En quelques mots et de façon très simplifiée, cette théorie part du principe que les agents économiques (particuliers, entreprises, associations, Etats...) qui signent un contrat ont, généralement, des intérêts divergents (le vendeur vise un retour financier maximal en produisant le moins d’effort possible et l’acheteur cherche la plus haute performance en payant le prix le plus bas). Dans une logique purement transactionnelle, le postulat n’est ni satisfaisant ni viable si l’on souhaite que le lien commercial se développe ; dans un contexte d’évolution juridique vers un contrat relationnel, on comprendra aisément que ce point de départ est d’autant moins acceptable.
Hart et Holmström, ayant saisi l’enjeu un peu plus tôt que d’autres, ont élaboré au fil des décennies une théorie qui tente de comprendre comment structurer économiquement le contrat pour qu’il soit profitable aux deux parties et qu’il fasse converger leurs intérêts.
Certes, ce ne fut pas une mince affaire, d’autant que le champ d’analyse de leurs travaux s’étend à de nombreux domaines, les économies modernes étant régies par d’innombrables contrats.
En économie du travail, qui fut l’exemple le plus fréquemment cité par la presse pour restituer succinctement la pensée des lauréats du Nobel, la théorie permet de saisir comment le contrat modifie le comportement des salariés d’une entreprise. Quel contrat permet à la société d’obtenir d’un salarié qu’il s’investisse au mieux dans son travail ? Dans quelle mesure inclure une part de rémunération variable va influer sur le comportement des salariés ? Et sur la base de quels indicateurs de performance orienter ces bonus (niveau de participation à des initiatives de développement de l’organisation, satisfaction des clients, nombre de ventes, etc.) ?
Le même type d’exemple s’applique, bien naturellement, à d’autres sphères de l’économie et notamment à celle qui nous intéresse, à savoir tout cycle contractuel complexe qui justifie la présence du Contract Management pour en faciliter le pilotage.
Les travaux des auteurs aident à mettre en exergue les effets pervers de certaines constructions contractuelles qui, de par leur nature, bloquent le chemin du succès ; que ce soit la qualité d’une livraison, le temps d’exécution de la prestation ou tout autre objet qui a décidé les parties à se rapprocher.
Lorsque l’on s’intéresse de plus près à la littérature de Hart et Holmström, et de leurs disciples, partout surgissent des risques et des problèmes communément rencontrés par tous les Contract Managers, à l’instar de la mesure imparfaite du niveau de performance d’une prestation, obstacle récurrent à la rédaction de contrats efficients.
A ces risques et problèmes sont associés deux courants de réflexion qui irriguent toute la doctrine des nobélisés et dont les bonnes pratiques, internationalement reconnues, de Contract Management se sont directement inspirées : la théorie des contrats incomplets d’un côté et la nécessité (pour ne pas dire l’obligation) de viser le bénéfice mutuel à toute étape de la création du contrat et de son exécution, de l’autre.
De facto, ces deux approches ont vocation à résoudre la délicate équation posée en introduction : proposer des modèles contractuels profitables aux parties en s’assurant qu’ils fassent converger leurs intérêts.
La théorie des contrats incomplets
Lorsque nous formons de nouveaux Contract Managers, les propos liminaires à notre enseignement consistent systématiquement en l’identification des principales raisons justifiant l’apparition et la montée en puissance de ce métier. A l’origine du lien causal se situe l’imperfection de nos conventions.
Au regard de la complexité des sujets juridiques, opérationnels et financiers encadrés par nos contrats, viser le document contractuel idéal, c’est-à-dire exhaustif (dont le corolaire est « gravé dans le marbre »), est une hérésie. Nos contrats sont aujourd’hui plus que jamais, par nature, incomplets. Lâcher prise avec la complétude est un impératif et travailler sur les conséquences qui s’imposent (faciliter son évolution tout au long de son cycle de vie, notamment en phase d’exécution) l’est tout autant.
Oliver Hart, très justement, propose de concevoir ce qu’il intitule le meilleur contrat élémentaire, à savoir celui dont on sait qu’il ne peut pas tout prévoir. Il est ici question d’humilité, pleinement assumée, face à l’inenvisageable. Une humilité salvatrice qui offrira aux professionnels du pilotage des contrats complexes la flexibilité nécessaire dans leur rapport quotidien avec la matière première contractuelle qui demande une constante évolution face aux modifications intrinsèques et extrinsèques de son objet.
Le meilleur contrat élémentaire variera tant dans sa forme que sur le fond selon la sphère économique considérée et, il se devra d’être accompagné des processus idoines de Contract Management qui facilitent l’adaptabilité du contenant comme du contenu. La gestion des changements (Change Management) est l’un des processus piliers à mettre en œuvre, d’une façon suffisamment structurée pour viser l’efficience et l’efficacité auxquelles les parties aspirent face à l’imminence ou à la gravité d’une fluctuation impactant la bonne fin d’un projet.
D’autres processus, en amont (stratégie des risques et résolution des problèmes) ou en aval (gestion des réclamations – claim management), pour ne citer qu’eux, participeront à cette réponse indispensable à l’incomplétude de nos contrats.
Viser le bénéfice mutuel
Sur le deuxième point, qui touche à la logique du bénéfice mutuel, la question du vœu pieu reste communément posée lorsque le sujet est abordé en public.
Comment viser la satisfaction réciproque d’intérêts divergents aussi bien au stade précontractuel que pendant tout le déroulé du cycle une fois l’accord signé ?
Ici, la solution se trouve moins dans le contrat lui-même que dans la capacité des parties à déployer un savoir-être approprié dans le cadre d’un processus de négociation collaborative, puisque c’est précisément le gain mutuel que l’on place en ligne de mire de cette technique de négociation.
C’est le parti pris par l’Ecole Européenne de Contract Management depuis sa création : former des Contract Managers capables, à chaque étape clé du cycle de vie contractuel, d’agir en négociateur et/ou en facilitateur pour combler les lacunes rédactionnelles et ne jamais les laisser se transformer en faille relationnelle.
On voit poindre derrière la réunion des deux thématiques mentionnées ci-dessus la résurgence, derrière un contrat élémentaire qui satisfaisait les bénéfices mutuels, de la théorie du contrat relationnel chère à Ian Macneil. Gageons que la bonne pioche de l’académie des Nobel permettra d’élargir les travaux engagés par Hart et Holmström, de sorte que ce contrat qu’on appellera social, relationnel ou collaboratif, selon sa pré- férence, ne demeure pas au stade du concept évanescent et, qu’au contraire, le Contract Manager en fasse une pratique régulière qui s’impose comme un nouveau standard.