Cette décision rappelle à bon escient les principes qui régissent les points les plus fréquemment soulevés dans le cadre du contentieux de la cession de créance, à savoir :
➢ la signification du titre exécutoire ;
➢ la prescription du titre exécutoire ;
➢ la validité de la cession de créance ;
➢ le retrait litigieux ;
➢ la validité des mesures d’exécution.
Les faits :
Par jugement rendu le 6 juin 1989, les époux X ont été condamnés à payer à la société DIN la somme principale de 27.864,21 francs avec intérêts au taux contractuel de 18,25 % à compter du 10.02.1985 au titre du solde d’un financement de véhicule.
Par convention de cession de créance en date du 21.05.2007, la banque DIN a cédé à la société DSO INTERACTIVE la créance qu’elle détenait en vertu de ce jugement à l’encontre des époux X.
La procédure :
Par acte d’huissier en date du 8 février 2010 la société DSO INTERACTIVE a fait délivrer aux époux X, un commandement de payer les sommes dont ils sont redevables au titre du jugement du 6 juin 1989.
Par assignation en date du 12 février 2010 les époux X ont assigné DSO INTERACTIVE devant le juge de l’exécution de ROUEN à l’effet d’obtenir qu’il soit dit :
que DSO INTERACTIVE ne dispose à leur encontre d’aucun droit de créance ni titre exécutoire et que le commandement de payer du 08.02.2010 soit déclaré nul ;
qu’il soit enjoint à DSO INTERACTIVE de communiquer sous astreinte le contrat de cession du 21.05.2007 aux fins de vérification du montant de la créance ;
que DSO INTERACTIVE soit condamné à payer la somme de 1.500 € au titre de l’article 700 NCPC.
Par jugement en date du 28.10.2010 le juge de l’exécution de Rouen a déclaré nul le commandement du 08.02.2010 et condamné DSO INTERACTIVE à payer aux époux X la somme de 700 € au titre de l’article 700 NCPC.
La société DSO INTERACTIVE a relevé appel de cette décision et demandé à la cour d’infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
C’est dans ces circonstances que la Cour d’Appel de Rouen a rendu son arrêt du 08.09.2011 qui infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 28 octobre 2011 par le juge de l’exécution, et valide ainsi le commandement aux fins de saisie-vente délivré le 08 février 2010 à la requête de la Société DSO INTERACTIVE.
Discussion :
1. Sur la prescription du titre exécutoire :
Le principe :
La loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile a raccourci le délai de prescription de l’exécution des titres exécutoires en les ramenant de 30 ans à un délai de 10 ans.
Toutefois, le Législateur de 2008 a expressément spécifié en son article 26, II, que « les dispositions de la présente loi qui réduisent la durée de la prescription s’appliquent aux prescriptions à compter du jour de l’entrée en vigueur de la présente loi sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la Loi antérieure ».
En l’espèce, la créance était susceptible d’être prescrite trente ans après la signification du jugement (acte interruptif de prescription en vertu des dispositions des articles 2244 ancien et nouveau du Code Civil), soit à la date du 31/07/2019.
Les nouvelles règles de prescription étant entrées en vigueur le 19/06/2008, la créance de la Société DSO INTERACTIVE est susceptible depuis lors d’être prescrite au 19/06/2018 (prescription désormais décennale)… sauf interruption de ce délai ainsi qu’au cas d’espèce par suite du nouveau commandement aux fins de saisie-vente signifié le 08/02/2010 conformément à l’article 2244 du Code Civil qui reporte, par voie de conséquence, la date de prescription au 08/02/2020.
En conséquence, aucune prescription n’a atteint l’action en exécution de ce titre exécutoire.
2. Sur la signification du jugement :
Le principe :
En vertu des dispositions de l’article 478 du CPC, le jugement réputé contradictoire au seul motif qu’il est susceptible d’appel est non avenu s’il n’a pas été notifié dans les 6 mois de sa date.
