Madame X a été embauchée par la SAS Multithématiques (filiale à 100 % du
groupe Canal+) selon de multiples contrats à durée déterminée d’usage entre le 22 juin 2000 et le 21 octobre 2015, en qualité de chargée de recherche initialement, puis de documentaliste à compter de janvier 2005, puis de collaborateur littéraire à compter de novembre 2012, les divers contrats concernant tous la conception et la rédaction de bandes annonces pour les chaînes thématiques de Canal+.
La salariée a été déboutée devant le Conseil de prud’hommes de l’intégralité de ses demandes ; elle a interjeté appel.
Par arrêt du 28 septembre 2016, la cour d’appel de Versailles (19ème ch.) :
- Requalifie la relation contractuelle en contrat à durée indéterminée à temps partiel à compter du 22 juin 2000,
- Dit que sa rupture constitue un licenciement sans cause réelle ni sérieuse,
- Ordonne à la SAS Multithématiques de cotiser à la retraite des cadres pour Madame X de novembre 2012 à octobre 2015,
- Condamne la SAS Multithématiques à payer à Madame X les sommes de :
- 9500 euros au titre du rappel de 13e mois,
- 3000 euros au titre de l’indemnité de requalification,
- 5000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
- 5700 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
- 570 euros au titre des congés payés afférents,
- 8105 euros à titre d’indemnité de licenciement,
- 25 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 3000 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.
1) Sur la requalification des CDD d’usage en CDI
En application des articles L. 1242–1, L. 1242–2 et L. 1242–12 du Code du travail, un contrat de travail à durée déterminée, qui ne peut avoir pour objet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise, ne peut être conclu que pour une tâche précise et temporaire, et seulement dans les cas déterminés par la loi. Il doit par ailleurs être établi par écrit et comporte la définition précise de son motif, à défaut de quoi il est réputé conclu pour une durée indéterminée.
L’accord-cadre européen sur le travail à durée déterminée conclu le 18 mars 1999, mis en œuvre par la directive n°1999/70 du 28 juin 1999 en ses clauses 1 et 5, qui a pour objet de prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats à durée déterminée successifs, impose toutefois de vérifier que le recours à l’utilisation de contrats à durée déterminée successifs est justifié par des raisons objectives qui s’entendent de l’existence d’éléments concrets, établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi concerné.
La SAS Multithématiques fait valoir que les différences de traitement entre catégories professionnelles opérées par voie d’accords collectifs négociés et signés par des organisations syndicales représentatives sont présumées justifiées. Il s’agit toutefois d’une présomption simple ; or, il ressort des pièces produites, et notamment des lettres d’engagement et des fiches de paye, que Madame X a réalisé des bandes-annonces pour la SAS Multithématiques entre 2000 et 2015 à un rythme variable mais toutefois de manière régulière, de telle sorte qu’elle apporte ainsi la démonstration de ce que son emploi est lié à l’activité normale et pérenne de la société.
L’inspection du travail avait d’ailleurs relevé ce point au cours de sa visite en août 2012, enjoignant à l’employeur de conclure des contrats à durée indéterminée et c’est ainsi que deux collègues de Madame X ont obtenu la conclusion de CDI.
Dès lors, la Cour considère que la conclusion de contrats à durée déterminée n’est pas justifiée par des raisons objectives.
En conséquence, la relation contractuelle sera requalifiée en contrat à durée indéterminée à compter du 22 juin 2000, date de la première embauche.
2) Détermination du salaire mensuel
Il convient dès lors de déterminer son salaire mensuel, étant précisé qu’elle réclame à titre principal que lui soit reconnu un contrat de travail à durée indéterminée à temps plein sur le fondement des dispositions de l’article L.3123-17 du Code du travail au regard d’une durée de travail ayant excédé 151,67 heures mensuelles au cours de l’année 2002.
Toutefois la cour observe que les bulletins de salaire en cause qui mentionnent de telles durées de travail font mention du paiement d’heures effectuées à une autre période : pour exemple, les 256 heures prétendument effectuées en avril 2002 sont en réalité des journées de huit heures effectuées du 4 au 7 mars 2002, du 11 au 14 mars 2002, du 18 au 21 mars 2002, du 25 au 28 mars 2002, le 1er septembre 2001, du 3 au 5 septembre 2001, les 7 et 8 septembre 2001, le 15 septembre 2001, du 17 au 21 septembre 2001, les 25 et 26 septembre 2001 et le 28 et 29 septembre 2001.
En conséquence, les dispositions invoquées n’ont pas vocation à s’appliquer dans la présente espèce, d’autant que chacun de ses jours de collaboration, aux termes des contrats en vigueur à l’époque, a été conclu et exécuté à temps plein, donc sans possibilité de recours aux heures complémentaires.
De l’ensemble des pièces versées aux débats par Madame X (bulletins de paie,
lettres d’engagement, tableaux récapitulatifs de nombre de jours travaillés pendant tout le temps de sa collaboration avec la SAS Multithématiques), il ressort que celle-ci a travaillé en moyenne 120 jours par an pour le compte de la SAS Multithématiques au cours de la période non couverte par la prescription, la cour retiendra dès lors un salaire brut mensuel de 1900 euros au vu des contrats de travail de Mme G. et de Mme P., versés également aux débats, celles-ci exerçant le même emploi que Madame X et ayant obtenu en avril 2014 la signature de contrats à durée indéterminée aux termes desquels il est prévu une rémunération annuelle brute d’un montant de 20 710 euros avec un forfait jours de 109 jours. En conséquence, le rappel de 13e mois s’élèvera à 1900 euros x 5 = 9500 euros.
