Les cabinets d'avocats et le "pro bono".

Les cabinets d’avocats et le "pro bono".

Rédaction du Village de la Justice

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La notion d’activité pro bono, bien connue des pays anglo-saxons, se généralise en France où nous étions davantage habitués aux termes de bénévolat, de philanthropie ou encore de mécénat.
La rédaction du Village de la Justice vous amène dans le monde bienveillant et utile du pro bono.

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L’expression pro bono se veut généraliste et recouvre toutes les activités menées, le plus souvent gracieusement, littéralement "pour le bien public". Elle s’incarne sous des modalités et dans des domaines très divers : honoraires réduits en soutien à des associations, hébergement d’oeuvres de jeunes artistes dans les locaux de l’entreprise... De plus en plus de cabinets d’avocats, souvent investis de longue date dans ce type d’activité, cherchent aujourd’hui à mettre en valeur cette pratique en communiquant plus efficacement sur leurs actions.

La pratique du pro bono.

La diversité des activités pro bono.

La notion d’activité pro bono est difficile à enfermer dans une définition tant les formes et les causes dans lesquelles elle s’incarne sont diverses d’un cabinet à l’autre, voire, au sein d’un même cabinet. Pour le cabinet historique britannique Linklaters, « le pro bono est un des éléments de la responsabilité sociétale de l’entreprise (RSE). La RSE est un concept dans lequel les entreprises intègrent les préoccupations sociales, environnementales, et économiques dans leurs activités et dans leurs interactions avec leurs parties prenantes sur une base volontaire. Une définition simple du pro-bono (littéralement : pour le bien public ) serait le conseil juridique volontaire et gratuit à des associations. Il est plus particulièrement adapté aux avocats d’affaires. Il se différencie de l’Aide Juridictionnelle (AJ) qui s’adresse principalement aux particuliers. Le bénévolat, quant à lui, correspond à toute forme d’aide concrète apportée à des associations ».
Mais les activités pro bono des cabinets ne se résument pas au conseil juridique même s’il s’agit encore du terrain de prédilection naturel des cabinets. La majorité des structures doublent cette pratique d’une contribution financière directe, du prêt de locaux ou de l’organisation d’événements destinées à lever des fonds.

Le cabinet français Aklea offre un exemple de cette diversité en « menant ses premières actions pro bono sous la forme de mécénat de compétences ou de soutien financier. Les secteurs récemment impactés par ces actions sont : l’art, l’insertion sociale et professionnelle, et le développement durable ». De son côté, le cabinet français spécialisé en droit des affaires August et Debouzy mêle également soutien financier et soutien juridique en aidant « plusieurs associations, en les accompagnant dans la résolution des questions juridiques qu’elles rencontrent dans leur quotidien. Des associations de renom ou moins connues ont recours à nos compétences, particulièrement en matière de droit social, de droit commercial, de propriété intellectuelle et de droit des sociétés ».

La rationalisation du choix d’une cause à soutenir.

Le choix d’une cause à soutenir est de plus en plus rationalisé. Certains cabinets d’avocat, comme August et Debouzy, préfèrent encore permettre à chacun de ses membres de choisir un domaine qui lui tient à cœur : « Notre activité pro-bono s’effectue dans la très grande majorité des cas au nom du cabinet August & Debouzy mais n’est pas centralisé. Les projets pro-bono sont souvent initiés et proposés par les avocats en fonction de leurs centres d’intérêts et des demandes qu’ils reçoivent individuellement. Ses projets sont ensuite soumis à autorisation de l’associé en charge du ou des départements concernés par la nature de l’aide qu’il faudra fournir ».