Le jugement réputé contradictoire rendu le 06.06.1989 par le tribunal d’instance de Rouen a été signifié le 31.07.1989 par acte de Me Y, huissier de justice, par remise en mairie.
Si à la lecture de l’acte critiqué, la nature des vérifications opérées par l’huissier pour s’assurer de la réalité du domicile du destinataire, n’est pas précisée, la Cour a constaté que M. X n’a pas remis en cause la réalité de son domicile.
Dès lors, sauf inscription de faux contre l’acte d’huissier, il convient de tenir pour acquis que la signification en mairie a bien été faite et que les diligences prévues aux articles 656 et 658 du CPC ont été effectuées.
En conséquence, le jugement réputé contradictoire du 6 juin 1989, valablement signifié, est exécutoire conformément aux dispositions de l’article 503 du Code de procédure civile.
3. Sur la validité de la cession de créance :
Le principe :
En vertu des dispositions de l’article 1690 du code civil, la cession de créance doit être signifiée au débiteur cédé
La signification de cette cession a été réalisée auprès de M. X par acte du 08.02.2010, comportait un extrait de l’annexe du contrat du 21.05.2007 et mentionnait un dossier "Nom & Prénom, date de financement et numéro de contrat".
Dans ces circonstances, la créance cédée parfaitement identifiable, a été valablement cédée à DSO INTERACTIVE.
En conséquence, les dispositions de l’article 1690 du code civil ont été respectées.
4. Sur le retrait litigieux :
Le Principe : en vertu des dispositions de l’article 1699 du code civil, celui contre lequel on a cédé un droit litigieux peut s’en faire tenir quitte par le cessionnaire en lui remboursant le prix réel de la cession…
Lorsqu’une créance qui fait l’objet d’un litige est cédée par le créancier à un tiers, la Loi permet au débiteur de se substituer au cessionnaire en payant le prix stipulé dans la cession.
Cette institution, dont le caractère exceptionnel impose une interprétation stricte, nécessite, pour être recevable que la créance soit « litigieuse » au moment où elle est cédée.
Inversement, si la créance n’a fait l’objet d’aucun « litige » avant sa cession, le retrait litigieux ne peut être exercé.
Or, la Cour rappelle que la créance ne peut plus être considérée comme litigieuse au sens de l’article 1699 du code civil dès lors qu’elle a été consacrée par le jugement définitif du 8 juin 1989, antérieur à la cession de créance et qu’il importe peu dans ces conditions que l’acte de cession ne précise pas le prix payé par le cessionnaire.
En conséquence, M. X n’est pas recevable à invoquer le droit de retrait prévu par l’article 1699 du code civil.
(Incidemment, une deuxième raison s’opposait à l’exercice du droit de retrait litigieux par le débiteur : le retrait litigieux, moyen de défense, ne peut être exercé que par un défendeur à l’instance qui conteste le droit litigieux, et non, ainsi qu’en l’espèce, par un demandeur devant le juge de l’exécution).
5. Sur la validité des mesures d’exécution :
Par ailleurs, le débiteur soutenait également, que la Société DSO INTERACTIVE ne pouvait, dans la cadre d’un acte de cession de créance sous seing privé, avoir acquis la propriété d’un titre exécutoire, en l’occurrence le jugement du Tribunal d’instance du 06 juin 1989…
Le Principe : en vertu des dispositions de l’article 1692 du code civil, « la vente ou la cession d’une créance comprend les accessoires de la créance, tels que caution, privilège et hypothèque ».
Il se déduit donc de la rédaction de cet article que le titre exécutoire détenu par le créancier cédant à l’encontre du débiteur constitue un accessoire et que le cessionnaire subrogé dans les droits du cédant peut se prévaloir du titre exécutoire obtenu par lui. La cession de créance transfère donc au cessionnaire les droits et actions appartenant au cédant.
En conséquence, le jugement obtenu par le cédant doit bénéficier au cessionnaire qui peut fonder ses mesures d’exécution sur ce titre dès lors que la cession est régulière et valide.