3) Sur l’indemnité de requalification
En vertu de l’article L1245-2 alinéa 2 du Code du travail, « lorsque le conseil de
prud’hommes fait droit à la demande du salarié, il lui accorde une indemnité, à la charge de l’employeur, ne pouvant être inférieure à un mois de salaire. [...] ».
À ce titre, la cour allouera à Madame X une indemnité de requalification d’un montant de 3000 euros.
4) Sur les demandes liées à ses droits à la retraite
Madame X fait valoir à ce titre que le statut cadre lui a été retiré en novembre
2012 et que ceci a nécessairement préjudicié à ses droits à retraite. Il résulte des pièces versées aux débats que Madame X a toujours été employée par la SAS Multithématiques au statut cadre depuis juin 2000, puis s’est vu confier des attributions au statut non cadre à compter de novembre 2012, tout en continuant à occuper les mêmes fonctions de conception de bandes annonces.
L’explication de la SAS Multithématiques consiste à alléguer un changement d’emploi de la salariée, passant de la société CUISINE TV à la société MTH, sans justifier en quoi le changement de société justifie un changement de statut, alors même qu’elle ne démontre pas une différence dans le travail effectué.
La Cour, dès lors non convaincue par les explications fournies par la SAS Multithématiques, fera droit à la demande de Madame X au titre des cotisations à la retraite dont la SAS Multithématiques devra s’acquitter entre novembre 2012 et octobre 2015 ; toutefois, faute pour Madame X de démontrer l’existence d’un préjudice résiduel, elle sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts.
5) Sur les dommages-intérêts pour harcèlement moral
Aux termes de l’article L. 1152-1 du Code du travail, aucun salarié ne doit subir les
agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
En application de l’article L. 1154-1 du même code, interprété à la lumière de la directive n° 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, lorsque survient un litige relatif à l’application de ce texte, le salarié établit un ensemble de faits répétés qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Au soutien de sa demande, Madame X fait valoir qu’elle a été victime de harcèlement moral de la part de son supérieur hiérarchique, M. N., qui l’a dénigrée à plusieurs reprises et obligée à rester sur son lieu de travail tardivement. Elle se plaint également d’une diminution injustifiée de la quantité de travail fourni et le retrait sans raison de son statut de cadre. Elle n’apporte aucune justification du harcèlement moral managérial qu’elle invoque, d’autant que les explications fournies par M. N. aux termes de son attestation accréditent la thèse de directives normales prodiguées dans l’exercice de son pouvoir de direction.
S’agissant de la diminution de la quantité de travail fourni, celle-ci est en revanche avérée, ainsi que décrit ci-dessus à l’examen des avis d’imposition de Madame X.
Mois après mois, la SAS Multithématiques a donc confié à Madame X un nombre de plus en plus réduit de jours travaillés, de telle sorte que de 101 jours en 2013, la collaboration est passée de 80 jours en 2014 pour n’être plus que de 26 jours en 2015.
Au surplus, ainsi que mentionné ci-dessus, il a été retiré à Madame X son statut de cadre à partir de novembre 2012 sans raison objective.
Au vu de la démonstration de ces éléments qui, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement, il appartient à l’employeur de démontrer que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
La cour a retenu que les explications fournies par la SAS Multithématiques pour justifier le retrait du statut de cadre n’étaient pas convaincantes.
De même en est-il de la diminution de la quantité de travail qui ressort avec évidence en examinant les pièces versées aux débats et aucune explication tangible n’est fournie quant à cette diminution, d’autant que deux de ses collègues, Mme G. et Mme P., ont obtenu quant à elles la conclusion de contrats à durée indéterminée à la suite des recommandations faites par l’inspection du travail.
Dès lors, il sera fait droit à la demande de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral formé par Madame X à hauteur de 5000 euros au vu du certificat médical du docteur K. mentionnant un état anxieux dépressif réactionnel à des problèmes professionnels en 2015, ayant nécessité deux arrêts de travail.
6) Sur la rupture du contrat de travail
Madame X fait valoir qu’il n’a plus été fait appel à elle après le 21 octobre 2015 tandis que la SAS Multithématiques invoque une absence de réponse de celle-ci à ses sollicitations.
La SAS Multithématiques, au soutien de son affirmation, produit trois courriels adressés respectivement les 19 novembre 2015, 11 janvier 2016 et 23 mars 2016 à Madame X, aux fins de lui proposer des piges de rédaction. Ces propositions lui ont été adressées à son adresse mail Canal+, alors qu’elle justifie de précédentes demandes effectuées à ses adresses mail personnelles, affirmant au surplus qu’elle ne pouvait consulter son adresse professionnelle Canal+ lorsqu’elle était à l’extérieur de l’entreprise, ce que la SAS Multithématiques n’a pas contesté.
En conséquence, la cour retient que la SAS Multithématiques qui avait réduit de manière drastique le nombre d’heures de travail confiées à Madame X depuis 2014, a cessé de faire appel à elle après le dernier jour travaillé qui était le 21 octobre 2015, sans qu’aucune procédure de licenciement n’ait été suivie, au regard de la requalification des contrats successifs en un contrat à durée indéterminée retenu par la cour. Dès lors, la rupture de la relation de travail s’analyse en un licenciement sans cause réelle ni sérieuse, ouvrant droit aux indemnités de rupture.