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La protection du pseudonyme : à propos de l’affaire Pennac. Par Jérôme Tassi, Avocat.
Parution : lundi 18 décembre 2023
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Les procédures judiciaires concernant la protection d’un pseudonyme sont rares dans la jurisprudence française. Le jugement du Tribunal judiciaire de Paris du 12 octobre 2023 (TJ Paris, 12 octobre 2023) (susceptible d’appel) se prononce sur la protection du pseudonyme Pennac, opposée par le célèbre auteur Daniel Pennac à la société France.tv Studio qui a produit la série télévisée « Les Pennac : un air de famille ». Le jugement aborde les trois protections invoquées par l’auteur : le droit de la personnalité, le droit d’auteur et le droit sur la marque notoire.

L’auteur invoquait deux fondements pour solliciter le retrait du nom PENNAC du nom de la série : le droit au nom (1), le droit d’auteur (2) et le droit sur la marque notoire (3).

1. Le pseudonyme en tant que droit de la personnalité.

Le pseudonyme est défini par la Cour de cassation comme « un nom de fantaisie librement choisi par une personne pour masquer au public sa personnalité véritable dans l’exercice d’une activité particulière » [1]. Il est assimilé au droit au nom et la jurisprudence a déjà jugé que le pseudonyme est « protégeable, à l’égal du nom de famille, comme constituant une propriété lorsque, par un usage prolongé et notoire, il s’est incorporé à l’individu et est devenu pour le public le signe de sa personnalité » [2]. La jurisprudence confère au pseudonyme la même protection que le nom patronymique, c’est-à-dire qu’il « donne le droit à son titulaire de s’opposer à son utilisation notamment à des fins commerciales s’il peut en résulter une confusion possible à laquelle il a intérêt à mettre fin » [3].

Le jugement commenté s’inscrit dans ces principes jurisprudentiels et rappelle que « Le pseudonyme est protégeable à l’égal du nom patronymique comme constituant une propriété lorsque, par un usage notoire et prolongé, il s’est incorporé à l’individu qui le porte et est devenu pour le public le signe de sa personnalité. Son titulaire est dés lors fondé à s’opposer à son appropriation par un tiers s’il doit en résulter une confusion moralement ou matériellement préjudiciable ».

Les parties s’opposaient sur le pseudonyme exact pouvant bénéficier de la protection puisque France.tv Studio considérait que le pseudonyme est Daniel Pennac et non Pennac seul. Le tribunal considère cependant que l’auteur justifie un usage notoire et prolongé du pseudonyme « Pennac » devenu pour le public le signe de sa personnalité.

Pour autant, le tribunal écarte l’atteinte à ce pseudonyme.

D’une part, il écarte l’argument tiré du droit au respect de sa vie privée car s’il existe des similitudes (âge comparable et tous deux ayant une fille), « aucune autre ressemblance, ni physique avec l’acteur interprète du rôle titre de la série, ni avec l’intrigue n’est démontrée ».

D’autre part, le tribunal écarte également l’appropriation indue du pseudonyme. Il n’existe pas de similitude entre l’univers de la série et ceux des œuvres de l’auteur. De plus, il est démontré que le nom Pennac est « fréquent et banal et n’entraine pas, par lui seul, une confusion avec le pseudonyme revendiqué ».

Le jugement montre que la protection du pseudonyme nécessite une réelle confusion et non pas un simple risque hypothétique.

2. La protection du pseudonyme par le droit d’auteur.

L’auteur invoquait une protection de son pseudonyme par le droit d’auteur au visa des articles L111-1, L121-1 et L113-6 du Code de la propriété intellectuelle. Ce dernier article prévoit la protection des œuvres publiées sous pseudonymes :

« Les auteurs des œuvres pseudonymes et anonymes jouissent sur celles-ci des droits reconnus par l’article L111-1. Ils sont représentés dans l’exercice de ces droits par l’éditeur ou le publicateur originaire, tant qu’ils n’ont pas fait connaître leur identité civile et justifié de leur qualité ».