D’autres, vont étudier spécifiquement le choix du domaine d’intervention afin d’accroître l’efficacité de l’action menée. Ainsi, le cabinet français Coblence a choisi de rallier l’ensemble de ses membres pour soutenir une même cause. Pour autant, le choix d’un fond de dotation comme vecteur du pro bono permet au cabinet d’agir toujours pour une même cause mais par le biais de plusieurs associations. « Toujours désireux depuis la création du cabinet au début des années 1980, de faire converger nos valeurs avec celles de nos clients, entreprises ou personnes physiques, nous avons souhaité, ces dernières années, adopter une conduite éthiquement responsable et faire le choix du développement durable. C’est dans cette optique que fin 2010, notre choix s’est porté vers un fonds de dotation, SEED Foundation, qui agit pour lutter contre la faim et la pauvreté en milieu rural en Afrique. Ce fonds, créé en 2009, s’est investi dans des actions visant à favoriser le développement agricole, clé d’une réduction durable de la sous-alimentation et, plus largement, levier de croissance économique dans les pays du Sahel. Pourquoi avons-nous choisi un fonds de dotation ? La diversité de nos dossiers et des thématiques qui y sont abordées au quotidien sont l’essence de notre activité. Nous ne pouvions par conséquent, envisager de n’aider qu’une seule organisation, de ne supporter qu’une seule action ».
Même constat au sein du cabinet anglo-saxon Proskauer, où l’activité pro bono a toujours existé mais qui tend, ces dernières années, à être davantage rationalisée.

Des mesures fiscales encore peu incitatives.

Comme le souligne le cabinet Coblence «  l’article 238 bis du Code Général des Impôts donne droit à une réduction d’impôt égale à 60% du montant du don, dans la limite de 5‰ du chiffre d’affaires de l’entreprise (avec report possible sur les cinq années suivante de la réduction en cas de dépassement du seuil) ». Cette mesure s’applique tant au mécénat financier qu’au mécénat de compétences.
Mais si la mesure est clairement incitative pour le mécénat financier, elle l’est moins pour le mécénat de compétence, plus difficile à quantifier.
Chez August et Debouzy on souligne que «  l’impact fiscal apparaît uniquement lorsque l’activité pro-bono s’effectue dans le cadre légal du mécénat d’entreprise. Ce type de mécénat n’est pas aujourd’hui la forme qui est la plus privilégiée dans notre structure. Donc à ce jour l’impact fiscal est négligeable  ». On touche probablement là à l’une des grandes différences entre le mécénat classique d’entreprise et l’action pro bono des cabinets d’avocats.

La conception du pro bono

L’influence de la vision anglo-saxone.

Alors que les activités pro bono sont habituelles dans les business modèles anglo-saxons, leur arrivée en France est plus récente. Comme on l’explique au sein du cabinet August et Debouzy : « Le modèle de la société française est historiquement aux antipodes du modèle anglo-saxon tant nous considérions que c’était le rôle de l’Etat d’organiser les actions de solidarité, d’intégration, de formation, etc... Ce modèle est en train de basculer pour des raisons essentiellement économiques et nous assistons à un transfert des responsabilités sociétales vers les entreprises. Celles-ci inventent donc au fur et à mesure leur activité pro bono, tant par les type d’actions et enjeux sociétaux qu’elles choisissent que par leur gestion interne ». Même développement au sein du cabinet Coblence qui note de surcroît un retard du monde juridique sur les grandes entreprises généralistes : « De longue date, les grandes enseignes commerciales françaises ont pris le parti de s’intéresser au développement durable. Le monde juridique est un temps resté en dehors de ces préoccupations mais c’était sans compter l’impulsion des maisons mères situées à l’étranger qui ont incité les succursales parisiennes à leur emboîter le pas. »
Les bureaux français des cabinets anglo-saxons ont ainsi été les instigateurs naturels de cette pratique qui séduit désormais de plus en plus de cabinets français... Le cabinet KGA Avocats « porte un regard bienveillant sur le pro bono à la française car il donne une dimension plus humaine à la profession d’avocat et replace l’avocat comme le défenseur de la veuve et de l’orphelin !  ». Cependant, le pro bono à la française est encore loin d’être généralisé et visible nous dit-on au cabinet Aklea : «  les actions pro bono menées par des cabinets français ne sont pas franchement référencées, même si les initiatives qui se multiplient mériteraient une visibilité plus importante  ».

La rationalisation des actions.

