pour les entreprises pour qui cela représente un enjeu de taille du fait des potentielles implications financières, mais aussi, prochainement, légales alors que les autorités françaises et européennes se penchent sur la protection des données personnelles. Pour répondre aux exigences de sécurité, l’accès aux fiches de paie doit se faire depuis un espace numérique verrouillé qui permet de sauvegarder chaque nouveau document et de les chiffrer.
- Partage
Le bulletin papier est encore largement utilisé pour des démarches telles que les demandes de prêt, la recherche de logement ou encore dans le cadre du système des retraites. Le partage du bulletin de paie numérique doit donc pouvoir se faire dans un cadre strict avec la possibilité pour le propriétaire de sélectionner les destinataires du bulletin, selon des modalités choisies par lui (limite de temps, nombre de destinataires, impossibilité d’imprimer, filigrane…).
La fiche de paie est un document qui a toujours été vu comme compliqué aux yeux des salariés français, mais indispensable. L’annonce de sa dématérialisation a été perçue comme synonyme de difficultés et la perte du concret que représentait le format papier a créé une certaine appréhension. Pourtant, si les conditions requises sont respectées, cette nouvelle mesure pourrait représenter une avancée en termes de gain de temps, de respect de l’environnement et qui pourrait par-dessus tout garantir l’intégrité des données.