Le tribunal ne suit par l’argumentation de l’auteur en jugeant que la protection du droit moral de l’auteur est attachée à l’œuvre elle-même et non pas au nom patronymique ou pseudonyme de l’auteur : « Le droit moral de l’auteur au respect de son nom est attaché à l’œuvre de l’esprit qui porte l’empreinte de sa personnalité ; l’auteur ne peut donc prétendre sur le fondement de l’article L121-1 du Code de la propriété intellectuelle, à la protection de son nom patronymique en tant que tel, fût-il utilisé pour l’exercice de son activité artistique, ce nom, quelle que soit sa renommée prétendue, ne constituant pas, en lui-même, une œuvre de l’esprit. La contrefaçon de droit d’auteur est constituée par la reprise des caractéristiques qui fondent l’originalité de l’œuvre et s’apprécie par les ressemblances que présente avec celle-ci l’œuvre arguée de contrefaçon et non par leurs différences ».

Cette décision est conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation qui avait jugé qu’un auteur « ne pouvait prétendre, sur le fondement de l’article L121-1 du Code de la propriété intellectuelle, à la protection de son nom patronymique en tant que tel, fût-il utilisé pour l’exercice de son activité artistique, ce nom, quelle que soit sa renommée prétendue, ne constituant pas, en lui-même, une œuvre de l’esprit » [4].

La protection par le droit d’auteur ne peut donc être accordée au pseudonyme Pennac surtout que « l’originalité n’est, au surplus, pas démontrée et que le pseudonyme existait antérieurement à son utilisation par le demandeur comme étant le patronyme d’autres personnes physiques ».

3. La protection du pseudonyme par la marque notoire.

Pour terminer, l’auteur revendiquait la protection de son pseudonyme à titre de marque notoire sur le fondement de l’article L713-5 du Code de la propriété intellectuelle.

Le moyen est rapidement écarté par le tribunal puisque l’auteur « ne réalise aucune démonstration ni ne fournit aucun élément permettant d’apprécier le caractère notoire de la marque « Pennac », ni un usage à titre de marque du nom Pennac ».

L’argument de la marque notoire nécessite en effet de démontrer un usage à titre de marque, c’est-à-dire s’il peut être perçu comme indiquant l’origine des produits et services concernés (par exemple l’édition littéraire). La question est loin d’être tranchée sur la possibilité pour le nom d’un auteur de constituer une marque.

S’agissant de la demande de marque George Orwell, la chambre de recours de l’EUIPO a relevé des divergences de décisions dans une décision provisoire : certains noms « sont enregistrés en tant que marques parce que, même s’ils sont bien connus, ils peuvent être encore perçus par le public comme un indicateur de provenance pour des produits de l’imprimerie ou pour l’éducation. Dans d’autres affaires, il a été jugé que le nom d’une personne célèbre sera considéré comme une information sur le contenu ou constitue l’objet des produits et services qui sont considérés comme non distinctifs et descriptifs » [5].

Pour trancher cette incertitude, la chambre de recours a préféré renvoyer à la grande chambre à laquelle il appartient « d’apprécier si le nom d’une personne célèbre comme en l’espèce, George Orwell, sera simplement perçu comme une indication du contenu ou de l’objet de livres, de films ou de services de divertissement, d’activités culturelles ou d’éducation des classes 9, 16 ou 41, étant ainsi descriptif et dépourvu de caractère distinctif en vertu de l’article 7, paragraphe 1, points b) et c), du RMUE ou si, au contraire, il peut encore indiquer l’origine de ces produits et services et être par conséquent enregistré en tant que marque ».

La grande chambre de recours devrait se prononcer dans les mois à venir à ce sujet.

Jérôme Tassi, Avocat au Barreau de Paris Spécialiste en propriété intellectuelle www.agilit.law [->jerome.tassi@agilit.law]

[1Cass. Civ. 1ère, 23 février 1965, n° 62-13247.

[2CA Paris, 15 septembre 1999.

[3TGI Paris, référé, 19 avril 2013, RG 13/52878.

[4Cass. Civ. 1ère, 10 avril 2013, n° 12-12525.

[5EUIPO, BoA, 2 juillet 2020.