Pour autant, les cabinets américains n’ont pas le monopole du cœur. Comme on le rappelle chez Linklaters, « connus comme une tradition anglo-saxonne, le pro bono et le bénévolat n’en restent pas moins –et c’est moins connu- une tradition du barreau français. En effet, les avocats se sont de tout temps investis pour apporter leur aide à des causes qu’ils jugeaient justes ».
Ce qui évolue c’est davantage la méthodologie du pro bono à la française. On s’oriente désormais vers une action plus rationalisée, effectuée à l’échelle du cabinet plutôt qu’individuelle. De plus en plus, on applique à la gestion du pro bono les règles de gestions d’une entreprise. Tout en admettant que « par essence, le pro bono n’est pas une démarche quantitative mais qualitative », le cabinet Linklaters a par exemple mis en place un système «  d’indicateurs extra-financiers de mesure de succès […]. Tous les ans, nous essayons d’estimer l’impact de nos actions en mesurant le nombre d’heures de soutien scolaire effectuées, le temps passé par nos collaborateurs pour répondre aux créateurs via l’Adie, le nombre de simulations d’entretiens. À l’échelle globale, le cabinet fait un suivi de l’impact de ses actions  ».
Nous n’en sommes qu’au début de cette recherche de la plus grande efficacité possible, la majorité des cabinets ne mesurant pas encore l’impact réel de leurs activités pro bono ou ayant du mal à la mesurer, comme on le regrette chez August et Debouzy : « La pratique du pro-bono a évolué en même temps que les évolutions sociétales en matière de responsabilité sociétale des entreprises. Il devient naturellement de plus en plus prégnant dans nos réflexions. Cette pratique n’a pas encore atteint le systématisme avec lequel il est traité par exemple dans les firmes américaines mais il tend à le devenir ».

La communication sur le pro bono

L’évolution de la communication.

C’est peut-être autour de la question de la communication que l’évolution des comportements des cabinets d’avocat vis-à-vis du pro bono est la plus flagrante. Il y a encore quelques années, la situation était caractérisée par une communication inexistante ou réduite à son minimum, se limitant par exemple à des liens dans les pavés de signature mail, des brèves sur les sites Internet ou l’apposition d’un logo sur les éléments visuels des évènements soutenus.
Puis, peu à peu, des campagnes de communication se sont timidement mises en place. Les cabinets créent des pages web spécifiques, éditent des leaflets, engagent des sociétés de communication ou créent même, pour les plus gros cabinets, des services spécifiques en interne. Ainsi, Proskauer a mis en place le pro bono Initiative Committee chargé d’organiser chaque année des Golden Gravel Awards « visant à récompenser les avocats qui se sont le plus impliqués dans les dossiers pro bono au cours de l’année. Une cérémonie de remise des prix est organisée chaque année dans tous les bureaux de la firme et permet également de faire un point sur l’activité pro bono de l’année ». Cet accroissement de la communication est payant puisque, comme on le note chez Coblence, « les médias quant à eux commencent à relayer l’information  ».

L’impact de la communication sur les clients.

De façon générale, les retombées sont difficilement mesurables. Chez Aklea même si «  Pour l’instant […] on ne peut pas dire que notre cabinet ait une image associée à une véritable démarche pro bono  », les premiers retours positifs des clients sur le pro bono apparaissent. Parfois même, comme chez Proskauer, la communication auprès des clients conduit à la mise en place de véritable partenariat : « Un des objectifs de notre comité pro bono est de poursuivre cet engagement et, lorsque cela est possible, d’intervenir sur des dossiers pro bono en partenariat avec nos clients. Nous avons déjà eu l’opportunité de travailler sur divers dossiers pro bono avec certains de nos clients clés, comme dans un dossier pour Water Aid, une ONG dont la mission est d’améliorer l’accès à l’eau à des fins d’hygiène et sanitaires pour les pays les plus pauvres. Un projet fascinant qui n’a fait que renforcer nos liens avec notre client partenaire et notre volonté de partager et de poursuivre nos efforts pro bono ensemble  ».

Les réticences à communiquer sur le pro bono.

Reste encore de façon pérenne cette idée que la communication sur des actions pro bono est louche. Comme le souligne le Cabinet Coblence «  certains professionnels du droit restent frileux sur la question : pour beaucoup, il s’agit encore d’une démarche purement marketing auxquels les clients seraient indifférents ». La démarche du Cabinet August et Debouzy illustre cette crainte : « Nous communiquons beaucoup en interne sur ces activités et nettement moins en externe. Il y a d’ailleurs sur ce point une éthique à se donner car il n’est pas question de « rentabiliser » en termes de communication ou de marketing. Nous allons bientôt mettre sur notre site web une section sur ce sujet mais elle mettra uniquement en avant les associations que nous soutenons et pas ce que nous faisons pour elles  ».

Voir aussi notre autre article "Avocats et solidarité : vers de nouveaux horizons".

Rédaction du Village de la Justice

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